Les Echos - 01.08.2019

(nextflipdebug5) #1
L’empire contre-attaque. Un mois
après l’annonce de l’accord com-
mercial entre l’Union européenne
(UE) et le Mercosur, Washington
souhaite reprendre l’initiative sur
le f ront du l ibre-échange, e n faisant
miroiter un accord bilatéral avec
le Brésil, qui est le protagoniste
du bloc du Cône sud (aux côtés de
l’Argentine, de l’Uruguay et du
Paraguay).
C’est d’abord Donald Trump qui
a martelé le message. « Nous allons
plancher sur un accord de libre-
échange avec le Brésil », a-t-il lancé

depuis la Maison-Blanche, en dépit
de la vague protectionniste en
cours. « Il y a tout un tas de droits de
douane mais, à part ça, on adore
cette relation [avec le Brésil] », a
poursuivi le président américain.

Gare à l’Union européenne
Ce message a été assorti d’une mise
en garde à l’égard de l’accord Union
européenne-Mercosur, qui pour-
rait contenir des « pièges », selon le
secrétaire américain au Commerce
Wilbur Ross. « Veillez à ce que
l’accord ne contienne pas de “pilule

empoisonnée” qui nous empêcherait
de signer un bon accord avec vous à
l’avenir », a-t-il prévenu les mem-
bres de la Chambre de commerce
américaine à São Paulo.
Hasard du calendrier : Wilbur
Ross a débarqué mardi au Brésil
alors que Jean-Yves Le Drian bou-
clait sa visite de trois jours dans le
pays. Le secrétaire américain au
Commerce devait être reçu, mer-
credi, par le ministre brésilien de
l’Économie, Paulo Guedes, et par
le président Jair Bolsonaro, qui
a annulé en dernière minute son

rendez-vous avec le ministre fran-
çais de l’Europe et des Affaires
étrangères en début de semaine.

Une initiative surprenante
Les relations entre Washington et
Brasília sont au beau fixe. Au point
que Jair Bolsonaro s’est permis une
initiative surprenante, qui a appa-
remment ravi Donald Trump :
désigner son propre fils, le député
Eduardo B olsonaro, c omme le pro-
chain ambassadeur du Brésil aux
États-Unis. « Je connais son fils et le
trouve incroyable. C’est un jeune

brillant, génial », a estimé le prési-
dent américain.
Cette nomination, polémique,
doit encore être entérinée par le
Sénat brésilien, où sévit un autre
fils du chef de l’État brésilien,
Flavio. « Bolsonaro est un type
fantastique, avec une famille
merveilleuse », n’hésite pas à
ajouter Donald Trump. Certains
s’étonnent toutefois de cette lune
de miel prolongée : « Les Amé-
ricains n’en reviennent pas de
voir ainsi le Brésil s’offrir à eux »,
estime un analyste.n

Thierry Ogier
—Correspondant à São Paulo


COMMERCE


Le secrétaire au
Commerce Wilbur
Ross met en garde
Brasília contre une
éventuelle « pilule
empoisonnée »
dans le traité signé
avec Bruxelles.


L’accord Europe-Mercosur dans le viseur de Washington


Virginie Robert
@virginierg

Comme en 2008, la vague a d’abord
pris forme dans le Pacifique et
gagné en vigueur et en hauteur. Ce
sont les banques centrales d’Austra-
lie et de Nouvelle-Zélande qui ont,
de nouveau, donné le « la » cette
année, en abaissant les premières
leurs taux directeurs, anticipant de
quelques mois le mouvement d’ins-
titutions monétaires plus à l’ouest.
« Ce sont de bons indicateurs d’un
mouvement qui va se poursuivre
parmi les banques centrales », esti-
mait, en juin, Christopher Dembik,
économiste chez Saxo Bank.
A l’origine de ces mesures, non
pas une crise financière mondiale
mais un faisceau d’éléments qui
pèsent sur les perspectives de crois-
sance des pays développés comme
émergents. « L’incertitude engen-
drée par le commerce et les conflits
technologiques affecte l’investisse-

