des fondateurs de la cité, avec la fameuse légende
d’Enée. Or la découverte, dans les années 1990, de
fragments de céramiques datant de la civilisation
préhellénique mycénienne en Italie centrale oblige
aujourd’hui à reconsidérer la question. Il y aurait eu
dans cette région la présence – voire l’installation –
de navigateurs grecs venus de la Méditerranée...
ROME EXISTAIT-ELLE AVANT L’ARRIVÉE DES FRÈRES JUMEAUX?
La zone était déjà un lieu de trafic intense. Dans ce
carrefour stratégique, constitué de collines au bord
d’un fleuve, les montagnards de l’intérieur de la
péninsule et les habitants des plaines côtières se
croisaient régulièrement pour échanger légumes,
produits de la pêche, animaux (bovins et ovins) et
surtout cet ingrédient vital pour la conservation des
aliments : le sel. Le site s’est transformé ainsi en un
gigantesque passage à gué doublé d’une foire : le
forum Boarium, un marché aux bestiaux, situé au
bord d’un bras du Tibre, aujourd’hui disparu. Le ter-
rain marécageux ne favorisait pas son occupation
permanente mais des tessons en céramique datant
du XIIe au IXe avant notre ère ont été retrouvés. Il
est donc certain que le site de Rome était habité,
de manière plus ou moins permanente, bien avant
753 av. J.-C. Les populations itinérantes se sont
ensuite fixées sur les collines, notamment sur le
futur Capitole. A la fin du Xe siècle av. J.-C., les habi-
tants ont émigré sur le Palatin voisin, plus vaste et
plus sûr. Au IXe siècle, «on peut estimer à quelques
milliers le nombre de ceux et celles qui ont choisi
de construire leurs cabanes non loin du fleuve et
du gué», souligne Alexandre Grandazzi. C’est le
siècle du Septimontium, sept villages flanqués sur
les sommets des sept collines. Ils formaient une
alliance aux liens très lâches, sans qu’il soit pos-
sible d’établir une continuité entre ces premiers
établissements et la future ville de Rome. Le tracé
de Romulus marqua une suprématie acquise par
la colline du Palatin sur l’ensemble du site. Comme
le précise Alexandre Grandazzi, la question «n’est
pas celle de la présence indubitable d’une occupa-
tion humaine du Palatin aux époques antérieures
au VIIIe siècle av. J.-C., mais plutôt celle des rythmes
et des modalités de cette occupation».
COMMENT LA CITÉ A-T-ELLE ÉTÉ PEUPLÉE?
Des fouilles récentes ont révélé que la vallée située
entre les sept collines a été aménagée au VIIIe siècle
av. J.-C., au moment où s’élevait l’enceinte du Pala-
tin construite par Romulus. Très vite, deux princi-
pales communautés se sont installées : les Latins,
venus de l’ouest, sur le mont Palatin, et les Sabins,
peuples du Nord-Est, lesquels ont investi les hau-
teurs du Quirinal et du Capitole. Dans son ouvrage
Antiquités romaines, l’historien grec Denys d’Hali-
carnasse écrit à propos de Romulus et de Titus
Tatius, le chef des Sabins : «Ils abattirent le bois qui
poussait dans la plaine au pied du Capitole. Comme
l’endroit formait un creux, il y avait là un marécage
grossi de toutes les eaux s’écoulant des hauteurs
voisines. Ils l’asséchèrent [...] et y créèrent le Forum,
que les Romains continuent aujourd’hui à utiliser.»
Cet espace, qui n’appartenait encore à personne,
devint au fil des années un lieu de négociations et
de réunions ouvert à tous. Un nouveau centre-ville,
comme en témoigne le temple de Vesta – où était
entretenu un feu perpétuel symbolisant la péren-
nité de Rome – dont les vestiges remontent à la
deuxième moitié du VIIIe siècle avant notre ère. Ce
passage des collines au Forum constitue un recen-
trage si essentiel que certains historiens antiques
voudront y voir la vraie fondation de Rome, soit
une bonne trentaine d’années après la date offi-
cielle de 753 av. J.-C. La ville est donc née de
l’alliance de ces deux tribus, les
Latins et les Sabins, sans oublier
les Etrusques, un ensem ble de
cités-Etats situé sur la rive droite
du Tibre : l’Etrurie. Une Ruma
tusci (Rome étrusque) considé-
rée comme une huitième colline
de la ville. Ces trois grands groupes
se subdivisèrent ensuite en trente
curies, mot venant du latin uiri
(hommes) qui désigne l’associa-
tion de toute une population d’une
zone ou d’un quartier, quelle que
soit sa condition sociale. La ville
de Romulus s’est aussi placée sous
la protection d’un divin trio : Jupi-
ter, dieu de la souveraineté, Mars,
celui de la force guerrière, et Quirinus, dieu de la
communauté des citoyens à laquelle Romulus fut
assimilé à sa mort présumée en 716 av. J.-C.
Lieu de passage, Rome a vu aussi naître au siècle
suivant le premier pont sur le Tibre. Cette passe-
relle en bois placée sous l’autorité d’un prêtre appelé
pontife, littéralement un faiseur de pont, eut son
importance dès le VIIe siècle av. J.-C. Navigateurs
et marchands venus des quatre coins de la Médi-
terranée remontaient en effet le Tibre jusqu’à Rome
qu’ils considéraient comme une étape avant leur
but final : la puissante ville étrusque de Véies, située
plus en amont. Il faut dire que Rome ne comptait
alors qu’une dizaine de milliers d’habitants et ne
pouvait mobiliser tout au plus que 3 000 fantas-
sins et 300 cavaliers. «C’était un enfant qui n’avait
pas encore atteint sa taille de jeune homme»,
conclut Alexandre Grandazzi. Mais la grande his-
toire ne faisait que commencer... C
JEAN-BAPTISTE MICHEL, AVEC DAVID PEYRATA ses débuts,
la ville
n’est qu’une
étape sur le
Tibre pour les
marchands
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