Libération - 01.08.2019

(Barry) #1
Boris Johnson en Irlande
du Nord, en Ecosse et au pays
de Galles(de haut en bas).
PHOTOS L. MCBURNEY. PA WIRE,
D. MCGLYNN. REUTERS, A. DENNIS. AP

MONDE


«B


ien sûr je me dois de sou-
haiter ici la bienvenue
au dernier Premier mi-
nistre du Royaume-Uni.» ’était il yC
a une semaine. Boris Johnson s’ins-
tallait pour la première fois sur les
bancs de la Chambre des commu-
nes en face de ladispatch box, e pu-l
pitre derrière lequel le chef du gou-
vernement britannique s’adresse
aux députés. En face de lui, sur les
bancs de l’opposition, Ian Black-
ford, chef du groupe parlementaire
du parti indépendantiste écossais,
le Scottish National Party (SNP), le
saluait par ces mots acides à la sa-
veur d’avertissement.
En Ecosse, comme en Irlande du
Nord et au pays de Galles, l’arrivée
de Boris Johnson au 10 Downing
Street est accueillie avec une pro-
fonde méfiance, quand ce n’est pas
une franche hostilité. Sa volonté af-
fichée de quitter l’Union euro-
péenne coûte que coûte le 31 octo-
bre renforce les risques – ou les
chances, selon le point de vue – de
l’éclatement d’une autre union,
celle du Royaume-Uni. Les marchés
ne s’y sont pas trompés, la livre ster-
ling a dévissé pour atteindre son
plus bas niveau depuis vingt-
huit mois.
L’état de grâce n’existe pas pour Bo-
ris Johnson. Il a entamé dès cette
semaine une tournée dans le nord
de l’Angleterre, puis dans les gran-
des régions, pour appeler au«re-
nouvellement des liens qui unissent
notre pays». vec un premier gesteA
de bonne volonté : l’annonce en
grande pompe de 300 millions de li-
vres sterling (329 millions d’euros)
d’investissements qui seront répar-
tis entre l’Ecosse, le pays de Galles
et l’Irlande du Nord. On est très loin
des 350 millions par semaine pro-
mis uniquement au service de santé
du NHS pendant la campagne du
référendum, il y a trois ans.
L’accueil qui lui a été réservé a été
plutôt frais, parfois glacial. L’élec-
tion partielle qui se déroule ce jeudi
au pays de Galles devrait donner un
autre indice de l’humeur ambiante.
La circonscription de Brecon and
Radnorshire, dans l’est du pays, est
surtout connue pour un fait très
précis. Immense –elle représente la
surface du Luxembourg et un
dixième de la superficie du pays –,
elle compte un habitant pour
dix moutons. Ses électeurs y élisent
leur nouveau député après la dé-
mission forcée du conservateur
Chris Davies, condamné pour
fraude dans ses dépenses. Il se re-
présente mais les sondages pré-
voient la victoire de Jane Dodds,
cheffe du Parti libéral-démocrate

gallois. Fait iné-
dit, les candidats
du parti nationa-
liste gallois Plaid
C y m r u e t d u
Green Party se
sont effacés pour
renforcer ses
chances face aux
tories et aussi au
Brexit Party de
Nigel Farage. Si
Jane Dodds l’em-
porte, la majorité de Boris
Johnson au Parlement tombera
alors à une toute petite voix. Et en-
core, en comptant sur celles des dix
députés du Democratic Unionist
Party (DUP), le parti unioniste nord-
irlandais.

Nouvelle partition
enEcosse?
Au début, ça allait. En visite lundi
sur la base navale de Faslane en
Ecosse, à l’abri du public, Boris
Johnson s’est prêté avec plaisir à
l’exercice de pose indispensable de-
vant les photographes. Un peu plus
tard, ça s’est gâté. Notamment lors
de sa courte déambulation dans les
rues d’Edimbourg en route vers
Bute House, la résidence de la Pre-
mière ministre écossaise, Nicola
Sturgeon. Les huées de la foule ont
couvert les mots d’accueil de la
cheffe du SNP. Qui n’a pas caché sa