ment et accroît les risques pour l’éco-
nomie mondiale », a expliqué, début
juillet, Philip Lowe, le gouverneur
de la banque centrale australienne.
De façon consécutive, en juin et
juillet, celle-ci a baissé ses taux
directeurs de 0,25 % pour les des-
cendre à 1 % et remédier ainsi aux
craintes posées par le ralentisse-
ment de la croissance en Chine, son
principal partenaire commercial,
et pour répondre à une crise du
marché immobilier et au coup de
frein de la consommation des
ménages. La Banque de réserve de
la Nouvelle-Zélande, qui les a abais-
sés à 1,25 %, pourrait récidiver en
août: les entreprises locales broient
du noir et le marché du bois est en
plein ralentissement.
Elles ont fait des émules avec la
banque centrale indienne, qui
début juin a abaissé son taux direc-
teur de 0,25 point, à 5,75 %, alors
que la croissance du premier tri-
mestre était à son plus bas depuis
quatre ans (+5,8 %). Ont suivi les
banques centrales de Malaisie, des
Philippines, d’Indonésie, de Corée
du Sud... et d’Afrique du Sud. Fin

juillet, la vague a gagné l’Occident
par le Bosphore : la Turquie a
abaissé son taux directeur d e 24 % à
19,75 %, sa première baisse –
425 points de base – depuis 2015.
Murat Uysal, le nouveau gouver-
neur de la banque centrale, a invo-
qué une baisse de l’inflation et des
politiques plus accommodantes de
la Fed et de la BCE comme autant de
raisons pour agir. C’est désormais
au tour de la Réserve fédérale de
prendre des mesures, suivie sans
doute dès septembre par la Banque
centrale européenne, face à une
inflation qui ne décolle pas.

Des risques multiples
Les banques centrales intervien-
nent tôt pour donner un coup de
fouet à une activité qui ralentit, et
ouvrir la voie à des politiques fisca-
les plus ambitieuses. Mais ce n’est
pas sans risque : cela peut contri-
buer à renchérir les actifs finan-
ciers, créer de nouvelles bulles,
accroître les difficultés du secteur
bancaire qui souffre de taux d’inté-
rêt déjà très bas, voire négatifs, et à
prélever des munitions précieuses

en cas de nouvelle crise. Tous les
instituts d’émission ne sont pas sur
ce mode. A Pékin, même avec un
taux de croissance descendu à
6,2 %, ou à Ottawa où l’activité
reprend, on n’est pas près de bou-
ger. C’est moins vrai à Tokyo et à
Londres, en raison de l’impact des
politiques monétaires américaine
et européenne sur les devises res-
pectives de ces pays. Mardi, le
Japon a maintenu sa politique
monétaire ultra-accommodante
inchangée (taux d’intérêt négatifs
sur certains dépôts de banques,
plan massif de rachats d’actifs)
mais se réserve le droit de réagir.
Notamment si le yen se renchéris-
sait trop par rapport au dollar, ce
qui affecterait ses exportations.
Quant à Londres, le comité de
politique monétaire qui se tient ce
jeudi sera très suivi car la banque
est la seule à avoir un biais e n faveur
d’une remontée de ses taux. Un dis-
cours difficile à tenir dans l’environ-
nement actuel et alors que l’arrivée
de Boris Johnson, prêt à sortir de
l’UE sans accord, a provoqué une
chute de la livre sterling.n

Du Pacifique à l’Atlantique, les banques centrales


renforcent leur soutien à l’économie


Une dizaine de banques
centrales ont abaissé leurs
taux depuis quelques mois.

La Fed confirme son virage de politique


monétaire en abaissant ses taux d’intérêt


Nicolas Rauline
@nrauline
—Bureau de New York


La décision est historique. Malgré
une croissance qui résiste, à 2,1 %
au deuxième trimestre, et une
consommation soutenue, la
Réserve fédérale américaine a
décidé de réduire ses taux d’intérêt,
à l’issue de son comité de politique
monétaire. Elle a annoncé, mer-
credi, une baisse de 0,25 point,
comme attendu, pour les ramener
entre 2 % et 2,25 %, six mois seule-
ment après la dernière hausse. Une
première depuis 2008. La Fed a mis
en avant la dégradation du contexte
international, et la faiblesse per-
sistante de l’inflation, qui reste en
dessous de l’objectif des 2 %. Deux
participants ont voté contre la
baisse des taux. La Fed a aussi
annoncé qu’elle arrêtait dès à pré-
sent la réduction de son bilan, soit
deux mois plus tôt que prévu.


