Les Echos - 30.07.2019

(Sean Pound) #1

Les Echos Mardi 30 juillet 2019 IDEES & DEBATS// 07


art&culture


LE POINT
DE VUE


de Christian Jacob


Pour une refonte


de la politique


commerciale de l’Europe


I


l n’est nullement question ici de
remettre en cause les bienfaits du
commerce international pour
l’Europe : ses échanges avec le reste du
monde représentent 15 % du commerce
mondial et sa balance commerciale est
excédentaire d epuis 2013. Mais force est
de constater que la politique commer-
ciale européenne nous conduit dans
une impasse.
L’Europe est prise en flagrante con-
tradiction d’avoir imposé à ses entrepri-
ses et à ses agriculteurs les normes de
production les plus contraignantes du
monde et, en même temps, d’avoir érigé
le libéralisme à outrance en dogme uni-
versel de sa politique commerciale.
En o uvrant grand les portes à des pro-
duits qui ne respectent pas les mêmes
normes de production que nous, elle
soumet ses entreprises et ses agricul-
teurs, déjà moins compétitifs que leurs
concurrents internationaux, à une dis-
torsion de concurrence supplémen-
taire sur le marché intérieur, en faisant
courir, par la même occasion, des ris-
ques sanitaires aux consommateurs.
Cela serait le cas avec l’accord de
libre-échange entre l’UE et le Mercosur
et c’est déjà le cas avec l’accord commer-
cial entre l’Europe e t le Canada (Ceta) qui
permettra l’entrée en Europe de viande
bovine issue d’animaux nourris avec
des farines animales non autorisées en
Europe, comme celles composées de
certaines protéines transformées des
ruminants, farines de sang et gélatine,
interdites en Europe depuis 1994 et en
France depuis 1990, à la suite de l’appa-
rition de la maladie de la vache folle.


pour mettre en œuvre la mesure
phare de notre projet européen : ins-
taurer une barrière écologique aux
frontières de l’UE en imposant des
droits de douane antipollution aux
produits provenant des pays qui ne
respectent pas les mêmes normes que
nous. Face aux produits importés de
l’autre b out d e la planète, cette mesure
est à la fois utile pour soutenir nos
entreprises, lutter contre le réchauffe-
ment climatique et protéger la santé
des consommateurs.
Le développement du commerce
n’est pas une fin en soi. Les échanges
mondiaux ne peuvent être fondés uni-
quement sur le principe de la concur-
rence généralisée, mais doivent inclure
la prise en compte de la sécurité alimen-
taire, du changement climatique, de la
stabilité d es marchés, des e njeux d émo-
graphiques et migratoires, de la rému-
nération juste des producteurs.
Nous attendons de l’Europe qu’elle
soit efficace et qu’elle pèse sur les enjeux
du monde au lieu d’apparaître comme
une contrainte permanente pour ses
ressortissants. La France, qui a pris la
présidence du G7 en 2019, aurait dû
s’emparer de ce sujet et en faire l’enjeu
fondamental du prochain sommet qui
aura lieu du 24 au 26 août à Biarritz, au
lieu d’utiliser cette échéance, à laquelle
participera le Premier ministre cana-
dien, comme un oukase pour imposer
la ratification du Ceta.

Christian Jacob, chef de file
des députés LR, est candidat à la
présidence du parti Les Républicains.

Pourtant, forte d’un marché de
440 millions de consommateurs con-
voité par ses concurrents, l’Europe dis-
pose d’un levier important pour faire
évoluer s a politique commerciale et ins-
taurer le principe de réciprocité dans
ses échanges : les pays qui souhaitent
exporter leurs produits dans l’Union
européenne (UE) doivent en respecter
les mêmes normes sanitaires, environ-
nementales et sociales. L’UE pourrait et
devrait conditionner l’accès à son mar-
ché pour engager une vraie coopéra-
tion commerciale multilatérale et per-
mettre un nivellement par le haut des
normes de production.

