Les Echos - 01.08.2019

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Les Echos Jeudi 1er août 2019 IDEES & DEBATS// 09


Samir Touzani
@sam_touzani


A


u n° 114, Apple paie
14 millions d’euros d e
loyer annuel pour
son vaisseau amiral
de 5.500 mètres car-
rés inauguré en grande pompe en
novembre. A quelques encablures,
au n° 79, le fonds souverain Norges
Bank a déboursé 613 millions pour
racheter à Groupama l’immeuble
Art Déco bientôt occupé par Nike.
Les enchères grimpent pour
s’offrir u ne adresse s ur la « plus belle
avenue du monde », quatrième
artère commerciale de la planète,
selon le classement annuel de Cush-
man & Wakefield. Un commerce s’y
loue en moyenne 14.470 euros le
mètre carré par an. Et le soleil se
paie encore plus cher. Jusqu’à
21.000 euros le mètre c arré côté p air,
contre 12.000 euros pour les adres-
ses impaires. Une ombre qui tend
néanmoins à s’estomper.


Théâtraliser l’offre
Une flambée légitime pour Eric
Costa, président de Citynove, la fon-
cière du groupe Galeries Lafayette,
qui a inauguré son flagship au n° 60
en mars 2019. « Etre sur les Champs,


ce n’est pas qu’une question d’image,
la qualité de la clientèle est exception-
nelle », détaille le dirigeant. La pro-
menade longue de 1,91 kilomètre
génère un chiffre d’affaires annuel
de 1,5 milliard d’euros. Et attire plus
de 100 millions de personnes c haque
année, dont plus d’un tiers d’étran-
gers. Le record absolu en Europe.
Pour rentabiliser ce trafic hors
norme, les commerces évoluent.
L’arrivée des Galeries sur l’ancien
emplacement d’un Virgin Megas-
tore n’est pas anodine. Le géant des
biens culturels a dû mettre la clef
sous la porte en 2013 avec l’effondre-
ment des marchés physiques et la
concurrence d’Amazon et d’Apple.
Le numérique oblige les enseignes à
repenser la relation client. « Le shop-
ping est devenu une activité de loisirs.
L’impact du digital les oblige à propo-
ser de nouveaux services dans des
lieux toujours plus spectaculaires et
innovants », explique le président de
Citynove. L’ouverture d’un espace
culinaire dans l’enceinte des Gale-
ries ou les concerts donnés dans le
flagship d’Apple répondent à cette
nécessité de théâtraliser l’offre. « Il
faut donner des raisons aux clients de
venir plutôt que d’acheter en ligne »,
résume Eric Costa.
Depuis un an, 11 des 69 bâtiments

de l’avenue ont été rénovés
(10.000 euros/m² de travaux pour
Apple) ou sont en cours de restruc-
turation pour une surface proche de
100.000 mètres carrés, selon le
Comité Champs-Elysées, une asso-
ciation qui regroupe les commer-
çants de l’avenue... C’est devenu un
gigantesque centre commercial pre-

mium, et ce, au détriment de l’iden-
tité de l’avenue, selon son président,
Jean-Noël Reinhardt. « Les Parisiens
ont déserté », déplore-t-il. Ils ne
seraient plus que 2 % à l’emprunter.
« Depuis toujours, le caractère uni-
que des Champs-Elysées, c’est son pro-
fil non spécialisé et son côté ludique. »
Alors qu’elle était autrefois l’avenue

des cinémas et de l’automobile, la
moitié des salles obscures ont fermé
depuis le début des années 1990 et
les constructeurs auto abdiquent un
à un. Dans son projet « Réenchanter
les Champs-Elysées », le comité
dénonce le trafic routier trop dense
et l’absence d’évolution de l’artère
depuis vingt-cinq ans. Avec les

JO 2024, il espère mobiliser les pou-
voirs publics pour éviter qu’après les
Parisiens, les visiteurs étrangers ne
se détournent des Champs.n

Depuis un an, 11 des 69 bâtiments de l’avenue ont été rénovés. Photo hemis.fr/AFP

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Demain : Via Monte Napo-
leone, le cœur du luxe italien

SÉRIED’ÉTÉ
LES RUES LES PLUSCHÈRES DU MONDE
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seurs, il aurait mis la clef sous la porte.
Leçon que n’oubliera jamais l’acteur, dont
la c arrière s’accompagne d ’un engagement
sans faille pour les droits civiques, contre
la guerre du Vietnam et le président
Nixon... Etre engagé « à gauche » n’empê-
che d’ailleurs pas d’avoir l’esprit d’entre-
prise. Avant sa fréquentation des cours de
la Yale Drama School et de l’Actor’s Studio,
Newman améliorait déjà son ordinaire
d’étudiant au Kenyon College de Gambier
grâce aux revenus de la laverie automati-
que qu’il avait ouverte sur le campus.

