Les Echos - 01.08.2019

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08 // IDEES & DEBATS Jeudi 1er août 2019 Les Echos


ON A VOLÉ LE SCEPTRE DE JUPITER
UNE INTRIGUE POLITIQUE EN 15 ÉPISODES

par Le Baron de S.
Sous ce pseudo se dissimule un familier du pouvoir et de ceux qui l’occupent,
dont l’identité surprendrait et amuserait beaucoup, ô lecteur!
si nous pouvions la révéler...

Elle se retourna vers Marion : « Ne te marie
jamais... Bon, revenons au sujet. Non, je ne suis
pas là pour te narguer, je t’explique qu’on ne peut
gagner qu’ensemble, toi avec moi. Moi devant, toi
derrière, prête à prendre la relève. Age before
beauty, ma colombe. »
Dans l’autre a ile, Jean-Marie Le Pen entonnait
un plain-chant wisigothique. « Transeamus
usque Bethlehem, et videamus hoc verbum quod
factum est », cantilènait-il.
« En gros, à toi, l’Elysée, à moi, Matignon, et on
met la Castafiore au Conseil constit’? reprit
Marion.


  • Tu ne devrais pas parler de ton grand-père
    comme ça, s’esclaffa Marine. Au Conseil constitu-
    tionnel, il leur en remontrerait, mais bon, deux Le
    Pen ça va, trois Le Pen, bonjour les dégâts! On va
    plutôt le mettre à la tête des chœurs de Radio
    France, non? Et Robert Menard à la tête de tout
    l’audiovisuel public. La tête de Demorand! »
    Elles rirent de bon cœur. Marine reprit sérieu-
    sement : « Je te nomme d’office directrice de cam-
    pagne, et Premier ministre, si ça marche. Deal? »
    On toqua une troisième fois à la porte. Marine,
    qui n’en pouvait plus des interruptions d’Aliot,
    s’était transformée en bulldog. Elle courut à la
    porte : « Tu n’as pas bientôt fini de m’embêter,
    espèce d’incapable de mes deux?! » hurla-t-elle
    en ouvrant la porte. C’était Zemmour, tout
    rétréci, ne comprenant pas ce qui lui arrivait.
    Marion avait oublié ses lunettes de soleil au res-
    taurant. Il lui donna et repartit. Marion avait eu
    le temps de réfléchir à sa réponse.
    « Ok, mais à une condition : on nomme Zem-
    mour porte-parole du gouvernement ; j’ai hâte de
    lui donner des ordres, et des fessées, s’il n’est pas sage.

  • Tout ce que tu veux ma poulette, à nous deux,
    ça va swinguer. Allez, je te paye un coup pour fêter
    ça! »
    Le soir même, elles enregistrèrent un live
    Facebook depuis le bureau de Marine, devant
    deux drapeaux bleu-blanc-rouge. Marion se
    tenait derrière, bien droite avec un œil qui disait
    zut à l’autre. Marine, l’air grave, regardait la
    caméra : « Le Rassemblement national avait mis
    l’intérêt supérieur de la France au-dessus des cal-
    culs partisans. Une fois de plus, la médiocrité des
    politichiens l’a e mporté sur cette logique. Ça n e fait
    rien. Moi, Marine Le Pen, avec l’appui et le soutien
    de Marion, ma future Premier ministre, j’ai l’hon-
    neur de me présenter à vos suffrages pour la pro-
    chaine élection présidentielle. Contre la clique,
    contre la caste, contre le parti de la mondialisa-
    tion. Pour la souveraineté, pour le peuple, pour la
    France. »n


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Illustration

M

arion

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oulin. Photos Shutterstock

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Demain : Le sens du combat

« Messieurs, pardonnez-moi, je dois vous lais-
ser entre hommes, la gynocratie m’appelle », dit-
elle en fusillant Zemmour du regard. Elle partit
immédiatement. Zemmour était interdit.


  • Bah quoi, qu’est-ce que j’ai d it? » b albutia-t-il.
    Buisson avait l’air agacé et le fut vraiment quand
    Guillebon, prétextant qu’il avait oublié son por-
    tefeuille, lui demanda de régler l’addition.
    La nièce et la tante se retrouvèrent dans un
    salon du château de Montretout, dans l’aile où
    Marine Le Pen avait ses bureaux. De l’autre côté
    de la cour, on entendait, par la fenêtre, une voix
    d’homme entonner à tue-tête tantôt des chan-
    sons paillardes, tantôt du Verdi, des marches
    allemandes ou des poèmes de Brasillach. Pas de
    doute, le « Menhir » Jean-Marie était là, bon pied
    bon œil. Pendant que le Pavarotti de Saint-Cloud
    entamait une version pour la voix de la Chevau-
    chée des Walkyries, Marine accueillit Marion
    d’une bise franche et cordiale. Elles s’assirent
    dans deux fauteuils, et Marine servit un café à
    Marion. Puis elle commença : « Bon allez, ma
    cocotte, on met tout à plat, ça sert à rien de poursui-
    vre Dallas, on va pas passer notre vie à se déchirer
    publiquement en famille. » « Je s uis bien
    d’accord », s’apprêtait à répondre sa nièce, quand
    on toqua à la porte. C’était Aliot. « Marineu, ma
    chérie, pour le dîner, je ne me souvieng plus, je fais
    des poivrons farcis ou de la ratatouilleu?