De même, alors que la lutte contre le
changement climatique est le défi
immense de notre siècle, comment
expliquer à 90 millions d’Européens
vivant dans des zones rurales (un habi-
tant sur trois en France) qu’ils doivent
être taxés parce que, faute de trans-
ports en commun, ils roulent en diesel
pour aller travailler alors qu’on laisse
un poisson pêché en Norvège, condi-
tionné en Chine, atterrir dans nos
assiettes après avoir parcouru plus de
10.000 kilomètres?
Nous devons profiter du r enouvelle-
ment des instances communautaires

Instaurons une barrière
écologique aux
frontières de l’UE
en imposant des droits
de douane antipollution.

LE POINT
DE VUE


de Frédéric Verdavaine


Syndic : pour tordre


le cou des idées reçues


G


rand nombre de préjugés ali-
mentent l’idée que le syndic est
un métier opaque qui coûte
trop cher. Pourtant, le rôle des syndics
est fondamental dans la lutte contre la
précarité énergétique et le mieux-vivre
ensemble. Ils sont des acteurs clefs de
terrain, les mieux placés pour connaî-
tre les situations d’insalubrité et accom-
pagner la mise en place de solutions en
collaboration avec les collectivités.
A l’occasion des dix ans de l’Autorité
de la concurrence, le Premier ministre a
annoncé d es mesures p our e ncadrer les
contrats de syndics. Il a dressé un cons-
tat sévère sur le rôle des syndics, consi-
dérant qu’il était urgent de les réformer
en profondeur pour améliorer le pou-
voir d’achat des Français. Une idée
reçue consiste à penser que le syndic est
cher et lèse le portefeuille des Français.
C’est faux. 16,25 euros par mois : c’e st le
coût moyen des honoraires de syndic
au sein du parc Nexity.
Affirmer qu’ils coûtent cher parce
que leurs marges sont importantes est
donc une hérésie. Le véritable enjeu des
syndics est de repenser leur rôle et leur
périmètre d’action, pour leur donner la
possibilité de délivrer d es s ervices utiles
et performants aux habitants, de leur
immeuble aujourd’hui, de leur quartier
demain.
Afin de permettre des relations plus
apaisées au sein des copropriétés, les
règles de gouvernance des copropriétés
doivent être adaptées aux besoins des
copropriétaires. Ainsi, dans les grands


damental dans la transformation de la
gouvernance des copropriétés de
demain. Ils créent de la proximité et
peuvent contribuer à l’accélération de
prises de décision face à des assemblées
générales aujourd’hui désertées. Les
copropriétaires doivent p ouvoir
s’appuyer sur un syndic qui aura conçu
pour eux des services innovants et
adaptés à leurs besoins.
La transformation digitale et l’évolu-
tion des besoins des consommateurs,
de plus en plus en quête de transpa-
rence, impliquent que le syndic doit être
en mesure de prouver aux c opropriétai-
res l’efficacité des services apportés,
notamment lors de projets d’impor-
tance, tels que la rénovation énergéti-
que d’une copropriété.
Véritable partenaire des collectivités,
le syndic pâtit d’une image pourtant
altérée par un grand nombre d’idées
reçues, et par la vision critique des pou-
voirs publics quant à son rôle. Pourtant,
le syndic innove, se transforme, protège
et informe. Plutôt que de s’attacher aux
idées reçues, attardons-nous sur son
rôle clef : le syndic est un acteur indis-
pensable de nos territoires, et un sou-
tien aux pouvoirs publics dans la mise
en œuvre de solutions durables pour
lutter contre l’insalubrité et la précarité
énergétique de nos logements. En
somme, le syndic est un facilitateur du
mieux-vivre ensemble.

Frédéric Verdavaine est directeur
général délégué chez Nexity.

ensembles ou dans les copropriétés
principalement composées d’investis-
seurs, la gouvernance doit être renfor-
cée, avec une instance représentative
décisionnaire (incluant des personnes
internes et externes à la copropriété), à
qui les copropriétaires confieraient la
mission d’agir dans leur intérêt pour
valoriser leur patrimoine commun. Ici,
le rôle du syndic professionnel est
essentiel, garant de l’intérêt collectif


  • notamment pour faire face à la com-
    plexité de la réglementation.


