Fou De Cuisine N°16 – Été 2019

(Dana P.) #1
On posait les crayons, on allait manger et le chef était avec
nous. Il y avait un immense respect des cuissons, des pro-
duits, pour moi, c’était un monde parfait.
Ensuite, j’ai fait mon service militaire, puis j’ai enchaîné
avec un poste au Jules Vernes, à la tour Eiffel. Avec le chef
Alain Reix, j’ai découvert une cuisine originale pour l’époque,
beaucoup d’accords terre-mer. Mais au bout de deux ans et
demi, j’attendais la place de second et le second ne partait
pas (rires)! En même temps, aucun autre poste ne me ten-
tait à Paris. Il ne se passait pas grand-chose, et les quelques
chefs chez qui c’était intéressant avaient la réputation d’être
horribles avec leur personnel. Je venais d’enchaîner deux
bonnes maisons, je n’avais pas envie de retourner avec un
chef qui hurlait sur tout le monde.
Pendant mes vacances d’été, j’ai appris que le petit res-
taurant à côté de notre maison en Brière allait fermer. J’ai
dit à mon père : « Je rachète et je m’installe? » « Pourquoi
pas? » m’a-t-il répondu. Alors j’y ai cru. Je me suis dit que
j’allais vivre dans mon paradis. En décembre, je donnais ma
démission au Jules Vernes, et le 1er avril 1995, j’étais dans
ma cuisine. Là, c’est devenu mon enfer.

Quel était votre quotidien aux débuts
de La Mare aux Oiseaux?
Je me suis retrouvé tout seul, plus d’amis, pas de famille,
et surtout pas de clients (rires)! J’étais coupé de tout : je

Pintade

et moussaka

aux encornets

Un accord terre mer aux goûts de l’été,
où la moussaka joue les marieuses
entre pintade nacrée et encornets bien iodés.

a RETROUVEZ LA RECETTE P. 126

bossais sept jours sur sept, je n’avais pas d’argent, que des
emmerdes. Moi qui sortais beaucoup à Paris, qui passait mon
temps dans les galeries, d’un seul coup, plus rien. Les gens
du coin ne voulaient pas de moi, j’ai retrouvé ma bagnole
dans le marais! Même au niveau du personnel, c’était
compliqué : j’étais habitué à du staff niveau trois-étoiles ;
les gars de la région, ce n’était pas la même chose. Il y en
a un qui était furieux parce que sa copine était soi-disant
amoureuse de moi, il est venu me mettre un coup de boule
en plein service du samedi soir.
Les banques m’appelaient le matin pour me demander com-
bien j’allais faire de couverts à midi. Un hiver, il a beaucoup
neigé, on a fait onze jours sans un seul client. La seule chose
que j’avais, c’était le marais.

Et là, étiez-vous toujours un « guerrier »
avec votre personnel?
Plus du tout. Quand je me suis retrouvé seul sur cette île,
j’ai senti que mon personnel était ma nouvelle famille. On
passait nos journées à attendre les clients, j’ai noué des liens
avec eux et je me suis rendu compte que c’était beaucoup
plus riche que toute cette pression qu’on m’avait appris à
absorber et à transmettre. Que cette violence était inutile
pour arriver à être le meilleur! J’ai compris qu’au contraire, le
stress nous enlève 80 % de nos facultés. Et abîme beaucoup.
Faire la cuisine, c’est un acte d’amour ; si on ne respecte pas

BIOPIC

61 été 2019

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