Les Echos - 30.07.2019

(Sean Pound) #1

Il faut en finir avec les « startupisations » de façade!


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A


en croire les grands incu-
bateurs, les organisations
traditionnelles ne peu-
vent envisager de poursuivre leur
développement sans collaborer
étroitement avec des start-up.
Beaucoup d’initiatives sont ainsi
lancées pour rapprocher ces deux
mondes, comme l’ouverture
récente du studio Schoolab, fai-
sant cohabiter jeunes pousses, étu-
diants et entreprises.
Plus largement, la liturgie de
l’innovation fait depuis longtemps
la part belle au « fail fast » et à l’agi-
lité. Les potentielles licornes sont
devenues des sources d’inspiration
pour les grands groupes, contraints
de désapprendre ce qu’ils ont reli-
gieusement appris. Mais jusqu’où
prôner cette « startupisation »,
dans un contexte où une infime
minorité de jeunes pousses par-
viennent à pérenniser leur modèle
de croissance?
Si l’on s’en tient à une analyse
caricaturale d e l’économie à l’âge du
numérique, le salut des grands
groupes passerait par le nombre de

start-up qu’ils comptent en leur
sein. Le potentiel d’innovation est
pourtant loin d’être corrélé à la
« coolitude » d’une entreprise. Or
c’est bien à cela qu’on juge de la réus-
site d’une initiative. Netflix et Face-
book ont intégré les foyers de la plu-
part des individus : en ce sens,
l’innovation n’est pas l’apanage des
start-up!
Nicolas Menet et Benjamin Zim-
mer, engagés dans l’économie des
seniors, prennent à cœur cette ques-
tion de l’usage et dressent, dans un
livre, un constat sévère du « start-up
washing » ambiant : « La masca-
rade, c’est que ce qui compte
aujourd’hui, c’est de lever des fonds et
pas forcément de répondre à un
besoin. » Bien sûr, toutes les start-up
ne sont pas des fausses bonnes idées.
Mais avant de prendre une décision
engageante, les grands groupes doi-
vent se poser les bonnes questions :
comment mettre l’utilisateur au
centre de mes services pour les lui
faire adopter? comment faire évo-
luer mes produits pour répondre
aux demandes émergentes?

Rien ne sert donc d e se « startupi-
ser » si l’objectif est de s’offrir l’illu-
sion d’un coup de jeune. La stratégie
de rachats opérée par Yahoo! n’a
pas suffi à faire oublier ses erreurs :
ce n’est pas l’acquisition de GeoCi-
ties ou de Tumblr qui aurait pu
compenser le train raté des réseaux
sociaux. Les start-up ne doivent pas
être le cache-misère d’une fausse
transformation.
Ajoutons à cela qu’il est extrême-
ment long, quand on crée ou
rachète une start-up, de lui donner
les moyens de passer à l’échelle.
Est-il toujours pertinent de concen-
trer de l’énergie (et de l’argent) dans
des offres périphériques, quand
c’est le cœur de métier qui est à ris-
que? Le fait que des acteurs de
l’énergie ou du « retail » organisent
des concours de start-up en relé-
guant au second plan leurs clients
principaux – qui partent massive-
ment – a de quoi laisser perplexe.
La problématique est financière,
mais aussi culturelle. C’est bien la
culture qui permet de fédérer, de
rayonner et construire l’avenir.

Grandes corporations et start-up
ont beaucoup à faire ensemble et
peuvent converger vers de belles
réussites. Mais gardons à l’esprit
que le plus souvent, lors d’un
rachat, la greffe ne prend pas : les
créateurs de start-up ne se recon-
naissent pas dans leur projet, et les
employés de la maison mère sont
déstabilisés par un impératif de
changement dont ils ne compren-
nent pas la finalité.
Le seul mot d’ordre qui vaille est
celui de la transformation au ser-
vice du business, peu importe son
biais. Les entreprises évoluent dans
un environnement imprévisible. Il
leur faut donc être capable de réin-
venter continûment leur cœur de
métier, en capitalisant sur ses actifs
les plus s olides. C’ est ce qui a permis
à Fujifilm de connaître un nouvel
essor, à l’heure où le passage au
numérique remettait en question
sa stratégie. Fujifilm s’est défini à
partir de ses compétences (la chi-
mie) et a trouvé de nouvelles appli-
cations à celles-ci, là où Kodak a pré-
féré s’accrocher à son vieux métier.

LE POINT
DE VUE

de Jean-Christophe
Conticello

Dans les faits, la transformation
passe souvent par une coopération
poussée avec des start-up, dont les
méthodes encouragent une culture
plus entrepreneuriale ainsi qu’un
« time to market » plus rapide.
McDonald's a fait l’acquisition d’une
société spécialisée dans le traitement
de la donnée. L’objectif est cohérent :
il s’agit de proposer aux clients des
menus personnalisés en fonction de
la météo ou du moment de la jour-
née. C’est ce type d’initiative, au ser-
vice d’une meilleure expérience, qui
a du sens et garantit l’adoption mas-
sive des services. Pas dans une « star-
tupisation de façade »!

Jean-Christophe Conticello
est le fondateur de Wemanity.

Les start-up
ne doivent pas être
le cache-misère
d’une fausse
transformation.

DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE


  • « Le Devoir » consacre un article au vieillissement
    de la population active canadienne et les répercus-
    sions potentielles de cette évolution d émographique.
    En effet, outre-Atlantique le nombre de travailleurs
    âgés de 55 ans et plus est en constante augmentation.
    Un p hénomène qui pourrait s’expliquer, selon l e quo-
    tidien québécois, par l’arrivée à l’âge de la retraite des
    baby-boomeurs, nés entre 1946 et 1964.
    D’après une étude de Statistique Canada, le nom-
    bre de travailleurs de 55 ans et plus a connu une


aussi être lié à un choix personnel explique « Le
Devoir ». Selon une étude citée dans l’article, au
Canada, « les personnes âgées avec un niveau de scola-
rité élevé, vivant en régions rurales et ayant des paie-
ments hypothécaires, sont plus susceptibles de [ conti-
nuer à] travailler ».
A terme, cette proportion de travailleurs âgés ris-
que de poser problème. « Il pourrait être difficile de
garantir les remplacements pour certaines profes-
sions, car la population de moins de 35 ans n’affiche

presque aucune croissance » note « Le Devoir ». Fort
heureusement, l’augmentation massive du nombre
de femmes dans certains secteurs professionnels
atténue les répercussions de ce vieillissement, écrit le
quotidien québécois. Depuis 20 ans, la part de fem-
mes en médecine généraliste a augmenté de 135 %,
contre seulement 14 % chez les hommes. Une hausse
qu’on retrouve aussi parmi les avocats, les notaires
ou encore les comptables.
—S. F.

Le boom des seniors dans le marché
du travail canadien

augmentation de 213 % de 1996 à 2018, contre une
augmentation de seulement 18 % seulement de la
part des 25 à 34 ans sur la même période. Par exem-
ple, le secteur manufacturier a vu sa proportion de
travailleurs âgés augmenter de 30 % en 20 ans. Les
transformations démographiques et économiques
de la société canadienne sont autant de facteurs qui
poussent les plus de 55 ans à rester sur le marché du
travail, ce « boom » est avant tout la traduction
d’une nécessité financière. Cependant, cela peut

06 // Mardi 30 juillet 2019 Les Echos


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