GEO Histoire - 04.2019 - 05.2019

(Tina Meador) #1

L


es historiens et archéolo-
gues s’accordent au moins
sur la date de naissance
de la République romaine :
509 av. J.-C. Quant aux
circonstances de cette
révolution, c’est une autre
aff aire... Comment ce ré-
gime a-t-il mis fi n à plus
de deux siècles et demi de monarchie inau-
gurés par Romulus et Rémus, les pères fon-
dateurs de la cité? Selon la légende, Tar-
quin le Superbe, le dernier roi de Rome, fut
chassé du trône à la suite d’un fait divers
tragique. Son fi ls avait violé une femme ver-
tueuse, Lucrèce, qui avait préféré se don-
ner la mort plutôt que de survivre au dés-
honneur, provoquant la colère du peuple
et de certains aristocrates, comme Lucius
Junius Brutus, contre le tyran et sa famille.
La Rome des rois s’est-elle écroulée à cause
d’une banale histoire de mœurs? Le peuple
avait en réalité d’autres raisons de se révol-
ter, rappelle Mary Beard, auteur de S.P.Q.R.,
histoire de l’ancienne Rome (éd. Perrin,
2015). Selon l’historienne, la cause serait
à chercher du côté du travail forcé auquel
le despote soumettait les Romains pour
faire aboutir son projet de grand égout de
la ville, le Cloaca Maxima. «Quoi qu’il en
soit, après s’être assuré de l’armée et du
peuple [...], Lucius Junius Brutus força Tar-
quin et ses fi ls à partir en exil», écrit-elle.
Brutus et l’époux de
Lucrèce, Collatin, sont
alors nommés consuls
pour un an par le «conseil
des anciens» de la cité.
Afi n d’empêcher toute
tentative de retour à la
monarchie, le pouvoir, à
Rome, sera dorénavant
exercé de façon collé-
giale et limitée dans le
temps. Les Romains appellent ce nouveau régime
libertas, la liberté, par opposition au regnum, hon-
nis, des rois. Reste à mettre en place autour de ces
deux consuls des institutions capables de gérer la
res publica, la «chose publique».
A la fi n du VI siècle av. J.-C., les Romains, héri-
tiers mythologiques de Troie et d’Enée, entre-
tiennent des contacts étroits avec les colonies
grecques installées dans le sud de l’Italie. Hasard
du calendrier? C’est en 508 av. J.-C. que Clisthène,
après la chute du tyran Hippias, invente une nou-
velle forme de gouvernement à Athènes. Pour Clis-

thène et ses contemporains, le pouvoir ne
peut être que de trois ordres : soit il est
détenu par un seul homme, il s’agit alors
d’une monarchie ; soit il est exercé par un
groupe de citoyens compétents, et l’on parle
d’aristocratie ; soit il est entre les mains du
peuple tout entier, et c’est une démocra-
tie. Mais chacun de ces systèmes porte en
germes des risques d’excès. Si le roi n’a
plus le consensus de ses concitoyens (on
ne parle pas dans l’Antiquité de «sujets»),
c’est la tyrannie. Si les aristocrates acca-
parent le pouvoir pour gouverner en fonc-
tion de leurs intérêts au lieu de ceux de
la cité, on tombe dans l’oligarchie. Et si le
peuple ne respecte pas les règles qu’il
s’est fi xées, c’est l’ochlocratie, le pouvoir
de la foule. Partant de ce constat, les pen-
seurs grecs préconisent d’instaurer une
Constitution mixte qui combinerait ces
trois types de pouvoir, monarchique, aris-
tocratique et démocratique, tout en veil-
lant à ce qu’aucun des trois ne puisse s’im-
poser au détriment des deux autres. Cet
équilibre sera, pour les Romains, le fon-
dement de la République.
Le principe étant admis, comment orga-
niser en pratique de nouvelles institu-
tions? En 509 avant J.-C., le premier geste
du Sénat – émanation du vieux «Conseil
des anciens» royal, il est uniquement com-
posé d’aristocrates et de riches proprié-
taires – consiste à désigner deux consuls

pour remplacer le despote déchu, en signe de rup-
ture défi nitive avec le pouvoir d’un seul homme.
Mais tout le reste est à inventer : la représentati-
vité de la plèbe, la nomination des magistrats, leurs
statuts, la composition des assemblées, la fabrica-
tion des lois... Ce sera lent et laborieux. Les réformes
qui mèneront de ce premier consulat à la répu-
blique idéale – «de toutes les formes de l’Etat, la
plus parfaite», écrira Cicéron – vont s’étaler sur
trois siècles. Elles se feront au coup par coup, avec
pragmatisme, sous la pression du peuple ou des
menaces extérieures, alors que Rome poursuit son

ILS CRÉÈRENT LE PRINCIPE DE LA DOUBLE NATIONALITÉ AU IV


LE POUVOIR
EXÉCUTIF

Le cursus honorum
(parcours des hon-
neurs), créé en 180 av.
J.-C., établit les éta-
pes obligatoires pour
un magistrat souhai-
tant accéder aux
plus hautes fonctions.
Les questeurs s’occu-
pent des fi nances. Les
édiles gèrent la cité.
Les prêteurs sont en
charge de la justice. Et
les consuls détiennent
le pouvoir suprême.

QUESTEUR

ÉDILE

PRÉTEUR

CONSUL

LES INSTITUTIONS


38 GEO HISTOIRE
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