  • Ecoute, Louis, grogna la présidente, tu me
    saoules, là, tu vois bien qu’on travaille! Fais-moi
    un steak-frites et arrête de me casser les pieds. »
    Aliot sortit, penaud, en s’excusant. Marine
    reprit : « La disparition de Macron, c’est la chance
    de n otre vie. S i on va t outes les deux à l’élection pré-
    sidentielle, on prendra un bouillon. Moi, tous les
    ouvriers du Nord me suivent ; toi, tous les retraités
    du Sud t’adorent. Les autres électeurs nationalis-
    tes se partageront entre nous, et c’est nos concur-
    rents qui nous passeront devant. T’es trop jeune
    pour t’en souvenir, mais, en 1995, Chirac contre
    Balladur, ça donne Jospin en tête du premier tour.

  • Et Chirac élu derrière, lui rétorqua Marion,
    qui connaissait son histoire politique sur le bout
    des doigts.

  • T’as tout à fait raison. Chirac, le candidat le
    plus “peuple”. Et à ton avis, c’est toi ou c’est moi?
    répondit Marine avec un sourire de loup carnas-
    sier.

  • Bon, on est là pour quoi, au juste? Que tu
    m’expliques que tu vas gagner? »
    On toqua à nouveau à la porte. Marine gro-
    gna, et on vit passer la tête d’Aliot : « Marineu, ma
    caille en sucre, et pour le dessert? Je pourrais nous
    faire uneu charlotte aux fraises?

  • Louis, combien de fois dois-je te dire que je sur-
    veille ma ligne? Merde, à la fin, tu veux me faire
    perdre ou quoi? De la glace vanille-chocolat, et
    c’est tout. Avec un peu de chantilly. Et laisse-nous
    bosser, nom de Dieu. »


nant, avec vos idioties d’alliance à gauche, c’est la
petite Marion qui occupe notre créneau, comment
veux-tu faire pour t’en débarrasser?


  • Je ne sais pas bien, Bruno, il faut que je te
    l’avoue, mais c’est pour ça que j’ai convoqué cette
    réunion : donnez-moi votre avis, bon sang de bois. »
    Un ange passa. Puis un deuxième, et enfin un
    troisième. Gilbert Collard, lâcha :

  • On va p eut-être mettre u ne boîte à idées dans le
    hall d’entrée, ça pourrait nous servir?

  • Merci, Gilbert, le coupa Marine, garde tes
    plaisanteries pour tes aïolis à Saint-Gilles avec les
    chasseurs, s’il te plaît. Bon, puisque vous êtes des
    gros nuls sans aucune utilité, la réunion est ajour-
    née. Je vais me débrouiller toute seule. Une seule
    consigne, pas un mot aux médias, pas un tweet,
    rien, tant que je n’ai pas communiqué, moi, c’est
    bien clair? »
    Elle se leva, martiale. Aliot fit mine de la sui-
    vre, elle ne lui jeta pas même un regard. Il fut
    obligé d e se rasseoir piteusement. D ans l e même
    temps, Marion Maréchal déjeunait avec Jacques
    de Guillebon, son acolyte de toujours, conseiller
    occulte et rédacteur en chef du journal « L’Incor-
    rect », Eric Zemmour et Patrick Buisson, au pre-
    mier étage de La Rotonde, à une table d’angle à
    l’abri d es indiscrets e t des importuns. G uillebon,
    fils d’une vieille famille ayant toujours servi la
    France, se revendiquait du Christ et de Bakou-
    nine et portait cheveux longs et col sans cravate.
    Il défendait inconditionnellement et avec pana-
    che l’idée du maintien d’une candidature :
    « On se fiche que Macron soit parti, au con-
    traire. Marion, tu portes l’avenir, toi seule peux
    sauver le pays, Marine est un repoussoir évident,
    elle ne gagnera jamais...

  • Le repoussoir Le Pen marchera aussi avec
    Marion, l’interrompit Buisson, avec son air de
    méchant de bande dessinée, qui était excédé par
    l’exaltation du jeune blanc-bec. Mais, en mathé-
    matiques, moins p ar moins, ç a fait p lus : la tante e t
    la nièce ensemble repoussent le repoussoir et peu-
    vent unir toute la droite, avec nous et le peuple en
    colère. On donne à Marine la clef de l’Elysée, qui
    n’est q u’un h ochet s ymbolique, e t on prend le reste,
    Matignon, les ministères et l’Assemblée, là où on
    peut vraiment exercer une action politique. C’est
    un tandem gagnant.

