Fou De Cuisine N°16 – Été 2019

(Dana P.) #1
deux fils. Muriel Giudicelli nous enchante par la finesse sans fards
de ses blancs et de ses rouges, à partir de vignobles conduits en
biodynamie. Dans des styles fort différents, Yves Leccia, son fils
Lisandru, Nicolas Mariotti-Bindi ou encore Christophe Ferrandis,
au Clos Signadore, excellent dans la production de rouges harmo-
nieux et de blancs savoureux.
Le secteur d’Ajaccio s’est vu lui aussi reconnaître son appellation,
très homogène avec ses sols granitiques et sa dominante du cépage
sciaccarellu. Les bons domaines y sont légion : Vaccelli, U Stiliccionu,
Clos d’Alzeto, Peraldi, Clos Ornasca... Enfin, les autres appellations
regroupent des secteurs bien identifiés : Corse-Calvi, sur les ter-
roirs de Balagne, peut compter sur des domaines de qualité tels
Alzipratu, Clos Culombu ou L’Enclos des Anges. Corse-Sartène
regroupe d’excellents vignobles dans les vallées de l’Ortolo et
du Rizzanese : les domaines Saparale, Sant Armettu, Fiumiccioli
ou Castellu di Baricci. Corse-Porto-Vecchio doit beaucoup de sa
notoriété au domaine de Torraccia, dont le fondateur, Christian
Imbert, a tant fait pour la promotion des vins corses. L’appellation
Corse-Figari ne compte que 120 hectares et neuf producteurs, mais
on y trouvera l’un des meilleurs vignerons de l’île, Yves Canarelli.
On doit à ce dernier – avec le sommelier Patrick Fioramonti – la
première replantation il y a quelques années sur le terroir calcaire
de Bonifacio, à l’origine d’un vin rare et enthousiasmant, Tarra di
Sognu, dont les versions rouge comme blanche sont d’une finesse
hors du commun, capables de rivaliser avec les plus grands vins du
continent. Citons enfin le spectaculaire vignoble du cap Corse, où
quelques grands blancs secs de vermentino sont encore élaborés,
en particulier le magnifique Clos Nicrosi.

La vie (corse) en rose

Bien sûr, il y a aussi les rosés. Et ils sont bons, les rosés corses!
Nous avouons un faible pour ces vins charnus issus du niellucciu
ou du sciaccarellu, souvent croquants et frais, avec des person-
nalités plus affirmées – et des profils moins techniques – que
celles des rosés provençaux.
Mais le renouveau des vins corses vient d’une autre catégorie,
qui a le vent en poupe : les vins de France ou vins de table, qui
ne mentionnent même pas l’appartenance à la Corse. Pour
quelles raisons? Ils intègrent tout ou partie de vieux cépages
locaux, longtemps oubliés, redécouverts ces dernières années,
et qui offrent un champ d’investigation immense aux vignerons
créatifs et désireux d’apporter toujours plus de caractère à leurs
vins. Plusieurs de ces cépages viennent d’être autorisés dans
certaines appellations : à ce jour, il n’existe parfois que deux
ou trois domaines qui les vinifient seuls. Avis aux amateurs
avides de découvertes et de raretés... Citons pêle-mêle, en blanc,
le biancu gentile, le genovese, le codivarta, le barbarossa, et, en
rouge, le minustellu, l’aleaticu, le morescone, le carcaghjolu
neru. Rendons ici hommage à Antoine Abbatucci, du domaine
Comte Abbatucci, dans le secteur d’Ajaccio, qui a sauvé dans son
conservatoire tant de vieux cépages. Son fils, Jean-Charles, les
cultive aujourd’hui avec bonheur, pour des cuvées uniques et
émouvantes. Cassez votre tirelire et goûtez un vin à nul autre
pareil, issu de ces cépages ressuscités. Ce riacquistu – réappro-
priation – d’une viticulture à forte identité permet aujourd’hui
à la Corse de jouer un rôle pionnier dans le renouveau de la
vinodiversité! À Tokyo ou à San Francisco, les wine geeks en
raffolent, ne soyez donc pas les derniers à les découvrir...

sur l’île jusqu’à la fin du XIXe siècle, ils ont périclité au profit des
cépages dits « améliorateurs », qui ont constitué l’essentiel des
replantations des années 1960 à 1980 : grenache, syrah, cinsault,
carignan, cépages du sud de la France mais aussi cultivés en
Algérie ont été plantés à foison dans une vision productiviste.
Quelques cépages rouges locaux – sciaccarellu, niellucciu (nom
local du sangiovese toscan) – ont été heureusement défendus
par une poignée de vignerons précurseurs. Le sciaccarellu,
formidable cépage identitaire, se plaît principalement sur les
arènes granitiques des secteurs d’Ajaccio, de Sartène ou de
Figari, ainsi qu’en Balagne. Il donne des vins peu colorés, aux
étonnants arômes de poivre et de fruits rouges (fraises, cerises
à l’eau-de-vie), dotés d’une belle finesse de saveurs et de tanins,
et capables d’une bonne conservation. Le niellucciu se trouve
principalement à Patrimonio et dans la plaine orientale : il donne
des vins puissants et structurés, parfois assez tanniques, et qui
méritent de vieillir. Pour les blancs, c’est le cépage vermentino
(appelé rolle en Provence), également présent en Ligurie, en
Toscane et en Sardaigne, qui domine la production de blancs
corses. Ce cépage partage avec le riesling sa capacité à donner
de grands vins secs et parfumés, reflets fidèles de leur terroir,
qui savent parfois surprendre par leur richesse de constitution
et leur longévité. À la pointe nord de l’île, une modeste produc-
tion de muscat à petits grains, vinifiée en vin doux naturel,
est réputée : le muscat-du-cap-corse. Ce grand vin doux aux
saveurs d’agrumes s’appuie sur de magnifiques amers et offre
des sucres très digestes. Il est, hélas, tombé en désuétude, sa
production diminuant car les consommateurs se détournent
aujourd’hui des vins de dessert.

Quels sont les différents
vins corses?

De loin la plus étendue avec la moitié du vignoble corse, une vaste
appellation vin de Corse couvre toute la plaine orientale et les
plateaux et coteaux de l’intérieur, vers Ponte-Leccia. De beaux
domaines, tels le Clos Venturi ou, vers Aléria, le Clos Canereccia
et le Clos Fornelli, proposent des vins de haute expression. Mais
c’est patrimonio, première AOC de Corse dès 1968, qui reste
l’appellation la plus réputée. D’excellents vignerons y œuvrent,
parmi lesquels nous citerons Antoine Arena, figure incontournable,
précurseur du bio, qui a transmis une partie de ses vignes à ses

113 été 2019

IN VINO VERITAS

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