A l’inverse, dans les petites copro-
priétés ou copropriétés d’o ccupants,
nul besoin de renforcer la gouver-
nance, puisque chaque copropriétaire
est plus impliqué. L’affect joue dans les
décisions prises, ce qui limite la volonté
des copropriétaires de se doter d’une
instance représentative.
Dans tous les cas, les copropriétaires
attendent une agilité et des procédures
plus souples, notamment grâce aux
outils digitaux, qui jouent un rôle fon-

Le syndic est un acteur
indispensable de nos
territoires, et un soutien
aux pouvoirs publics
pour lutter contre
l’insalubrité et la
précarité énergétique
de nos logements.

Moviestore

Collection/Rex Feat

« Il se passe quelque chose ici »


François Bourboulon

« There’s something happe-
ning here. What it is ain’t
exactly clear » (Buffalo
Springfield, « For What It’s
Worth », 1967).
Aucune décennie n’a fait
autant fantasmer ou rêver
que les années 1960. Son
impact politique, sociétal,
artistique ou culturel n’a
sans doute pas d’égal. Et
pourtant, proclame un dic-
ton bien connu, « si vous vous
souvenez des années 1960, c’est que vous n’y
étiez pas... » Heureusement, les traces de
cette décennie ne manquent pas. Mais faut-il
avancer aussi radicalement que Peter Fonda
dans « L’Anglais », de Steven Soderbergh,
que « les 60’s, c’était 66, début 67, rien de
plus »? Ce Fonda-là (fils de Henry) est pour-
tant le producteur et acteur du film symbole
des 60’s, cet « Easy Rider » qui rassemblait
tous les ingrédients de la décennie : liberté,
drogues, musique... Tourné en 1968, « Easy
Rider » sera le troisième film le plus popu-
laire en 1969, derrière « Butch Cassidy et le
Kid » et « Macadam Cowboy »...
L’année 1969 est aussi celle où Neil Arms-
trong a effectué son premier pas sur la Lune,
où Eddy Merckx a remporté son premier
Tour de France et où la France a élu Georges
Pompidou à la présidence de la Républi-
que... Mais aux Etats-Unis, l’atmosphère est
lourde après une année 1968 dramatique,
marquée par les assassinats de Martin
Luther King, puis de Robert Kennedy. La
guerre a u Vietnam et au Cambodge s’intensi-
fie, l’Amérique s’est dotée d’un nouveau pré-
sident, Richard N ixon, qui est tout sauf l’idole
des jeunes, encore moins des chevelus... Et
Charles Manson vient de commettre une

série d’assassinats dans la région de Los
Angeles, dont celui de Sharon Tate le 9 août.
Il est déjà loin le « Summer of Love » de la
côte Ouest et l’explosion du rock psychédé-
lique symbolisée par le festival (gratuit) de
Monterey, q ui s’est t enu en 1967, a réuni près
de 100.000 personnes et a inspiré les organi-
sateurs du futur festival de Woodstock.
L’idée est venue d’un vrai-faux hippie,
Michael Lang : l’homme a déjà attiré
100.000 personnes a u Miami Pop Festival et
veut rééditer l’opération, avec l’aide du
chanteur et parolier Artie Kornfeld et de
deux jeunes entrepreneurs de New York,
John Roberts et Joel Rosenman, avec les-
quels il a fondé Woodstock Ventures.