  • Deux femmes à la tête de France, une régence
    bicéphale, eh bien, on est tombé bien bas », pesta
    Zemmour, dont l’antiféminisme était le noyau le
    plus profond et le plus incandescent de ses con-
    victions. Il préférait encore Tariq Ramadan à
    Marlène Schiappa. Marion les regardait pen-
    sive, ne disant rien. Elle attendait un signe. Com-
    plètement perdue face à ce dilemme, elle priait
    le ciel de lui envoyer un message pour lui indi-
    quer la marche à suivre. A ce moment, elle reçut
    un texto : « On peux ce voir? Marine. » C’était le
    signe du ciel, merci Seigneur!


A


près l’annonce sur Facebook de
Mélenchon, vue par plus d’un
million de personnes, et reprise
par toute la presse, une horde
innombrable de journalistes
avaient traqué le général de Villiers pour avoir sa
réaction. Ce dernier était invisible, introuvable,
inaudible. Et puis, une brève du « Soir », le grand
quotidien belge, signala qu’il avait été aperçu à
Bruxelles. Quelques heures après, un communi-
qué de presse tombait depuis la capitale belge.
« Les conditions n’étant plus réunies pour que ma
candidature suscite l’union de tous les patriotes, je
me retire ad vitam aeternam du jeu politique, ainsi
que du territoire national et souhaite bonne
chance à la France. » Les éditorialistes s’en don-
naient à cœur joie. Natacha Polony, qui connais-
sait son histoire de France, signa dès le lende-
main un édito : « Boulanger le petit, l’histoire se
répète toujours de manière comique. » Franz-
Olivier Giesbert, qui avait, lui aussi, des lettres et
de la roublardise, déclara publiquement : « Il est
mort politiquement comme il a vécu, en sous-lieu-
tenant », avant de devoir admettre qu’il avait volé
la formule à Clemenceau. En clair, l’aventure
était terminée. Le Rassemblement n ational était,
lui, dans tous ses états. Marine Le Pen avait con-
voqué une réunion, la limitant à son état-major
et ses alliés politiques. Dans un souci d’unité, elle
avait invité ceux qui, parmi ses proches, avaient,
quelques heures plus tôt, rallié Marion. Les jour-
nalistes et les militants étaient, en revanche,
exclus. Louis Aliot, compagnon à la ville de la
présidente et incarnation de l’aile sudiste du
parti, libérale et xénophobe plus que souverai-
niste et populaire, tempêtait de sa voix à l’accent
chantant contre la trahison de Kotarac : « Ce petit
salopiaud est bien la preuve que les souverainistes
de gauche sont des faux patriotes, mais des vrais
marxistes [malgré toutes les trahisons, il ne pou-
vait s’empêcher de citer Jean-Marie Le Pen, à
l’ombre duquel il avait grandi politiquement pen-
dant trente ans]. Ce faux jeton n’a pas intérêt à me
croiser ou il va se prendre un jeton, mais un vrai.
Un tampon, comme on dit à Aimé-Giral (c’était le
stade de rugby de Perpignan) ». Gilbert Collard,
l’ancien avocat d’extrême gauche, ne disait rien :
il attendait toujours d’être devant une caméra
pour donner le meilleur de lui-même. Dupont-
Aignan, le regard dans le vide, essayait de se met-
tre en posture physique de général de Gaulle
pour penser comme lui et savoir ce qu’il devait
faire. I l envisageait très sérieusement une allocu-
tion aux Français sur le thème « Je vous ai com-
pris », mais il n’était pas sûr de son effet. Toute la
jeune génération des Briois, Bardella et autres
Rachline gardait également le silence, sachant
que f ormer un raisonnement politique nécessite
d’abord de former un raisonnement tout court,
ce dont ils ne se sentaient pas tout à fait capables.
Marine Le Pen, l’air plus fatigué que d’habitude
(« elle a encore mis du calva dans son café ce matin
pour oublier le choc », persifla même une mau-
vaise langue) prit finalement la parole :
« Bon, on ne va pas tortiller, on s’est bien fait
avoir. Avec ce général Alcazar, on pensait qu’on
allait pouvoir fiche Macron dehors et enfin entrer
dans les ministères. Eh bien, Macron est parti tout
seul, et Alcazar nous a laissés en chiens de faïence.
Caramba, encore raté. Les e nfants, ça ne fait r ien, à
la guerre comme à la guerre, on va repartir seuls
au combat, on n’a pas besoin des cocos pour briser
le plafond de verre, et puis de toute façon, plutôt
mort que rouge! »
« Chère Marine », s’agaça Bruno Gollnisch,
dinosaure d’une autre époque et vieux grognard
du premier FN, celui de Jean-Marie. Il était l e plus
capé intellectuellement autour de la table, ce qui
lui donnait le droit de donner son avis. « Mainte-

Résumé des épisodes


précédents : E. Macron


renonce à se


représenter à l’élection


de 2022. F. Hollande est


désigné candidat par les


socialistes, N. Sarkozy


par la droite.


La plongée sous Marine

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