Partenariat avec McDonald’s
La collection de sauces Newman’s Own
s’enrichit (balsamique, Caesar, BBQ....)
ornée du même logo, le portrait crayonné
de la star. Sa femme, l’actrice Joanne
Woodward, met au pot commun une
recette de limonade qui lui vient de ses
ancêtres sudistes. Une de leurs filles, Nell,
se lance dès 19 93 dans les biscuits bio ven-
dus également sous le label. En 2003, la
marque déjà largement commercialisée
dans la grande distribution signe un parte-
nariat avec McDonald’s. Une bonne partie
des franchisés de Nouvelle Angleterre ont
ainsi servi à leurs clients sauces et café
Newman’s Own. Onze ans après la mort de
l’acteur, ses produits continuent à se ven-
dre au profit de la fondation. En France, on
en trouve une cinquantaine sur Amazon
ainsi qu’une petite sélection sur le site My
American Market.n

Paul Newman, le saucier philanthrope


Onze ans après la mort
de Paul Newman, ses produits
continuent à se vendre.
Photo Armando Gallo/Zuma Studio- RÉA

Transformée en fondation, l’entreprise de


sauces et condiments Newman’s Own a


versé en trente-sept ans quelque 535 mil-


lions de dollars à des projets d’aide à l’en-


fance défavorisée ainsi qu’aux familles des


vétérans.


DESSTARSETDES MARQUES


SÉRIED’ÉTÉ
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Valérie Leboucq
@vleboucq


O


n connaît l’acteur aux huit
oscars et sa passion pour le
sport automobile (il a couru
au Mans et Daytona
Beach...). Beaucoup moins le
créateur de sauces vinaigrette et coulis de
tomates. Vendus sous la marque New-
man’s Own, leur succès est à l’origine d’une
PME familiale transformée en fondation
en 2005 – dont l’intégralité des profits
sert à financer des causes philanth-
ropiques centrées sur l’enfance défa-
vorisée, l’aide aux vétérans et leurs
familles. Depuis 1982, année du lan-
cement de la marque, à novem-
bre 2018, c’est un total de 535 mil-
lions de dollars qui ont été versés à
plus de 22.000 projets, bourses
d’études et camps d’été pour les
enfants malades, notamment
grâce au réseau Serious Fun
Children’s Network.
Tout commence par une idée
insolite de cadeau de fin
d’année. Bien avant que le « do it


yourself » devienne une mode – on est en
1980 – Paul Newman et son ami voisin,
l’écrivain, A.E. Hotchner, décident d’offrir à
leurs invités de la vinaigrette confection-
née par l’acteur, cuisinier à ses heures. Cha-
cun repart avec une bouteille garnie de sa
sauce salade à l’huile d’olive. Tout le monde
en redemande et le bouche-à-oreille
aidant, la liste des « clients » s’allonge.

Laverie automatique
Paul Newman et A.E. Hotchner tombent
d’accord pour en faire un vrai business
qu’ils démarrent en démarchant les
commerçants du coin. Dès le départ, ils
posent le principe qu’ils ne toucheront
pas un cent de l’opération et consacre-
ront l’intégralité des profits à aider les
enfants. Deux ans auparavant, le héros
d’ « Exodus » et de « Butch Cassidy »
avait vu son fils aîné, Scott, mou-
rir d’une overdose. Il se souvenait
aussi des années noires post-crise
1929 qui faillirent emporter le
magasin d’articles de sport de son
père à Shaker Heights dans la ban-
lieue de Cleveland (Ohio). Sans la
solidarité des clients et des fournis-

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Demain : Oprah Winfrey,
atout de choc pour les marques

Autrefois avenue des cinémas et de


l’automobile, les Champs se méta-


morphosent peu à peu en centre


commercial premium pour profiter


de l’incroyable manne touristique.


Aux Champs-Elysées, les grandes enseignes


inventent le shopping du futur

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