01Net N°913 Du 7 Août au 3 Septembre 2019

(Marcin) #1
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haque été, je me fais un petit plaisir. Invité
en Provence chez ma cousine Isadora, je loue
un cabriolet et nous sillonnons les routes à
la poursuite d’un saucisson pur porc du
Mont Ventoux ou de confitures à l’abricot
mises en pot du côté de Sault. Chaque année
donc, je réserve ma voiture trois mois à l’avance. Je télé-
phone quelques jours avant pour vérifier que la réser-
vation n’a pas sauté (petite paranoïa) puis, dans le TGV
qui me mène à Avignon, je rappelle pour m’en assurer.
— Oui, Monsieur D, votre véhicule est bien disponible sur
mon écran.

Et c’est là que démarre mon numéro de client poin-
tilleux, spécialiste en expérience client.
— Certes, mais qui vous dit qu’il est physiquement sur le par-
king? L’an dernier, j’avais loué une Coccinelle Volkswagen
blanche à toit ouvrant, et on m’en
a donné une noire, car l’autre
n’existait pas. Pourriez-vous appe-
ler vos collègues sur place pour
vous assurer que l’auto est PHYSI-
QUEMENT présente?

C’est une de mes grandes
thèses du moment. Les opéra-
teurs réfugiés derrière des écrans
n’ont qu’une vision informatique
de la prestation vendue. Mais
que savent-ils réellement? Nos
smartphones nous font croire
que la logistique est un jardin à
la française, que si l’écran le dit,
la réalité le confirmera.
J’arrive donc en Avignon, au
guichet du loueur. « Bienvenue
MonsieurD. Je me rengorge
comme un paon. Je prends les
clés. Sur le parking, il fait 40 °C.
Je trouve ma voiture, elle est
blanche. Je mets le contact et
tente de la décapoter. Rien. Dix
minutes de rage et de transpiration plus tard, surgit un
jeune homme habillé d’un gilet aux couleurs du loueur.
Il ouvre le coffre, tire une manette et m’explique que si
je ne le fais pas, la capote ne se pliera pas.
— Mais bordel, dites-le à la réception! Si je loue en juillet
un cabriolet dans le Vaucluse, ce n’est sûrement pas pour
m’abriter de la pluie!

Je suis odieux, je n’aimerais pas me fréquenter en cet
instant. Une fois chez ma cousine qui, elle, peine à rece-
voir un colis et se fait balader d’un point relais à un autre
depuis trois jours, je conte mon enfer.

— Te rends-tu compte, Isadora? Ils te louent un cabriolet
et ils ne te disent même pas comment retirer la capote! J’ai
cru mourir d’un tel service.
— Et moi! répond Isadora, allongée sur un transat au
bord de sa piscine, un verre de rosé à la main. La fille
me dit qu’elle m’envoie un lien pour me connecter, valable
UN jour. Ils vont finir par nous rendre dingues!

L’été, les victimes à qui Internet a promis une expé-
rience fluide sont légion. Les yeux exorbités, la bave aux
lèvres, la gorge serrée, elles racontent leurs mésaven-
tures avec les loueurs de voitures, d’appartements, les
compagnies low-cost et les livreurs de parasols. Comme
Isadora et moi, elles sont des milliers à réclamer, à écrire,
à s’indigner, à menacer, à exiger des contreparties, à mo-
biliser leur réseau, à vouloir joindre le directeur.
« JE VEUX PARLER AU RESPONSABLE!!! » C’est la
phrase de l’été.

Qui sont ces gens, gentils
dans la vie, odieux au téléphone,
imbuvables sur les réseaux so-
ciaux, mais adorables avec leurs
enfants? Et qui, pour un retard
de dix minutes, pour une heure
passée dans une foire aux ques-
tions ou au téléphone avec un
service après-vente, se mettent
dans des états impossibles pour
un colis contenant (en général)
d’inutiles conneries fabriquées
par des enfants chinois? Qui
sont ces mutants qui crient
comme des cochons du Mont
Ventoux voués à finir en charcu-
terie quand ils n’ont pas satisfac-
tion? Ils sont cette invention du
XXIe siècle. Ils sont... des clients
rois. Des souverains que le Net
a dotés du sentiment d’hyper-
puissance, suffisants, gonflés
d’importance. D’affreux parve-
nus qui engueulent de malheureux conseillers commer-
ciaux au flegme de majordomes anglais. Des enfants
capricieux?
Non, des sales cons, en vérité.
Personne n’ose l’écrire, mais c’est pourtant ce qu’Isa-
dora et moi pensons très fort après avoir liquidé la bou-
teille de rosé. Face à nous, toutes les cigales du Luberon
se frottent les ailes.
Je crois bien qu’elles se foutent de notre gueule.z

Chroniqueur radio, Internet, TV et presse, David Abiker se passionne
pour la société numérique et ses objets (@davidabiker sur Twitter).

JE VEUX PARLER


AU RESPONSABLE!


98 01NET 913 - du 7.08 au 3.09.2019 Par David Abiker

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