Libération - 01.08.2019

(Barry) #1

E


n quelques jours, l’en-
quête sur la disparition
de Steve Caniço a changé
de nature. Le corps du jeune
homme a été retrouvé lundi en
fin de journée dans la Loire à
plus d’un kilomètre de là où il
avait disparu dans la nuit du 21
au 22 juin, lors de la Fête de la
musique. Steve Caniço partici-
pait alors à un rassemblement
de plusieurs scènes techno dans
le sud de l’île de Nantes. Aux
alentours de 4h30, une violente
intervention policière mettait
fin à la soirée et provoquait la
chute de plusieurs personnes
dans le fleuve. Mardi, le corps a
été formellement identifié et
une instruction pour homicide«

involontaire»a été ouverte par
le parquet de Nantes. Le même
jour, le Premier ministre,
Edouard Philippe, et le ministre
de l’Intérieur, Christophe Casta-
ner, ont rendu publics les résul-
tats d’une enquête administra-
tive, confiée à l’Inspection
générale de la police nationale
(IGPN). Selon ce rapport, il n’est
pas«établi de lien entre l’inter-
vention de la police et la dispari-
tion» e Steve Caniço, etd «il n’y
a pas à remettre en cause l’inter-
vention collective des forces de
l’ordre». Cette enquête ne clôt
pas pour autant les investiga-
tions. Sur ce volet administratif,
l’IGPN ne disposait notamment
pas de tous les pouvoirs de la

justice. L’exécutif a également
saisi l’Inspection générale de
l’administration (IGA) qui, con-
trairement à l’IGPN, va pouvoir
contrôler l’action de la préfec-
ture.Libération ait le point surf
les nouveaux éléments apportés
par l’enquête administrative et
pointe ses limites et ses failles.

La police a-t-elle
«chargé» les fêtards?
Pour l’IGPN, la réponse est non.
La police des polices écrit dans
sa conclusion qu’«aucun élé-
ment ne permettait d’établir que
les forces de police avaient pro-
cédé à un quelconque bond of-
fensif ou une manœuvre s’assi-
milant à une charge qui aurait

MORT DE STEVE ourquoiP

le rapport de l’IGPN

sème le trouble

Charge de la police, lien avec la mort du jeune


homme, déroulement des recherches...


Les nouveaux éléments apportés par l’enquête


administrative ne suffisent pas à éclairer


les circonstances du drame.


Extraits d’une vidéo de la charge policière du 22 juin, quai Wilson.

eu pour conséquence de repous-
ser les participants à la fête vers
la Loire». Selon ce rapport, les
forces de l’ordre ont donc uni-
quement répondu à des jets de
projectiles et ne sont pas inter-
venues pour disperser le ras-
semblement. La police indique
l’utilisation de 33 grenades la-
crymogènes, 12 tirs de LBD et
10 grenades de désencercle-
ment. Dans son analyse, l’IGPN
explique aussi que le commis-
saire qui dirigeait l’opération
sur place a voulu«éteindre le
système produisant une musi-
que» t que lorsque les policierse
sont retournés au contact des
fêtards, une fois équipés d’une
tenue de maintien de l’ordre,
l’objectif était identique. Pour-
tant, l’analyse des vidéos réali-
sée parLibération, ui permetq
de retracer la chronologie de
l’intervention, démontre le con-
traire. Si, dans un premier
temps, les policiers ont effecti-
vement tenté de discuter avec
les organisateurs pour qu’ils
coupent le son, la deuxième
phase de leur intervention a
tout d’une charge visant à dis-
perser les fêtards. Il est 4h
lorsque les policiers retournent

en ligne et équipés au contact
des personnes rassemblées de-
vant le sound system. A cet ins-
tant, il n’y a plus aucune musi-
que et les agents ont pour seul
message:«rentrez chez vous».
Un nuage de gaz lacrymogène
est clairement visible sur les
images. Pourtant, le rapport de
l’IGPN ne relève son utilisation
qu’à partir de 4h36.

Steve Caniço est-il
tombé lors de l’inter-
vention policière?
Si l’IGPN dit ne disposer
d’«aucun élément» ermettantp
«d’établir un lien direct» ntree
l’intervention des forces de l’or-
dre et la chute de Steve Caniço,
«il n’a pas été écrit qu’il n’y avait
pas de lien», empère auprès det
Libération n haut responsableu
de l’IGPN. Au demeurant, cel-
le-ci n’établit pas avec certitude
l’heure de la disparition de
Steve Caniço, survenue«vers
4 heures»ou«après 4 heures»,
selon qu’on lise les conclusions
du commandant de police, ou
du coordinateur des enquêtes,
deux pages plus loin. Deux élé-
ments pourraient dédouaner
les policiers. D’abord, les der-

FRANCE


Par
ISMAËL
HALISSAT,
WILLY
LE DEVIN
etFABIEN
LEBOUCQ


10 u ibération L Jeudi^1


erAoût 2019
Free download pdf