Libération - 01.08.2019

(Barry) #1

4 u ibération L Jeudi^1 erAoût^2019
ÉVÉNEMENT


faculté d’Amiens, garde
un souvenir différent : Au total, on a eu«
deux fois deux heures de cours sur la contra-
ception. Pour la contraception d’urgence, ça
devait être autour de deux fois quinze minu-
tes.» Un enseignement lacunaire ?«Peut-
être, dmet Pierre Béguerie, président dua
conseil central de l’Ordre des pharmaciens.
On essaie de mettre en place des solutions
pour que chaque pharmacien puisse se tenir
informé, mais c’est à eux de faire la démar-
che. Savoir parler de contraception, ça ne
s’improvise pas. Ce sont des façons de faire
qui s’apprennent.»
Il reste manifestement une marge de pro-
grès pour cette pédagogie. Sarah se sou-
vient comment le mois dernier, paniquée
après un oubli de pilule, elle appelle une
pharmacie de garde parisienne :«Quand
elle décroche, la pharmacienne me rit au
nez, elle se fout littéralement de ma gueule,
me dit que je stresse pour rien. J’entends que
les clients derrière elle rigolent aussi. J’ap-
pelle deux autres pharmacies, on me donne
chaque fois des informations contradictoi-
res. Je ne sais pas quoi faire, je comprends
rien, je me sens coupable. Finalement, je me
dis que c’est de ma faute, que j’aurais pas dû
baiser.» dem pour Jeanne, 17 ans, lors-I
qu’une pharmacienne lui lance :«Vous
voyez ce que ça fait de coucher avec n’im-
porte qui ?» OuJuliette qui, à 23 ans, s’en-
tend dire«qu’il faudrait utiliser des préser-
vatifs qui ne craquent pas, ça éviterait de
venir pour ce genre de choses». Ou encore
Lou, gratifiée par un pharmacien pédago-
gue d’un condescendant vous êtes en 2019,«
vous avez la chance d’avoir accès à la
contraception, et la pilule du lendemain ne
peut pas être un contraceptif régulier».


«QUESTIONS INTRUSIVES
SUR MA VIE SEXUELLE»
C’est une autre réalité : la pilule du lende-
main cristallise la peur d’une contraception
irresponsable, nombre de praticiens crai-
gnant qu’une délivrance facilitée n’ouvre la
voie à sa surutilisation au détriment d’un
contraceptif efficace. Pourtant, des travaux
menés en 2013 par la Haute Autorité de
santé (HAS) précisent que 60% des femmes
utilisant une contraception d’urgence le
font en raison d’un échec de contraception
régulière (oubli de pilule, rupture de préser-
vatif) tandis que seules 17% l’utilisent sans
autre méthode contraceptive. Et malgré al
délivrance sans ordonnance, la vente se
maintient autour d’un million de pilules par
an,«un chiffre même en légère baisse en-
tre 2013 et 2015», notait l’année dernière
Santé publique France. Certains pharma-
ciens restent néanmoins réticents, quitte à
parfois flirter avec l’illégalité.
D’après le code de la santé publique, les mi-
neures ont droit à la pilule gratuitement,
dans un espace de confidentialité, sans
qu’on leur demande une pièce d’identité ou
une carte Vitale. Quand on lui apprend ces
droits, Clara hallucine : la dernière fois
qu’elle a voulu une contraception d’ur-
gence, la pharmacienne d’une officine lyon-
naise a exigé sa carte d’identité.«Je la lui
donne, elle poursuit l’interrogatoire, pose des
questions intrusives sur ma vie sexuelle, a-r
conte la jeune femme. ’explique que je neJ
souhaite pas répondre, mais elle m’arrête et
exige que j’avale la pilule sous ses yeux!
D’après elle, c’est obligatoire pour les mineu-
res.» lara refuse, prend la boîteC t se dirigee
vers la sortie. Zélée, la pharmacienne l’en
empêche, bloque les portes et martèle
qu’elle doit ingérer la pilule. J’ai dû appeler«
la police pour qu’elle accepte de rouvrir les
portes,peste la jeune femme.Au téléphone,
les policiers m’ont dit que ce qu’elle faisait
était légal. C’était faux.»