Des indicateurs contrastés
Après s’être montrée prudente pen-
dant des mois, la banque centrale
américaine avait multiplié les
signaux, ces dernières semaines,
sur une inflexion de sa politique.
Le mois dernier, son président
Jerome Powell avait reconnu : « Les
arguments pour une politique plus
accommodante se renforcent. » Dans
un discours prononcé à Paris il y a
quelques jours, il avait aussi insisté
sur l’interconnexion de l’économie
américaine avec le reste du monde,
argument repris d’ailleurs par sa
prédécesseure Janet Yellen, qui a
soutenu une baisse des taux.
Jerome Powell avait aussi appelé
à une surveillance accrue des indica-
teurs économiques. Or, ceux-ci souf-
flent toujours le chaud et le froid. La
consommation a continué à tirer la
croissance américaine au deuxième
trimestre, le chômage reste au plus
bas depuis cinquante ans, mais les
investissements des entreprises
s’essoufflent et l’inflation ne décolle
pas, dans un contexte de déficits
publics record. Une situation nou-
velle qui fait s’interroger les écono-
mistes, qui avancent plusieurs expli-
cations, comme la mondialisation,
l’importance prise dans l’économie
par les géants du numérique, trans-
nationaux, ou l’explosion de la dette.
La Fed subit aussi depuis plu-
sieurs mois une intense pression
politique. Donald Trump milite
pour l’abaissement des taux et a
encore déclaré cette semaine qu’il
fallait un stimulus bien supérieur à
une baisse d’un quart de point. Alors
même qu’il a choisi Jerome Powell,
celui-ci se retrouve aujourd’hui sur


ÉTATS-UNIS Chine-


Etats-Unis :
rendez-vous
en septembre

A l’issue de deux jours
de négociations à Shan-
ghai, Chinois et Améri-
cains sont convenus de
se revoir en septembre
aux Etats-Unis après
des échanges « francs,
efficaces et construc-
tifs » pour tenter
d’enrayer leur guerre
commerciale, en dépit
de vives critiques de
Donald Trump la veille
à l’encontre de la
Chine. Lors de la
reprise des discussions
après trois mois
d’interruption, les
négociateurs ont dis-
cuté notamment de
« l’augmentation par la
Chine de ses achats de
produits agricoles amé-
ricains, selon ses
besoins nationaux »
d’après Chine nouvelle.

la sellette. Les investisseurs avaient,
eux, déjà anticipé une baisse des
taux, qui a porté les marchés des
actions et des obligations dernière-
ment. Dans les jours qui viennent, il
s’agira donc de savoir s’ils auront été
convaincus par le discours de
Jerome Powell, très attendu. Ils
tablent sur de nouvelles baisses des

taux avant la fin de l’année. En effet,
jamais depuis vingt-cinq ans la Fed
ne s’est contentée d’une seule baisse.
Or, aujourd’hui, les avis diver-
gent. L’unanimité qu’avait réussi à
construire Jerome Powell autour
des décisions de la Fed, ces derniers
mois, n’existe plus. Les gouver-
neurs de la Fed de Saint Louis, de
Boston ou de Kansas City avaient
affiché leurs divergences ces der-
nières semaines. Les défenseurs
d’une simple correction, sans
entrer dans un nouveau cycle de
baisses, sont nombreux. Les pro-
chaines réunions de politique
monétaire de la Fed s’annoncent
agitées, à commencer par celle des
17 et 18 septembre.n

Les prochaines
réunions de politique
monétaire de la Fed
s’annoncent agitées.

lLa Réserve fédérale américaine considère que la faible inflation, le contexte international et le ralentissement


des investissements pèsent davantage sur les perspectives que le faible taux de chômage et la consommation.


lUn tournant dans la politique monétaire.


MONDE


Jeudi 1er août 2019Les Echos

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