Les Echos - 30.07.2019

(Sean Pound) #1

lLe principal moteur de recherche en Russie, loin devant Google, s’emploie à diversifier ses revenus dans le taxi


en ligne ou encore l’e-commerce.


lSa proximité avec les autorités russes est néanmoins régulièrement pointée du doigt, alors qu’il dispose


de nombreuses données personnelles d’utilisateurs.


Yandex, le « Google russe » en pleine expansion


Benjamin Quénelle
— Correspondant à Moscou


C’est le nouveau coup du « Google
russe » dans son expansion tous
azimuts. Pour accroître un peu plus
encore son écosystème déjà bien
diversifié, Yandex vient de racheter
la propriété intellectuelle et les cen-
tres d ’appels e n Russie d e Vezet, l’un
de ses concurrents d ans les services
de taxi, passé donc sous son con-
trôle, tout comme Uber en 2017. Il
prévoit d’investir plus de 70 mil-
lions de dollars et de renforcer ainsi
Yandex. Taxi, déjà leader local dans
le taxi réservé e n ligne e t la livraison
de repas. Deux services en plein
boom en Russie, comme en témoi-
gnent les résultats trimestriels du
géant de l’Internet russe publiés
vendredi, dont le chiffre d’affaires,
tiré par ces activités est en progres-
sion de 40 % sur un an à 41,4 mil-
liards de roubles (588 millions
d’euros).
Ce rachat confirme l’appétit de
Yandex qui, vrai Gafa russe, élargit
sa présence dans les secteurs clefs
de son succès depuis sa création en
1997 et son entrée à la Bourse de
New York en 2011. La Russie est
d’ailleurs l’un des rares pays (avec la
Chine) dans lesquels le moteur de
recherche de Google n’a pas r éussi à
s’imposer. A la fois pour d es raisons
sociopolitiques mais aussi parce
qu’il a peiné à s’adapter aux nuan-
ces de la langue russe. Le roi du
genre, c’e st bien Yandex, avec une
part de marché de 56 %, loin devant
l’américain (40 %).


« Ça vibre ici! »
Le groupe et ses 10.000 employés,
dont l’une des meilleures équipes
d’informaticiens de Russie, multi-
plient les diversifications, même si
aujourd’hui, la publicité en ligne
représente encore l a majeure p artie
des revenus. « Ça v ibre ici! O n sent le
dynamisme de la Silicon Valley,
même en plus fort », dit carrément
Greg Abovsky, directeur des opéra-


INTERNET


Arcady Volozh,


le tsar de la tech,


à l’origine du groupe


« Nous ne cessons jamais d’expérimenter et de tester »


Propos recueillis par B. Q.


Yandex.Drive, votre service
d’auto-partage, est-il la clef de
votre stratégie d’expansion?
C’est une étape importante.
Aujourd’hui, Yandex.Drive, c’est
11.500 voitures et 27 millions de tra-
jets, essentiellement dans la capi-
tale mais aussi à Saint-Pétersbourg
et Kazan. Chaque mois, nous ajou-
tons 1.000 véhicules. Dans nos
résultats financiers, Yandex.Drive
contribue grandement aux revenus
de notre secteur « paris et expérien-
ces », qui, au premier trimestre
2019, a enregistré une hausse de
218 % de son chiffre d ’affaires sur un
an. Cela montre la force de Yandex à
mettre en place de nouveaux servi-
ces pour étendre son écosystème.
Le matin, p our aller de la maison au
travail, notre client a le choix : Yan-
dex.Drive, Yandex.Taxi ou sa pro-
pre voiture. S’il opte pour notre
solution d’auto-partage, le système
dans la voiture le reconnaîtra. Yan-
dex.Maps lui proposera le meilleur
parcours, Yandex.Music ses chan-
sons préférées, Yandex.Food des
options de repas.


Envisagez-vous une expansion
à l’international?
Nous voulons introduire Yan-
dex.Drive en Europe de l’Ouest.


du coup, nous analysons le nombre
de trajets effectués par jour pour
chaque véhicule. La plupart des voi-
tures sont rentables, mais l’ensem-
ble de l’activité reste déficitaire.

