GEO Histoire - 04.2019 - 05.2019

(Tina Meador) #1

C


icéron est un enfant si doué,
dit Plutarque, que ses ca-
marades l’escortent à l’école
comme s’il était déjà un
homme illustre. Le garçon
est né au mitan de l’histoire
romaine, le 3 janvier 106 avant notre ère,
dans la petite ville d’Arpinum, à 120 ki-
lomètres au sud de Rome. Sa famille
aisée et austère, appartenant au presti-
gieux ordre équestre (equester ordo), lui
donne une éducation poussée. Devenu
adolescent, avide de gloire, il se forme
ensuite à la philosophie et au droit dans
une Rome bouillonnante où affl uent de
tous les coins de la Méditerranée les ri-
chesses d’un empire en pleine expan-
sion. Sa passion pour la philosophie
grecque, platonicienne, stoïcienne sur-
tout, dominera toute son existence vouée
à renouveler la vie politique. Car cet in-
tellectuel est aussi un homme d’action,
et ce stoïcien un vrai Romain qui pense
que le premier devoir du citoyen est de
contribuer au bonheur de la cité. Or,
Rome est entrée dans l’ère des troubles.
La vieille cité-Etat craque de s’être
agrandie aux dimensions du monde, et
l’oligarchie qui la gouverne est trop faible
pour maîtriser l’immensité des territoires
conquis. La République agonise. C’est
dans ce climat délétère de triomphe et
de guerre civile que Cicéron se jette dans
l’arène. D’abord au Forum où ont lieu les
procès en public et à ciel ouvert, et où
les performances des avocats sont ap-
plaudies comme celles des gladiateurs
ou des comédiens. Cicéron, dit-on, avait
le trac. Il lui arrivait de bredouiller et de
perdre le fi l de son discours. Quelques
«aff aires» le font pourtant précocement
connaître, avant que sa harangue contre
Verrès, prototype du gouverneur romain
cupide, cruel et débauché (dénoncé par
les habitants de Syracuse), ne le propulse

au premier rang des orateurs. Sa carrière
est lancée. Il épouse Terentia, une éner-
gique fi lle de noble famille qui, en plus
de précieuses alliances, lui apporte une
dot considérable, lui donne deux enfants
(et le quittera trente ans plus tard, le ju-
geant politiquement fi ni, selon l’histo-
rien Salluste !). En 63 av. J.-C., à 43 ans,
ayant gravi tous les échelons, Cicéron
parvient au poste suprême : il est élu
consul pour un an. C’est alors qu’éclate
la conjuration de Catilina qu’il devine,
neutralise et étouff e dans l’œuf par la
seule force de sa parole – les fameuses
«Catilinaires». Il a sauvé Rome d’une
guerre civile sans eff usion de sang, sauf
celui des conjurés, tous exécutés. Le
Sénat lui attribue le titre de «Père de la
Patrie». C’est le couronnement de sa car-
rière et d’une pensée selon laquelle «les
armes doivent le céder à la toge».

Car Cicéron, en ces temps violents
de décadence politique et morale, s’il
se pose en «homme nouveau» par rap-
port à la vieille oligarchie, est aussi un
conservateur qui défend corps et âme
une République légaliste, dans laquelle
le respect à la lettre des lois lui semble
la seule garantie contre l’arbitraire et
les déviations. C’est sa grandeur. Ce sera
sa perte. Il assiste avec méfi ance à l’as-
cension de Jules César, dont il apprécie
l’amitié «délicieuse», dont il admire
l’éloquence «raffi née, éclatante», mais
dont il stigmatise aussi les eff orts pour
briser le cadre des lois. Les trajectoires
des deux hommes sont à l’opposé, mais
leur estime est mutuelle. César respecte
le penseur, l’orateur au-dessus des par-
tis, à mi-distance des optimates («oligar-
ques») et des populares («populaires»),
mais ne voit pas en lui un vrai allié : «S’il

Jules César voit en Cicéron quelqu’un
qui le «déteste cordialement»

Portrait gravé
de Marcus Tullius
Cicero, alias Cicéron.
Homme d’ac-
tion et philosophe
politique, il fut
consi déré de son
vivant comme le
«Père de la patrie».

Au I siècle avant
J.-C., ce consul
mit ses talents
d’orateur au service
des lois. Mais
ses adversaires,
tentés par la
dictature, fi niront
par le supprimer.

CICÉRON, DÉFENSEUR


DE LA RÉPUBLIQUE


Ivan Vdovin/Alamy

102 GEO HISTOIRE

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