Un vaste pâturage
L’appellation Woodstock – le nom complet
du festival est The Woodstock Music and
Art Fair – est un leurre. Les organisateurs
prétendaient au départ vouloir rendre
hommage à Bob Dylan, qui a trouvé refuge
depuis 1966 dans cette ville à environ
200 kilomètres au nord de New York. Il y vit
avec d’autres musiciens comme Van Mor-
risson, Tim Hardin ou The Band. Mais
Woodstock n’aura pas lieu à Woodstock, et
Dylan e n sera absent. L e premier lieu choisi,
Wallkill, à 50 kilomètres au sud de Woods-
tock, est abandonné, car ses habitants refu-
sent qu’une horde de hippies drogués et
nudistes débarque chez eux. Les organisa-
teurs sont finalement sauvés par le fermier

Max Yasgur, qui leur loue
pour 50.000 dollars son
domaine, un vaste pâtu-
rage de 243 hectares situé
à White Lake, près de
Bethel, à une centaine de
kilomètres de Woodstock.
Prévu pour accueillir
quelques dizaines de mil-
liers de festivaliers, le
pâturage se révélera rapi-
dement trop étroit et tota-
lement inadapté pour les
450.000 s pectateurs, selon
les estimations basses, qui
débouleront pour cet événement de trois
jours ; 186.000 d’entre eux avaient acheté
leur billet (18 dollars), avant que les organi-
sateurs, dépassés par l’affluence, décident
d’ouvrir l’accès à tous (« It’s A Free Concert
From Now On »).
Selon le magazine « Rolling Stone »,
Woodstock aurait « changé l’histoire du
rock ’n’ roll ». L’affirmation est contestable.
Woodstock a très certainement bouleversé
la culture populaire, mais on peut douter de
son impact musical, tant le chaos régnant
sur le site pendant trois longues journées
nuira à la qualité de certaines prestations.
Plus important, Woodstock est privé de
plusieurs artistes et groupes essentiels sans
lesquels l’affiche sera moins belle. On l’a vu,
le plus grand d’entre eux, Bob Dylan, a
refusé de participer à cet événement en son
honneur, n’ayant rien demandé de tel et
préférant rester caché pour être heureux.

Ni Beatles ni Stones
Quant aux deux groupes majeurs du
moment, ils brillent par leur absence. Les
Beatles, qui ne sont déjà plus un groupe par
la volonté de John Lennon sous influence
de Yoko Ono, n’ont évidemment jamais

pensé se produire dans un festival (leur seul
concert de l’année reste un bref happening
sur le toit d’Abbey Road, leur studio d’enre-
gistrement). La légende veut que les organi-
sateurs aient offert à Lennon le cachet que
les Beatles désiraient pour se produire, et
qu’en échange celui-ci ait proposé de venir
seul avec son nouveau groupe, Plastic Ono
Band. Demande refusée par le festival pour
ce groupe qui, on en est sûr, n’a pas changé
l’histoire du rock ’n’ roll...
Les Rolling Stones, autres vedettes abso-
lues, n’ont j amais envisagé non plus de jouer
à Woodstock, notamment parce que Mick
Jagger tourne au même moment un film en
Australie. Les Stones tenteront de rattraper
le coup en décembre de la même année en
organisant le Woodstock de la côte Ouest à
Altamont. Une initiative qui tournera au
drame avec la mort de Meredith Hunter, un
spectateur poignardé par des Hells Angels à
quelques mètres de la scène pendant la
prestation de Mick Jagger et des Stones,
totalement dépassés par la situation.
Mais même amputé de ces quelques
grands noms, auxquels on peut ajouter The
Doors, le festival se révèle attractif. Ceux
qui vont assister à Woodstock, affirme
Michka Assayas, « y vivront une expérience
au sens plein : collective, bien sûr, et même
unanimiste, mais aussi existentielle, mysti-
que, voire religieuse ». Tout – rien en fait –
est prêt pour trois jours de musique de
paix... et de chaos.n

Sorti la même année que le festival de Woodstock, le film « Easy Rider »
rassemble tous les ingrédients de la décennie : liberté, drogues, musique...

WOODSTOCK 1969 1 /
La genèse
A lire : « Woodstock,
Three Days of Peace
and Music », de Michka
Assayas (GM Editions).
A écouter : Michka
Assayas a réalisé une série
d’émissions sur le festival
diffusée tout l’été sur
France Inter, et écoutable
d’ores et déjà en podcast.
A suivre...
Le récit du festival

WOODS
TOCK
Free download pdf