Monde-Mag - 2019-07-27

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SAMEDI 27 JUILLET 2019 france| 11


Tensions au centre de rétention du Mesnil-Amelot


Grève de la faim, incendies, tentatives de suicide... La Cimade, qui aide les étrangers sans papiers, a décidé de se retirer


D


epuis deux semaines,
la Cimade n’est plus
présente au Centre de
rétention administra-
tive (CRA) du Mesnil-Amelot (Sei-
ne-et-Marne), le plus important de
France, en bordure de l’aéroport
de Roissy-Charles-de-Gaulle.
L’association qui vient en aide
aux étrangers en situation irrégu-
lière a fait valoir son droit de re-
trait après plusieurs incidents sur-
venus le 9 juillet. Deux personnes
sont montées sur le toit d’un bâti-
ment, une autre est montée sur
une grille et a enroulé du fil bar-
belé autour de son cou tandis
qu’une quatrième avait été placée
à l’isolement après avoir observé
une grève de la faim plusieurs
jours, puis avalé un coupe-ongles
et des dominos.
« Nous ne pouvions plus mener à
bien notre intervention », explique
Claire Bloch, membre de la Ci-
made et présente au Mesnil-Ame-
lot. « Il y a une augmentation des
tentatives de suicide et des mutila-
tions », appuie sa collègue Louise
Lecaudey. Egalement membre de
l’équipe, Marco Zanchetta impute
cette dégradation à la « volonté du
gouvernement d’enfermer plus et
d’expulser plus, ce qui engendre du
stress, de l’angoisse et des ten-
sions ». L’allongement de la durée
maximale de rétention – passée à
quatre-vingt-dix jours en 2019 –
serait notamment en cause.
Au Mesnil-Amelot, si « seule-
ment » huit personnes ont atteint

cette durée maximale, le temps
moyen de présence dans le CRA
est passée de quinze à dix-huit
jours. « La prise en charge psycho-
logique des personnes retenues va
faire l’objet d’un renforcement là où
les besoins seront identifiés », a
écrit début juillet le ministre de
l’intérieur, Christophe Castaner,
en réponse à une interpellation de
22 associations l’alertant sur « l’ur-
gence de la situation en rétention ».

Incidents et dégradations
Dans le cadre du droit de visite par-
lementaire, Le Monde a accompa-
gné jeudi 25 juillet les sénateurs
communistes Laurence Cohen
(Val-de-Marne) et Fabien Gay (Sei-
ne-Saint-Denis) dans l’enceinte du
CRA du Mesnil-Amelot. Dans l’en-
trée, un homme a été placé dans
une chambre d’isolement, sous la
surveillance de deux policiers. « Il
doit être transféré dans un autre
CRA après avoir essayé d’escalader
un mur cette nuit », précise un
agent. Depuis le début de l’année,
quinze personnes ont été placées à
l’isolement, dont cinq pour des
raisons sanitaires. « Il y a toujours
eu des gens qui se mutilent et qui
avalent des objets », explique par
ailleurs une infirmière du service
médical du CRA.
La directrice du centre, qui sou-
haite garder l’anonymat, ne corro-
bore pas le sentiment de la Cimade
d’une dégradation de la situation,
mais elle confirme la survenue ré-
gulière d’incidents. Le 21 juin, un
incendie a endommagé plusieurs
chambres d’un bâtiment. « Des re-
tenus ont mis feu aux matelas », ex-
plique la fonctionnaire de police.
Elle évoque aussi des dégradations
fréquentes du matériel : « Tous les
jours, ils découpent des draps pour
masquer la préparation d’une fuite.
Ils bouchent aussi les toilettes en
pensant que ça va faire fermer le
bâtiment et qu’ils seront libérés. »
Dans une cour du CRA, ce jeudi
midi, des retenues cherchent de
l’ombre. Une femme en pleurs
passe. Présente depuis le 7 juillet,
elle est syrienne, explique une

cinq fois de monter dans l’avion
qui devait la ramener dans son
pays. « C’est ma dernière force »,
justifie-t-elle. Elle cumule qua-
tre-vingt-six jours de rétention
et près de deux ans de vie en
France, où elle n’a pas obtenu
l’asile. « Au Nigeria, je n’ai plus de
famille », répète-t-elle.
Dans la cour réservée aux hom-
mes, un Arménien nous tend un

article du Parisien du 17 juillet con-
sacré à sa situation et intitulé
« Tout le monde veut que cette fa-
mille s’en sorte ». Samvel Ghari-
byan, 34 ans, explique que ses trois
filles sont nées en France et qu’il y
vit avec sa femme depuis près de
dix ans. Le couple est bénévole à la
Croix-Rouge de Melun (Seine-et-
Marne), lui a une promesse d’em-
bauche et elle est représentante de
parents d’élèves. « C’est un exemple
d’intégration », dit son avocate au
Parisien. Il a déjà refusé deux fois
d’embarquer dans un avion.
« Ne pas faire le distinguo entre la
personne qui est là depuis huit
jours ou huit ans, c’est particulière-
ment inhumain », réagit Laurence
Cohen, qui a échangé avec une Ma-
rocaine arrivée en France à 11 ans.