Quels ont été vos principaux
échecs?
Nous avions beaucoup à appren-
dre! Parfois le modèle ou le
moment choisi n’était pas bon. Par
exemple, dans la santé, nous avions
proposé une offre générale de
médecine à distance. Par vidéo, le
patient était conseillé par un méde-
cin. Mais les dépenses pour élargir
la base de clientèle se sont révélées
bien trop supérieures aux revenus
que nous rapportait cette activité.
Nous avons dû réduire l’offre et
l’inclure dans un service plus large
d’informations médicales. Nous
aurions dû nous concentrer sur des
secteurs où la fréquence est plus
élevée et le volume plus important,
notamment la pédiatrie ou le suivi
du diabète. Par ailleurs, Yandex
n’est pas encore très bon pour ven-
dre des services de B t o B. Nous avi-
ons créé Yandex Data Factory, un
service d’aide aux entreprises pour
analyser leurs données et accroître
leur efficacité, comme, par exem-
ple, u ne meilleure gestion d es infor-
mations clientèle dans la distribu-
tion. Mais c’était trop tôt.n

Nous étudions les grandes villes des
pays où l’auto-partage est déjà bien
implanté avec un fort potentiel : Ita-
lie, Allemagne, Hollande, Espagne.
La France ne fait pas partie de cette
liste. Plusieurs de nos autres servi-
ces sont présents à l’étranger. Yan-
dex.Taxi fonctionne dans 18 autres
pays que la Russie : l’ex-URSS (Bié-
lorussie, Géorgie, Kazakhstan...) et
au-delà (Finlande, Israël, Côte
d’Ivoire...). Yandex.Music est pré-
sent en Israël, Yandex.Maps et Yan-
dex.Navigator en Turquie, Yan-
dex.Transport en Finlande. Nous
n’avons encore rien en France.

Vos nouveaux projets ciblent
quels secteurs?
Nous ne cessons jamais d’expéri-
menter et de tester. Yandex peut
être mis en préfixe à beaucoup de
mots! Notre ADN, c’est de créer les
bons softwares pour les bons servi-
ces. Par exemple, nous venons de
lancer une nouvelle communauté
de services pour que les habitants
d’un même quartier s’échangent
informations et conseils.

INTERVIEW
GREG ABOVSKY
Directeur des opéra-
tions et finances
de Yandex

Quels sont vos services finan-
cièrement les plus rentables?
Notre portail de moteur de recher-
che vient en tête aux côtés des servi-
ces publicitaires (nous fournissons
des sites Internet en annonces),
suivi de Yandex.Taxi et notre seg-
ment « paris et expériences ». Pour
chacun, les sources de revenus dif-
fèrent : publicités pour le moteur de
recherche, commissions pour les
taxis (15 à 18 %), partage de revenus
avec les sites pour les ventes
d’annonces. Après chaque lance-
ment de nouveaux services, nous
suivons de près les résultats finan-
ciers. Par exemple, pour Yan-
dex.Drive, nous voulons que cha-
que voiture rapporte des bénéfices,

« Nous voulons
introduire
Yandex.Drive en
Europe de l’Ouest.
Nous étudions
les grandes villes
des pays où l’auto-
partage est déjà
bien implanté avec
un fort potentiel. »

tions et finances du groupe, qui a
longtemps travaillé à San Francisco
avant de rejoindre Arkady Volozh,
fondateur et patron de Yandex.
Dans le secteur des transports,
où ses cartes et aides à la navigation
font référence, Yandex s’est étendu
à l’auto-partage. Yandex. Drive s’est
aussi allié à Renault-Nissan-Avto-
vaz, pour que, d’ici à cinq ans, plus
de 2 millions de leurs véhicules
soient équipés de Yandex. Auto,
incluant une multitude de services.
Alice, la voix de l’assistante vocale
de Yandex, guidera le conducteur
dans ses recherches (navigation,
centres d’intérêt, musique...).
Cet écosystème se retrouve dans
le smartphone que Yandex a lancé
l’an passé avec ses applications pré-
installées. Dès le petit matin, l’utili-
sateur découvre le temps qu’il fait et
l’état des routes vers son travail,
peut réserver un taxi, actualiser sa
playlist ou commander sa pizza du
soir... Avec toujours l’aide d’Alice
vers quelque 34.000 services Yan-
dex différents.

Yandex scelle aussi des coopéra-
tions. Avec Sberbank, la première
banque russe, il développe Yandex.
Market, une coentreprise de com-
merce en ligne : comparaison de
prix, marché en ligne avec traite-
ment des commandes et de la logis-
tique, commerce transfrontalier.
« Yandex étant le premier moteur de
recherche en Russie, plus de 50 % des
recherches débouchant sur des
achats e-commerce sont générées sur
notre plate-forme », explique
Gabriel Naouri, le spécialiste fran-
çais choisi pour présider Yandex.
Market.
Cela n’a cependant pas empêché
Sberbank de s’allier aussi avec son

La Russie est
l’un des rares pays
dans lesquels le
moteur de recherche
de Google n’a pas
réussi à s’imposer.

