Fou De Cuisine N°16 – Été 2019

(Dana P.) #1
SUR LA ROUTE AVEC

FOU DE CUISINE 42

SUR LA ROUTE

P


our certains, c’est un loisir du
dimanche, pour d’autres, un métier.
Quand les amateurs remisent
seaux, épuisettes et cirés au garage
avant la prochaine grande marée,
certains descendent sur l’estran
tous les jours ou presque, qu’il
pleuve, vente ou « soleille ». Profes-
sion : pêcheur à pied. Ce boulot-là
est méconnu du grand public et
pourtant, sur nos côtes, ils sont
nombreux à le pratiquer et à en
vivre. En Normandie, le Comité
régional des pêches maritimes et
des élevages marins en recense près de 400, tous titulaires d’un
permis national et d’une licence régionale qui donne le droit de
pêcher telle ou telle espèce. Cap sur la baie des Veys, à la limite
du Cotentin et du Bessin, entre Manche et Calvados. Grégory
Mesnil, dit « Grégo », fi le vers Géfosse, sur la côte est de la baie,
à bord de son camion vintage bleu et blanc. Trente ans que le
bonhomme arpente en tous sens les estrans de la région pour
récolter des coquillages et les revendre ensuite. À deux pas des
plages du Débarquement, l’itinéraire traverse un paysage sans
relief affi rmé, mosaïque bocagère composée de pâturages et
de marais. La route fi nit en cul-de-sac à l’approche de la mer.

Une activité rude

Là, « Grégo » a ses yeux bleu délavé qui brillent quand il retrouve
ses compagnons, dont son frère Pascal, prêts à partir à l’assaut
d’un des plus importants gisements de coques de la région. La

mer a commencé à baisser. Pas de temps à perdre. Tout le monde
s’équipe, enfi le bonnet, waders et autres combinaisons pour se
protéger du froid, du vent et de l’humidité. Il ne s’agit pas non
plus d’oublier son matériel : chacun a son petit râteau, appelé
gaff e, pour débusquer le coquillage fouisseur de la famille des
Veneridae, son seau, son tamis ou « vannette » et ses sacs encore
vides de coquillages pour l’instant. À l’arrière du tracteur sans
âge de Pascal sont aussi accrochés des vieux vélos... Une fois
la pêche terminée, plutôt que de les jeter sur leur dos, les gars
posent les sacs pleins de coques dessus pour les rapporter vers
le tracteur : « C’est pratique, on met 120 kilos là-dessus », explique
Grégo. Tout ce petit monde est prêt et grimpe sur les remorques
des tracteurs pour gagner le lieu de pêche. De leur côté, les
ostréiculteurs s’aff airent autour des tables de leurs concessions
pour retourner les poches d’huîtres. Après dix minutes de trajet
sur l’immense estran, on descend du tracteur et on embarque
sur un bateau à moteur pour un passage qu’il serait suicidaire
de franchir à pied tant le courant est fort. Grégo raconte qu’à la
suite d’une chute, son matériel fut emporté. Plusieurs dizaines
de pêcheurs à pied sont déjà à l’ouvrage. Grégo et ses copains
s’y mettent, l’échine courbée vers le sable. Le vent souffl e, la
mer est verte, grise, le ciel parcouru de gros nuages clairs ou
plus sombres, dont certains laissent échapper des grains aussi
fugaces que violents. « Quand il fait beau, on prend tout notre
temps ; quand il fait ce temps-là, on n’a pas envie de trop traîner
dans les parages », dit Grégo. Sur le tracteur, ça rigolait. Là, plus
un mot, car le travail est rude. Le silence est juste rompu par le
bruit des gaff es qui rentrent dans le sol au fi l de l’eau et celui des
vannettes que les pêcheurs bougent en un va-et-vient énergique
afi n d’en évacuer le sable et les coquillages trop petits pour être
prélevés à leur milieu.

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