01Net N°913 Du 7 Août au 3 Septembre 2019

(Marcin) #1
J

e me suis tellement enflam-
mée lors d’une explication
de texte que j’ai fait sauter
le premier bouton de mon
chemisier, dévoilant mon
push-up aux cinquièmes
du premier rang, médu-
sés. » Qui se serait imaginé que Tristan
et Iseut puissent encore émoustiller à
ce point une prof de français? Et l’his-
toire ne dit pas comment, de leur côté,
les collégiens ont vécu cet incident!
Une anecdote croustillante racontée
sur Twitter par DitaVonTeach, ensei-
gnante de son état mais qui préfère se
cacher derrière ce pseudonyme, clin
d’œil à la célèbre danseuse érotique
américaine Dita Von Teese. On com-
prend pourquoi. Tous les jours, ou
presque, cette « #FemmeMariée obsé-
dée de la culotte » évoque ainsi des
bribes de sa vie avec frivolité, autodé-
rision, et en égratignant régulière-
ment élèves, parents, collègues ou mi-
nistres. Mais elle n’est pas la seule...

LEUR LIBERTÉ DE PENSER. Comme Dita-
VonTeach, ils sont une poignée de pro-
fesseurs, d’avocats, de médecins, de
juges ou encore de policiers à avoir ou-
vert un compte Twitter sous un pseu-
donyme, afin d’y raconter leur quoti-
dien. Certains sont d’ailleurs devenus
depuis des figures du réseau social!
Suivis par des milliers de personnes.
Mais, parfois, non sans déplaire...

À l’image de Maître Eolas, qui compte
aujourd’hui plus de 347000 abonnés.
Également très actif sur son blog, cet
« avocat, praticien de la justice, débat-
teur public, potache » partage les cou-
lisses des palais de justice, entre dans
des considérations juridiques, ou en-
core réagit à l’actualité, suscitant tant
l’admiration que l’exaspération chez
certains de ses lecteurs.
Ainsi, en 2015, ses tweets acerbes en-
vers l’Institut pour la justice (IPJ), qui
prônait le durcissement de la poli-
tique pénale – « Je me torcherais bien
avec l’IPJ si je n’avais pas peur de salir
mon caca », « Une bouse à ignorer »... –
lui ont-ils valu une condamnation
pour diffamation et injure. Une déci-
sion cependant annulée en janvier
dernier, la Cour de cassation de Ver-
sailles estimant que les termes em-
ployés « ne tendaient pas à atteindre les
personnes dans leur dignité ou leur répu-
tation, mais exprimaient l’opinion de
leur auteur sur un mode satirique ».
Quatre ans de procédure pour faire
valoir son droit au sarcasme et à la
dérision! Mais en définitive, aussi, sa
liberté de casser les idées reçues, de
partager ses désillusions, de rétablir
la vérité, d’interpeller et d’échanger
sur tout type de sujet. Comme le re-
vendiquent également DitaVonTeach,
ViolentPolicier, JugeDadouche,
MsieurLeProf, Litthérapeute, Deci-
maitre, Petit Prof...

Communiquer incognito serait-il de-
venu un phénomène à la mode? Plaît-
il ?! « Dès le milieu des années 90, les
gens se sont mis à utiliser des faux noms
sur les messageries et les forums, rappelle
Patrice Flichy, chercheur et professeur
de sociologie. Les pratiques de commu-
nication masquées, avec pseudos et ava-
tars, se sont développées avec Internet. »

SE FAIRE DU BIEN. Toujours est-il que
l’anonymat, aujourd’hui comme hier,
fait référence aux identités multiples
de chacun. Non sans écho au fameux
Docteur Jekyll et Mister Hyde ou aux
héros de jeux vidéo. En effet, les indivi-
dus adoptent autant de « présentations
de soi » possibles que de contextes so-
ciaux. « Les gens ont plusieurs identités
qui se croisent, explicite Patrice Flichy.
Une personne peut être professeur, mais
aussi amateur de bricolage électronique
et ne pas vouloir l’afficher auprès de tous
ses collègues. »
Et puis, naturellement, la création
d’une seconde identité fictive permet
de séparer plus facilement vie privée
et vie professionnelle. Maître Eolas
reconnaît ainsi avoir fait le choix de
l’anonymat d’abord pour distinguer
son blog personnel d’un site de cabi-
net d’avocats, afin de ne pas se retrou-
ver accusé de faire de la publicité. Mais
au-delà de cette dichotomie, les raisons
d’avancer masqué sont aussi mul-
tiples que les profils. Difficile,

SUR LA TOILE, ILS AVANCENT


MASQUÉS


Ils sont médecins, profs, avocats... et ont en commun


de parler de leur quotidien sur les réseaux sociaux


sous couvert d’anonymat ! Parfois par choix, pour


gagner en liberté de parole. Souvent par obligation,


pour des raisons de déontologie ou d’éthique.




38 01NET 913 - du 7.08 au 3.09.2019


la société telle qu’elle est


Par Pascale Baziller
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