fil et les habitudes des Russes, est
régulièrement soupçonné de céder
aux pressions des autorités et de ser-
vir de relais aux services de rensei-
gnement. « Derrière la voix d’Alice,
présente dans tout l’écosystème Yan-
dex, n’y aurait-il pas aussi les oreilles
des commerciaux et des services de
sécurité? » s’interroge un expert du
secteur. Hasard ou non, Yandex a
d’ailleurs été la cible l’automne der-
nier d’une attaque par des hackers
des services secrets occidentaux. Ils
voulaient eux-mêmes espionner les
comptes d’utilisateurs...n

principal concurrent Mail.ru, pour
créer une plate-forme numérique
proposant la commande en ligne de
taxis et de repas, ont annoncé les
deux partenaires la semaine der-
nière... « Ces initiatives visent à mon-
trer que Yandex, largement sous-éva-
lué par les investisseurs étrangers par
rapport aux géants occidentaux, est
un g roupe f ort, créatif e t en plein déve-
loppement », souffle un proche con-
seiller de la direction. Avec toutefois
un sérieux nuage dans le ciel du
géant, qui, disposant d’un nombre
croissant d’informations sur le pro-

Florian Dèbes
@FL_Debes

Google n’existait pas encore
quand, en 1997, Arcady Volozh et
son ami Ilya Segalovich ont mis en
ligne Yandex, le moteur de recher-
che devenu l’une des clefs de voûte
d’Internet dans le monde russo-
phone aux 150 millions d’inter-
nautes. Le PDG de cette société
moscovite valorisée aujourd’hui
12 milliards de dollars au Nasdaq,
Arcady Volozh, considéré comme
l’un des pionniers de l’indexation
du Web, a importé un bout de Sili-
con Valley au pays d es tsars. Avant
de s’attaquer au Web, ce pur pro-
duit du monde des affaires post-
soviétique âgé de cinquante-cinq
ans, s’est enrichi dans l’entrepre-
neuriat, au lendemain de l’effon-
drement du régime communiste.
A tout juste trente ans, ses activités
dans l’importation d’ordinateurs
venus d’A utriche, puis dans les
équipements télécoms, lui confè-
rent l a marge de manœuvre finan-
cière pour « pivoter » dans le Web.

Milliardaire depuis 2011
Avant que Yahoo! et Google ne
s’intéressent à son pays, lui et
son cofondateur (décédé d’un can-
cer en 2013) ont le flair de traduire
en langage informatique le com-
plexe alphabet cyrillique. Les pre-
miers internautes prennent ainsi
l’habitude, comme 56 % du pays
aujourd’hui, d’utiliser Yandex
pour leurs recherches en ligne.

Après une enfance
au Kazakhstan, ce pur
produit du monde des
affaires post-soviétique
est devenu un personnage
clef du Web russophone.

Quelques années plus tard, en
mai 2011, le patron devient milliar-
daire à l’occasion d e l’introduction
en Bourse de Yandex. « Il a su bâtir
un groupe peu connu en Europe de
l’Ouest mais bien connu de ses con-
currents Google et Baidu », souli-
gne Gabriel Naouri, le français qui
préside les activités e-commerce
du groupe. Premier actionnaire
d’individuel de l’entreprise, il en a
certes perdu la majorité des droits
de vote. Mais il en reste la figure de
proue et le principal inspirateur
de sa stratégie de diversification
vers le paiement, l’e-commerce et
la location de taxis.

Représailles américaines
A Moscou, son style détonne.
Quand les nouveaux riches multi-
plient les voitures de luxe et les
yachts, lui se déplace au volant de
sa vieille Volvo noire. Timide, rare
dans les médias et « self-made-
man », Arcady Volozh est souvent
présenté comme l’entrepreneur
du Web russe qui a su, à ses
débuts, tenir l’Etat à distance, sans
s’en faire un adversaire.
Mais, à l’inverse des créateurs
de Vkontakte et de la messagerie
Telegram qui se sont exilés,
Arcady Volozh n’a pas quitté son
pays lorsque Vladimir Poutine a
étendu son contrôle sur les pépi-
tes tech russes. Pour les vingt ans
de Yandex, il a même fait du chef
d’Etat l’invité de marque du jour,
au grand dam de certains salariés,
qui l’ont f ait savoir. Depuis, Arcady
Volozh a vu son nom inscrit sur la
liste américaine des oligarques
menacés de sanctions en cas de
nouvelle crise géopolitique entre
les Etats-Unis et la Russie, à l’ins-
tar d e nombreuses autres grandes
fortunes sous l’ère Poutine.n

HIGH-TECH & MEDIAS


Les EchosMardi 30 juillet 2019

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