Libération - 01.08.2019

(Barry) #1
Des salariés bloquent les
ccès de l’entrepôt Geodis dea
ennevilliers, en avril 2018.G
PHOTO NNOMAN CADORET

port financier de la SNCF, en 2018,
la marge opérationnelle du groupe
Geodis, qui compte 41 000 em-
ployés, a augmenté de 35 millions
d’euros. De son côté, la direction de
Gennevilliers, qui précise avoir
versé une «prime Macron» allant
jusqu’à 400 euros (là où le dispositif
post-gilets jaunes peut grimper à
1 000 euros), évoque esd «résultats
insuffisants» ur le site et un chiffres
d’affaires en berne. Mouloud Sah-
raoui craint désormais que l’acti-
vité soit revue à la baisse et envoyée
sur d’autres sites du groupe«pour
punir les grévistes». l évoque six li-I
cenciements«arbitraires» e sala-d
riés, dont quatre grévistes. Et dé-
nonce un«harcèlement syndical»,
ce que la direction dément.
«D’autres sont sur la sellette»,in-
siste le cégétiste. A commencer par
lui-même. Au printemps, son licen-
ciement a été refusé, comme pour
deux autres délégués syndicaux,
par l’inspection du travail.«Mais la
direction pourrait s’obstiner», it-il.d
Le cégétiste aussi.•


P


our Carlotta Benvegnù et David Gabo-
rieau, sociologues du travail, respecti-
vement à l’université Paris-XIII et àPa-
ris-Est, les entrepôts sont le«prolongement
d’un monde industriel sous une forme logisti-
que».Ils décrivent un secteur précaire, com-
posé d’une main-d’œuvre ouvrière«que l’on
épuise vite» t qui peine à se mobiliser.e

La CGT de Geodis Gennevilliers alerte sur
la multiplication des accidents de travail.
Que révèle ce conflit sur le secteur?
David Gaborieau: a logistique connaît unL
taux de fréquence des accidents du travail
élevé, proche, voire au-delà de ce que l’on
peut voir dans le bâtiment. Les métiers y sont
physiques, avec des ports de charges allant
jusqu’à 8 à 10 tonnes par jour. La lombalgie est
la première des maladies de l’entrepôt, mais
les coudes, les épaules, les genoux peuvent
être touchés. Les gestes répétitifs provoquent
aussi des troubles musculo-squelettiques.
Il y a une usure accélérée des corps. Des acci-
dents graves, comme les chutes, arrivent
aussi, mais ils ont plutôt tendance à régresser.

Là où toutes ces autres pathologies de l’hyper-
sollicitation, elles, progressent.
Carlotta Benvegnù Les ouvriers de la logis-:
tique disent souvent:«Les accidents viennent
petit à petit.» ans le secteur, les salaires sontD
faibles, avec peu d’évolution de carrière. Pour
gagner un peu plus, les ouvriers sont obligés
d’augmenter leur productivité, en espérant
bénéficier de primes, ou font des heures sup-
plémentaires et ils brûlent très vite leur force
de travail.
Comment le numérique a-t-il changé le
quotidien de ces travailleurs?
D.G.: Depuis les années 2000, il y a une ratio-
nalisation du secteur, avec l’usage de progi-
ciels de gestion, d’outils de contrôle, de scan-
ners, de commandes vocales. Cela a augmenté
les cadences et
l’individualisa-
tion du travail. La
pénibilité, loin de
disparaître, s’est
transformée.
C.B.: es techno-L
logies ont joué un
rôle, mais elles
ont aussi été ac-
compagnées d’un
changement d’or-
ganisation du
travail, ave c
l’émergence de
nouvelles formes
de taylorisme
dans le tertiaire.
Et la logistique
n’y a pas échappé.
En juillet, une grève internationale a
secoué Amazon. Mais, en dehors du géant
américain, on sait peu de chose sur ce
qu’il se passe sous les hangars de la logis-
tique...
D.G.:Amazon, c’est l’arbre qui cache la forêt.
La logistique a longtemps été invisibilisée,
puis elle s’est construite une image de moder-
nité, de technicité. En parallèle, l’e-commerce
a été présenté comme une économie high-
tech. Or c’est oublier qu’il repose sur l’exploi-
tation d’une main-d’œuvre nombreuse : les
forçats de la logistique. Le secteur
compte 900 000 salariés, dont plus de
700 000 ouvriers. Selon l’Insee, aujourd’hui,
50 % de la population ouvrière travaille dans
le tertiaire. Loin de disparaître, le monde
ouvrier s’est déplacé vers des angles morts.
C.B. : e discours de la start-up nation, deL
l’économie dématérialisée, participe à invisi-
biliser la logistique. Cela empêche de perce-
voir la réalité de ces usines à colis. Et rend
aussi plus difficiles les revendications des
salariés sur leurs conditions de travail.
Quels sont les autres freins à l’action
collective?
C.B.: e secteur est fragmenté, il dépend deL
plusieurs conventions collectives. Cela freine
la structuration syndicale. De même, l’inté-
rim, en créant une disparité de statuts, n’aide
pas. En Italie, il n’y a pas d’intérimaires dans
le secteur. Les conditions de travail plus uni-
fiées ont pu favoriser l’émergence d’un mou-
vement social, il y a dizaine d’années, avec
d’importantes périodes de grève.
D.G.: a dureté des conditions de travail estL
aussi un frein. Peu de salariés, précaires, sont
prêts à s’engager. Souvent, leur priorité est
d’abord de quitter le secteur. En France, on
note un regain de mobilisation depuis 2016.
Des sections syndicales se sont construites,
notamment chez Amazon. Mais, ailleurs, cela
reste faible. Pourtant, dans notre économie
de la circulation, ces travailleurs ont un
moyen de pression. Car ce n’est plus seule-
ment en bloquant les usines mais en ciblant
les flux que l’on peut paralyser les économies
occidentales.
Recueilli parA.Ca.

DR

«


INTERVIEW


«Le monde ouvrier


s’est déplacé vers


des angles morts»


Selon les sociologues Carlotta
Benvegnù et David Gaborieau,
le numérique a aggravé
la pénibilité du secteur
de la logistique, rendant plus
difficiles les actions collectives.

DR

Libération Jeudi 1 erAoût 2019 http://www.liberation.fr f acebook.com/liberation f t @libe u 13

Free download pdf