fureur lorsque Boris Jo-
hnson a fait mine de
lui indiquer l’en-
trée de sa propre
résidence. Du
coup, après leur
entretien, il est
sorti par la porte
de derrière.
En 2016, l’Ecosse
a vo t é à 6 2 %
contre le Brexit.
Boris Johnson a es-
sayé de se montrer conci-
liant en affirmant qu’un accord avec
l’UE restait possible.«Mon analyse
est que nous pouvons obtenir un
nouvel accord, nous cherchons un
nouvel accord», -t-il dit. Mais il aa
aussi exclu de rencontrer qui que ce
soit, à Bruxelles ou dans le reste de
l’UE, avant le sommet du G7 à Biar-
ritz fin août.
Paradoxalement, un Brexit sans ac-
cord aux conséquences économi-
ques douloureuses pourrait repré-
senter une opportunité pour Nicola
Sturgeon. Il lui permettrait de pous-
ser pour l’organisation d’un nou-
veau référendum sur l’indépen-
dance de l’Ecosse, après celui
de 2014 où 55% des Ecossais avaient
rejeté la partition.
Légalement, affirme Londres, le
gouvernement britannique devrait
autoriser la tenue d’un tel scrutin,
ce qu’il n’est bien entendu pas en-

clin à faire. Mais la pression de
l’opinion publique pourrait ne pas
lui laisser le choix.«L’union qu’est le
Royaume-Uni est en danger mortel
–plus vif aujourd’hui qu’au cours de
ses 312 années d’existence», avertia
l’ancien Premier ministre tra-
vailliste britannique Gordon
Brown, écossais et contre l’indé-
pendance.

Des émeutes
aupays de Galles?
La région est surtout connue pour
ses agneaux, mais ce sont des pou-
les auxquelles Boris Johnson a
choisi de rendre visite mardi. Les
photographes se sont régalés de-
vant sa mine déconfite face à la vo-
laille rousse qu’on lui avait placée
entre les mains. Il y a trois ans, le
pays de Galles a voté à 52,5 % en fa-
veur du Brexit. La région rurale, sur
laquelle broutent quelque dix mil-
lions de moutons, reçoit chaque an-
née 680 millions de livres de sub-
ventions européennes. Et exporte
92% de sa production d’agneau vers
l’UE. Or, la perspective d’une sortie
sans accord inquiète la commu-
nauté d’éleveurs. Les tarifs doua-
niers appliqués dans ce cas de
figure pourraient s’élever à 40 %.
Lors de sa visite, Boris Johnson a
promis«d’apporter l’aide qu’il fau-
dra aux éleveurs pour trouver de
nouveaux marchés», ans donners

plus de détails. Certains dans son
entourage ont suggéré le Japon, sa-
chant que ce pays consomme très
peu d’agneau.
Le Premier ministre a répété que
son objectif n’était pas un Brexit
sans accord, mais que la balle était
«dans le camp de nos amis et parte-
naires de l’autre côté de la Manche».
Boris Johnson s’emploie soigneuse-
ment à préparer l’opinion publique
à porter le blâme d’une sortie sans
accord sur l’UE. L’industrie galloise
de l’élevage soutient 45 000 em-
plois et 25 000 éleveurs.«Si nous
sortons sans accord, ce sera absolu-
ment catastrophique, même si c’est
juste pour quelques mois», aréagi
Helen Roberts, porte-parole de l’as-
sociation des éleveurs de moutons
du pays de Galles. Le Premier mi-
nistre«doit arrêter de jouer à la
roulette russe avec l’industrie
comme il semble le faire en ce mo-
ment», -t-elle ajouté. De son côté,a
le syndicat des fermiers a mis en
garde contre«d’importants troubles
civils» n cas de Brexit sans accorde
le 31 octobre.
Après les poulets et les moutons,
Boris Johnson s’est rendu à l’Assem-
blée galloise à Cardiff où, comme la
veille, il a été accueilli par les hurle-
ments hostiles de la foule. Il y a ren-
contré Mark Drakeford, le Premier
ministre gallois. Après leurs discus-
sions, ce dernier s’est dit«profondé-

Par
SONIA
DELESALLE-STOLPER
Correspondante à Londres

Un petit «BoJo»


de chemin dans un pays


en risque de rupture


Pour présenter son Brexit, le nouveau Premier ministre britannique


s’est rendu en Ecosse, au pays de Galles et en Irlande du Nord.


Accueil glacial des civils, méfiance des autorités et objectifs flous


pour la date butoir du 31 octobre: les déplacements


de Boris Johnson se suivent et se ressemblent.


100 km

Londres

ROYAUMEUNI

IRL.
DU N.

ÉCOSSE

PAY S
DE GALLES

ANGLETERRE

Océan
Atlantique

Mer
du Nord

Manche

IRLANDE

6 u ibération L Jeudi^1


erAoût 2019
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