Libération - 01.08.2019

(Barry) #1

P


our la direction, il n’y a«pas
de conflit social». ourtant,P
le 4 juillet, une«grève pour
pas qu’on crève» tait organisée suré
la plateforme logistique Geodis, fi-
liale privatisée de la SNCF, à Gen-
nevilliers (Hauts-de-Seine). Ce
jour-là, quelques salariés s’étaient
rassemblés pour dire«stop aux
conditions de travail déplorables»
et réclamer de meilleurs salaires.
Sept mois plus tôt, en décembre, ils
avaient réussi, un temps, à paraly-
ser l’entrepôt implanté aux portes
de Paris.
«Même les contremaîtres s’y étaient
mis», e rappelle Mouloud Sah-s
raoui, délégué syndical CGT, le syn-
dicat majoritaire. Déjà, en 2015, une
grève avait duré plusieurs jours.
«Mais nous avions dû arrêter à
cause d’un chantage à l’emploi»,
poursuit-il. Une pugnacité rare
dans le secteur. La plateforme, avec
ses 180 salariés, est spécialisée dans
l’«express».«Les colis restent quel-
ques heures à peine. On les dé-
charge, on les traite, on les fait re-
partir, xplique le syndicaliste.e aL
cadence est infernale.»«On travaille
à la tâche, comme à l’usine»,
abonde un salarié. Soit«quatre
semi-remorques à remplir par jour,
tout seul»,précise un autre. Tous
les soirs, 180 tonnes transitent sous
les hangars.«Des moteurs de voitu-
res, des bidons d’huile ou de pro-
duits chimiques, des animaux dans
des cartons, qu’on retrouve morts
quand ils sont mal conditionnés»,
liste l’élu CGT. Non sans risques

pour la santé de ces ouvriers que le
sociologue David Gaborieau
nomme les«forçats de la logistique»
(lire ci-contre).
Malgré les mobilisations, les victoi-
res sont maigres:«En 2015, on a ob-
tenu des douches en état. Vous vous
rendez compte, il a fallu se battre
pour ça !» ’emporte Mouloud Sah-s
raoui.«C’est un métier difficile et
nous cherchons à alléger la charge
de travail de nos salariés en investis-
sant», empère Lionel Terra, direc-t
teur régional du groupe. Mais, pour-
suit-il,«il peut y avoir un décalage
par rapport à nos ambitions.»Le cé-
gétiste, lui, parle de«mépris»de la
part de la direction.

«RISQUES IMPORTANTS»
Dernier exemple en date, en
juillet 2018, à la suite d’un contrôle,
l’inspection du travail a adressé une
lettre sévère à Geodis. La missive
pointait la non-conformité«récur-
rente depuis plus de dix ans» des
installations électriques du site et
des dispositifs de protection. Ou en-
core les«risques importants de
heurts et de chutes», n raison d’unee
circulation des engins et des pié-
tons«dangereuse». Des risques qui,
précise la lettre, ne se sont«nulle-
ment atténués», lors qu’ils étaienta
déjà évoqués dans un courrier
de 2011. Cette fois, l’inspection du
travail a mis en demeure l’entre-
prise et réclamé des solutions sous
douze mois. Mais ce n’est qu’en
juillet 2019, à la date butoir, que ces
mises aux normes ont été finalisées.
«Il a fallu que l’inspection s’en mêle,
et encore, Geodis a fait le strict mini-
mum au dernier moment», ustigef

Mouloud Sahraoui.«Toutes les me-
sures nécessaires, même au-delà, ont
été prises», ssure, de son côté, le di-a
recteur régional, Lionel Terra. Il re-
connaît toutefois un retard pris sur«
la modernisation des conditions de
travail».
En 2017, c’est sur ces espaces satu-
rés de palettes qu’un intérimaire a
eu le pied broyé.«Il était en train de
décharger, il a été percuté par un
engin», se souvient Mouloud
Sahraoui. Cette année-là, le taux de
fréquence des accidents du travail


  • nombre d’accidents au cours
    d’une période de douze mois par
    million d’heures de travail – était
    de 71, selon la CGT. Bien au-dessus
    des taux, autour de 50, observés
    dans le secteur, d’après le socio-
    logue David Gaborieau. En 2018, ce
    taux est descendu à 55 sur le site.
    Mais il risque de repartir à la hausse
    cette année.
    Pour l’heure, la direction a recensé
    neuf accidents de travail avec arrêt,
    les délégués du personnel alertent,
    eux, sur une hausse des incidents,
    se comptant en dizaines. En février,
    «un salarié, percuté par un engin,
    a eu des côtes fêlées»,explique un
    élu CGT. Autre exemple, le 17 mai,
    un conducteur et un intérimaire
    ont été secourus par les pompiers.
    Quatre jours plus tôt, un salarié
    blessé lors d’une manutention avait
    aussi été pris en charge. En juin, les
    délégués du personnel ont aussi ré-
    pertorié une«blessure au niveau de
    l’œil» u encore un malaise lié à lao
    présence de«produits nocifs, toxi-
    ques et corrosifs».
    Pour ceux qui échappent à l’acci-
    dent, l’usure du corps reste le lot


commun.«Ici, le dos prend un
coup», ouffle un salarié.s «L’été, c’est
un four à l’intérieur. L’hiver, il fait
vraiment froid», ointe un autre.p
Mouloud Sahraoui liste ce qui
alourdit encore la tâche des
employés : les niveleurs de quai
«bloqués ou cassés», e manque del
transpalettes électriques, le port
d’appareils de scannage sur l’avant-
bras «pas hygiéniques». Acela
s’ajoute, dit-il, le manque de for-
mation des intérimaires. En 2016,

près d’un salarié sur trois était en
CDD ou en intérim, selon un rap-
port d’expertise rendu au comité
d’entreprise (CE). Cet été, l’effectif
a fondu à une trentaine d’intéri-
maires.

PEAU DE CHAGRIN
Des conditions rudes, pour des«sa-
laires de misère», énonce la CGT.d
Selon la direction, les ouvriers per-
çoivent 1800 euros net mensuels en
moyenne, hors treizième mois.
Avec de gros écarts dans l’entre-
prise, les salaires de base restent
«bas», ote le rapport du CE.n «Les
gens sont autour du smic, ce sont les
primes de nuit qui les sauvent»,pré-
cise Mouloud Sahraoui. La CGT ré-
clame une augmentation générale
de 200 euros, et un rattrapage sala-
rial. Peau de chagrin : en 2019, un
seul ouvrier a été augmenté.
Et aucune prime d’intéressement
ou de participation n’a été versée
depuis trois ans.
Pourtant,«les bénéfices sont impor-
tants», ssure la CGT. Selon le rap-a

Par
AMANDINE CAILHOL

Chez Geodis,


la logistique


au stade critique


Accidents à répétition, rythmes effrénés, tâches


pénibles... Dans cette filiale privée de la SNCF


à Gennevilliers, la CGT dénonce l’organisation


imposée par la direction. Et pointe son inertie,


malgré les grèves et une mise en demeure


de l’entreprise par l’inspection du travail.


FRANCE


«Les colis restent


quelques heures


à peine.


On les traite,
on les fait repartir.

La cadence


est infernale.»
Mouloud Sahraoui
délégué syndical CGT

12 u ibération L Jeudi^1


erAoût 2019
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