Au Planning familial, Marianne Niosi ana-
lyse :«On vit encore dans une société où la
sexualité des femmes fait l’objet du contrôle
et de la honte. On leur fait la morale, comme
si contrôler sa fertilité et avoir une sexualité
de plaisir était problématique. On les taxe
parfois d’irresponsabilité, mais c’est plutôt
très responsable de vouloir éviter une gros-
sesse non désirée !» ace aux manquementsF
au code de la santé publique, l’Ordre des
pharmaciens se dit en alerte. J’invite les«
femmes à signaler les incidents au conseil
régional de l’Ordre,insiste Pierre Béguerie.
Après un dépôt de plainte, nous pouvons en-
gager une action disciplinaire.»Méconnus
du grand public, les signalements sont en-
core rares, voire inexistants»« .«C’est indis-
pensable de faire remonter les problèmes,
on ne peut pas accepter une attitude dépla-
cée de la part de nos confrères,soutient le
président du conseil central.Informer est
au cœur de notre métier, y contrevenir peut
entraîner jusqu’à la radiation.»•

(1) Emergency contraceptive pills Medical an Ser-«
vice Delivery Guidance», International Consortium
for Emercency Contraception.

M


ise au point aux
Etats-Unis dans les
années 50, autori-
sée en France depuis 1967 (le
député Lucien Neuwirth n’en
sera jamais assez remercié),
la pilule n’est plus aussi ché-
rie par les Françaises. Si elle
reste la méthode contracep-
tive la plus utilisée, petit à
petit l’érosion gagne, selon la
dernière étude de grande am-
pleur sur le sujet, publiée par

Santé publique France
en 2017 (1) : un peu plus d’un
tiers des femmes (36,5%) s’en
remettaient à elle en 2016,
contre presque la moitié
(45 %) en 2010.
Les femmes dans la vingtaine
sont à la pointe de cette des-
cente, avec de plus en plus
d’adeptes de l’implant
(+6,7 points de 2010 à 2016) et
du préservatif (+ 9,6 points),
tandis que les 25-29 ans plé-
biscitent de plus en plus
(+ 12,1 points) le dispositif in-
tra-utérin: ce bon vieux stéri-
let qui a débarqué dans
l’Hexagone dans les an-
nées 60 et que les gynécolo-
gues se sont longtemps (et
parfois encore) retenus de
prescrire à des femmes
n’ayant jamais eu d’enfant.
On notera que parmi celles
qui ne souhaitent pas pren-
dre la pilule, les moins aisées
financièrement se sont da-
vantage tournées vers le pré-
servatif ou le retrait.
La «crise des pilules» expli-
que en partie cette descente
de l’ex-magicienne de la li-
berté. En 2012, après une pre-
mière plainte d’une jeune
femme victime d’un accident
vasculaire cérébral qu’elle
imputait à sa contraception
orale, des centaines de plain-
tes ont été déposées contre
les pilules de troisième et
quatrième générations en
raison de leur risque éven-
tuel de thrombose. Le classe-
ment sans suite de ces plain-
tes par la justice n’a pas
empêché une forme de dis-
crédit. Mais«plus qu’une crise
sanitaire, c’est l’image sociale
de la pilule qui semble s’être
modifiée au fil des généra-
tions : elle est aujourd’hui
moins considérée comme un
objet d’émancipation pour les
plus jeunes», explique l’Insti-
tut national d’études démo-
graphiques (2).
Ce à quoi il faut ajouter une
craintecroissante d’ingurgi-
ter des perturbateurs endo-
criniens, dans un contexte
global qui ne cesse de verdir.
Et une palette de plus en plus
diversifiée de méthodes
contraceptives (implant,
patch, anneau vaginal...). Les
femmes ont désormais plus
d’une dizaine de choix possi-
bles. Et ailleurs sur la planète,
elles n’ont pasfait de la pilule
le contraceptif numéro 1.
A l’échelle mondiale, la pilule
est roisième, derrière la sté-t
rilisation (archimarginale en
France) et le stérilet.
CATHERINE MALLAVAL

(1) Enquête auprès d’un échan-
tillon de 15 216 personnes âgées
de 15 à 75 ans, analyses portant sur
4315 femmes âgées de 15 à 49 ans
concernées par la contraception.
(2) «Cinquante ans de contracep-
tion légale en France : diffusion,
médicalisation, féminisation», nu-
méro 549 de la revue opulation etP
Société de l’Ined.

L’âge d’or


de la pilule


est terminé


Le mode de
contraception
préféré des
Françaises est
délaissé par les plus
jeunes, souvent
échaudées par
l’affaire des pilules
de troisième
et quatrième
générations.

Illustration inspirée duBaiser(1909) de Gustav Klimt. LLUSTRATION ANNE HORELI

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