Fou De Cuisine N°16 – Été 2019

(Dana P.) #1
de Julien

Dumas

La volaille au cassis

L

ucas Carton. Une institution, l’un des plus grands
restaurants de l’histoire de la gastronomie
française. Après avoir accueilli les gourmands
du début du siècle dernier, il était devenu le fief
de l’immense Alain Senderens, chef légendaire
qui fit partie, aux côtés de Paul Bocuse, de cette
bande qui révolutionna la cuisine française pendant les Trente
Glorieuses. Passionné par les accords entre les mets et les vins,
il les mit au centre de son travail et amena le Lucas Carton
(donc), au firmament des trois-étoiles.
Le temps passe. Au début du XXIe siècle, Senderens se lasse de
la haute gastronomie, mais pas de son beau Lucas. Il « rend »
ses trois étoiles, geste toujours un peu déconcertant dans la
mesure où l’on n’est jamais propriétaire de ce genre de gra-
tification. Mais le message est clair : il ne veut plus, en tout
cas, poursuivre cette quête. Il a décroché son Graal il y a bien
longtemps déjà, il veut emprunter d’autres routes.
Senderens continuera la sienne et parviendra à maintenir
Lucas Carton sur la carte du gourmand de la Ville Lumière
même si, entre gastro qui ne se disait pas et brasserie un peu
trop chic, le restaurant entrait en zone floue.
Alors, avant de prendre sa retraite, le chef, toujours aussi
percutant et qui n’avait plus rien à prouver, a su faire venir
quelqu’un, partager et transmettre. Et c’est ainsi que Julien
Dumas a investi la mythique salle de la place de la Madeleine.
Chef au parcours trois étoiles, le jeune homme affiche un style
pourtant atypique, une douceur, une modernité, quelque chose
sur lequel on aimerait mettre le doigt. C’est comme si Julien
Dumas était à la fois très respectueux et très libre. Du respect,
il en faut pour assumer les boiseries Art déco et le poids de
la réputation d’un restaurant comme le Lucas Carton. De la
liberté, il en faut aussi pour ne pas étouffer sous les tentures
et les nappes empesées.

Après une année avec Alain Senderens, Julien Dumas prend
les commandes seul et, petit à petit, déploie ses ailes tout en
maintenant la cuisine à un niveau de très haute gastronomie,
précise, irréprochable ; et il se fait très vite remarquer. S’il fait
le buzz avec un simple chou-fleur grillé, c’est qu’il sait aborder
des ingrédients ultra-contemporains dans leur modestie,
comme le maïs, le chou, le radis, le lait ribot. Il garde les yeux
ouverts sur le monde – tofu, soba ou vermicelles kadaïf font
partie de son répertoire –, mais sans jamais oublier que les
convives, en venant ici, attendent aussi de croiser tourtes de
gibier, poissons laqués, foies gras marinés.
Il ouvre, à l’étage, un deuxième restaurant, Le Marché de
Lucas, pour proposer des plats moins chers, des ingrédients
accessibles, mais le tout préparé dans ses cuisines, avec une
grande maîtrise. Et en faisant cela, il se dévoile enfin : un
amoureux des bonnes choses, de l’accueil, qui cherche avant
tout à rendre ses clients heureux. Il se réclame d’ailleurs de
l’héritage de Jacques Maximin, ce chef atypique et fulgurant
que tous les grands cuisiniers citent comme leur référence
absolue et qui, au soir de sa carrière étoilée, faisait fondre
les critiques les plus sévères en leur préparant de simples
sardines marinées dans son bistrot du bord de mer.
C’est cela un vrai cuisinier, avant tout, et Julien Dumas a ça
dans le sang. Le plat qu’il nous prépare aujourd’hui en est
un bon exemple. Avec trois ingrédients très simples – de la
volaille, du cassis et du radis blanc –, il va nous apprendre à
faire quelque chose de délicieux, d’original, de profondément
gourmand. Quand on lui en demande la clé, il répond, simple-
ment : « Le plus important dans cette recette, c’est que je vais
vous apprendre à avoir une volaille super tendre avec une peau
ultra-croustillante. » Et ça, il n’y a rien qui donne plus envie,
ou alors, on rend notre tablier de fous de cuisine!

OMAKASE
LE CHOIX DU CHEF

73 été 2019

TEXTE CLAIRE PICHON
PHOTOGRAPHIES VALERY GUEDES

Vu sur https://www.french−bookys.com

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