Libération - 01.08.2019

(Barry) #1

LIVRES/


S


i la question de la peine et
de la sanction pénale dans
la France des Lumières a été
souvent étudiée par les historiens,
le monde carcéral dans son quoti-
dien et dans les logiques de la vie
ordinaire l’a beaucoup moins été.
C’est ce qu’entreprend avec réus-
site l’historienne canadienne
Sophie Abdela.
Constat important, la prison est
d’abord un bâtiment urbain. Pour
Paris, le divorce entre la ville et la
prison ne se produit qu’à la fin
du XIXe iècle quand, à l’occa-s
sion de l’Exposition universelle
de 1900, sa présence est considé-
rée comme gênante. Auparavant,
les grandes prisons parisiennes
sont implantées dans le centre de
la capitale, sur et autour de l’île de
la Cité. Elles ne sont d’ailleurs pas
fermées à la population de la ville
qui peut y entrer facilement. Les
nombreux projets de ville utopi-
que de la fin du siècle veulent, au
nom de la salubrité physique et
morale, expulser ces institutions
malsaines des centres urbains ré-
générés. Le mouvement de ré-

forme qui s’observe à partir des
années 1780 refuse pourtant cet
éloignement car la prison, dans la
dialectique pénale du XVIIIe iè-s
cle, doit être visible afin d’être
exemplaire.«La scène pénale sera
placée dans le voisinage d’une mé-
tropole, le lieu qui contient le plus
grand nombre d’hommes réunis, et
de ceux qui ont besoin qu’on mette
sous leurs yeux le châtiment du
crime», écrit Jeremy Bentham,
l’inoubliable inventeur du panop-
tique. Pour renforcer la sécurité,
sanitaire autant que policière,
l’Académie des sciences, dans son
Rapport sur les prisons, onseillec
d’implanter une zone tampon
autour de la prison, dès lors à la
fois centrale et isolée.

Droits de sortie. Laprison est
une institution qui passionne les
Lumières. Pourtant, souligne
Sophie Abdela, l’Etat lui attribue
une part de plus en plus faible de
ses ressources, surtout consacrée
à l’entretien des bâtiments. Le
reste des dépenses est supporté
par les élites, par le biais de legs et
d’aumônes. Leurs motivations
sont multiples. Il y a d’abord, bien
sûr, une raison religieuse, selon
une économie chrétienne du salut
qui incite à aider les plus dému-
nis. Il y a ensuite le souci du bien
public, les plus riches estimant
qu’aider l’Etat à assumer ses res-
ponsabilités aide à la pérennité

d’un ordre social qui les favorise,
Sophie Abdela n’hésitant pas à
parler de«partenariat public-
privé». Cette aide financière est
cependant insuffisante. Aussi le
personnel carcéral vit-il en bonne
partie de l’argent soutiré aux déte-
nus, surtout les plus aisés.
Ainsi le concierge – responsable
de la prison – ne recevait aucun
salaire de l’Etat. Il achète sa place
à son prédécesseur, à charge pour
lui de se rembourser et d’obtenir
un revenu grâce aux multiples
frais qu’il impose aux détenus (lo-
cation de la cellule, droits de sor-
tie...) et surtout aux produits du
cabaret et de la cantine de la pri-
son. Les guichetiers (gardiens),
par contre, reçoivent un salaire, si
faible qu’ils sont vulnérables aux
exactions et à la corruption,«rai-
son pour laquelle ils sont les pre-
miers suspects lors d’évasions». Si-
gne de la modernité de l’Etat en
cette fin d’Ancien Régime,
après 1780 l’administration verse
des salaires à tout le personnel
afin de mettre fin à ces pratiques.
«En réformant le mode de revenu
des acteurs carcéraux, c’est toute
la prison qui se trouve réformée»,
estime Sophie Abdela.
Le paradoxe est sans doute que,
dans un univers aussi contrai-
gnant et mal sécurisé, les révoltes
sont finalement peu nombreuses.
La cause en est la sociabilité pro-
pre aux établissements pénitenti-

aires des Lumières. L’alcool y tient
un rôle essentiel –commedans la
culture et la société d’Ancien Ré-
gime– et le cabaret de la prison est
un lieu de rencontre et de discus-
sion non seulement entre prison-
niers, mais aussi avec les gardiens.

Collaboration.Il y a ensuite la
figure du prévôt, prisonnier res-
pecté par son ancienneté. Simple
caïd ou détenteur d’une sorte
d’autorité morale, il représente ses
compagnons auprès du personnel
et règle la plupart des litiges et des
violences entre prisonniers, mieux
que l’administration ne saurait le
faire. De ce fait,«le prévôt est de-
venu au XVIIIe iècle un allié essen-s
tiel, un rouage nécessaire et indis-
pensable de la machine carcérale».
Pour Sophie Abdela, ces deux as-
pects illustrent l’esprit de compro-
mis, voire de collaboration, qui ca-
ractérise la prison des Lumières.
Cela n’efface aucunement les des-
criptions horrifiques faites de
l’univers carcéral par nombre
d’écrivains d’alors, mais aide à
comprendre et faire revivre des
vies au quotidien.
JEAN-YVES GRENIER

SOPHIE ABDELA
LA PRISON PARISIENNE
AU XVIIIESIÈCLE. FORMES
ET RÉFORMES
Champ Vallon, «collection
Epoques», 320pp., 25€.

Prison des Lumières, primes et châtiment


L’historienne
Sophie Abdela décrit
le quotidien
des détenus parisiens
au XVIIIe iècle,s
à rebours de certaines
idées.

I


l faut prendre le titre au sens pro-
pre, les Beatles au paradis. C’est
bien du divin dans l’aventure des
Beatles dont traite Valentine Del
Moral avec leur fameux dernier con-
cert, enchaînant les métaphores et
les comparaisons avec la Bible, la
mythologie grecque, l’Antiquité
romaine.
L’essai se décompose en une alter-
nance de chapitres intitulés «Mo-
teur» et «Arrêts sur image». Dans les
premiers, l’auteure décrit le concert
en s’appuyant en détails sur les ima-
ges du réalisateur Michael Lindsay-
Hogg pour le filmLetIt Be 1970),(
dans une langue rythmée, souvent
familière et drôle. Dans les seconds,
elle explique que«oui, il y a un truc
christique chez les Beatles», qu’ils re-
présentent le mythe moderne et
que, in fine, selon la célèbre déclara-
tion de Lennon, ils sont presque
«plus populaires que Jésus».
Ce jeudi 30 janvier 1969 représente
pour elle le jeudi de l’ascension»« esd
Beatles où, après plus de deux ans
d’absence scénique, le groupe res-
suscite aux yeux du public avant de
«monter au ciel» près sa mort,a
en 1970 et d’atteindre cette aura lé-
gendaire. Il faut certes une ardeur de
passionnée des Beatles pour se
concentrer sur les multiples détails
et personnages de ce concert de qua-
rante-deux minutes. Mais Valentine
Del Moral, grâce à son approche ori-
ginale et à son humour omnipré-
sent, parvient à nous intéresser à cet
événement révélateur de la religio-
sité propre à la culture de masse.
AUGUSTE SCHULIAR

VALENTINE DEL MORAL
ET LES BEATLES MONTÈRENT AU
CIEL. LE CONCERT DU ROOFTOP
Le Mot et le Reste. 151pp., 15€

Je vous


salue,


Beatles


pleins


de grâce


Valentine Del Moral se
saisit du dernier concert
du groupe mythique
pour béatifier le quatuor.

Vue de la forteresse de la Bastille. Dessin à la plume et aquarelle.PHOTO LYLHO. LEEMAGE

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