Sortie récemment de prison, la
jeune femme doit être expulsée
alors que ses deux enfants sont en
France, l’un avec son père et l’autre
placé par l’aide sociale à l’enfance.
Un tiers des personnes présentes
au Mesnil-Amelot ont été placées
en rétention à l’issue d’une peine
de prison. Des profils qui ont « da-
vantage des comportements à ris-
que », selon les infirmières.
« On n’a jamais eu autant d’inci-
dents », notait en mai, le commis-
saire Pierre Bordereau, directeur
du CRA à l’époque, lors d’une pré-
cédente visite du Monde. Il évo-
quait des « débuts d’émeute » et des
« incidents entre retenus ». Une réu-
nion entre l’association et la direc-
tion devait avoir lieu vendredi.p
julia pascual

Au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, le 6 mai. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP

Bercy veut ponctionner 500 millions


d’euros sur les finances d’Action Logement


L’organisme paritaire qui gère le 1 % logement sert souvent de variable d’ajustement à l’Etat


P


our boucler son budget
2020, l’Etat s’apprête à
ponctionner les finances
d’Action Logement, l’organisme
paritaire qui gère le 1 % loge-
ment des entreprises. La somme,
500 millions d’euros, selon Les
Echos du 23 juillet, resterait affec-
tée à son objet, abondant le Fonds
national d’aide au logement,
qui finance en bonne partie (65 %)
les trois allocations logement.
Car l’Etat ayant reporté sa ré-
forme de la contemporanéisation
des aides au logement – leur calcul
en fonction des ressources per-
çues par les allocataires le trimes-
tre précédent plutôt que deux ans
avant, comme aujourd’hui –, l’ar-
gent manque désormais. La me-
sure, qui lui aurait rapporté
100 millions d’euros par mois, a
été repoussée à janvier 2020. Ac-
tion Logement ne commente pas
la nouvelle mais, selon une source

interne, c’est le sentiment de fata-
lité qui prévaut : ses finances
jouant souvent le rôle de variable
d’ajustement de l’Etat impécu-
nieux pour, depuis quinze ans, fi-
nancer tour à tour l’Agence natio-
nale de l’amélioration de l’habitat,
l’Agence nationale de rénovation
urbaine, la politique de la ville...
C’est un coup de canif de plus
dans ses relations avec l’Etat qui,
bien que consignées dans une con-
vention quinquennale, devien-
nent assez tendues. Un récent inci-
dent, en juin, en témoigne : Bruno
Arcadipane, président d’Action Lo-
gement, a voulu se séparer de son
directeur général, Bruno Arbouet,
mais en a été empêché par les trois
commissaires du gouvernement,
opposés à la prime de départ pré-
vue, de 1 million d’euros.
Action Logement est, en réalité,
richissime. Sa fortune est appa-
rue au grand jour à l’occasion de la

publication, pour la première fois,
le 8 juillet 2019, des comptes
consolidés pour 2018 du groupe,
unifié après avoir fusionné ses
600 structures. Ils font apparaître
un bénéfice net de 1,145 milliard
d’euros, une trésorerie de 8,3 mil-
liards, 33 milliards de fonds pro-
pres et 55,2 milliards d’euros de pa-
trimoine immobilier. Largement
de quoi, donc, aider l’Etat. Car cet
organisme vit d’une rente inépui-
sable de 2 milliards d’euros de
cotisations des entreprises chaque
année, et autant des retours des
prêts qu’il consent depuis sa créa-
tion, en 1953.
Le statut de ces sommes, hybride
entre taxe revenant à l’Etat et con-
tribution des salariés à leur loge-
ment, est un permanent objet de
débat. Quant à l’objet central de cet
organisme, le logement des sala-
riés des entreprises cotisantes, il
paraît de plus en plus secondaire

en regard de toutes les autres mis-
sions que les gouvernements suc-
cessifs lui ont assignées et de sa
tendance à thésauriser au lieu de
produire les logements qu’exige la
crise actuelle.
Au printemps, Action Logement
lançait, sans demander l’accord du
ministère des finances, un vaste
plan d’investissement volontaire
de 9 milliards d’euros plein de
bonnes intentions, comme réno-
ver les centres-villes, soutenir les
copropriétés en difficulté ou aider
les seniors à adapter leur loge-
ment, mais guère opérationnel, et
dont un tiers était pris sur sa tréso-
rerie et le reste emprunté. Ce plan
avait sans doute pour vocation de
se mettre à l’abri des appétits de
l’Etat, « et les 500 millions réclamés
aujourd’hui par Bercy sont une ré-
ponse à cette manœuvre », juge un
observateur extérieur.p
isabelle rey-lefebvre

autre retenue, qui traduit ses pro-
pos de l’arabe au français. « Elle a
été arrêtée dans le train alors qu’elle
voulait rejoindre son mari en An-
gleterre, qui est malade du cœur »,
relate-t-elle. Sous le coup d’une
procédure Dublin, elle risque
d’être transférée en Allemagne, où
elle n’a pas obtenu l’asile.
Blessing Monday, une Nigé-
rienne de 24 ans, a déjà refusé

« Nous
ne pouvions
plus mener
à bien notre
intervention »
CLAIRE BLOCH
membre de la Cimade

LES CHIFFRES


45 000
Le nombre de personnes qui ont
été placées dans des lieux de ré-
tention administrative, en métro-
pole et en outre-mer, en 2018.

90 JOURS
La durée maximale de place-
ment en rétention depuis l’en-
trée en vigueur au 2 janvier de la
loi asile et immigration, contre
45 jours précédemment.

480
Le nombre de places en centre
de rétention supplémentaires
que le gouvernement va créer
d’ici à 2020, faisant passer leur
nombre total de 1 069 à 1 549.

Un fichier pour mineurs étrangers isolés


Le Conseil constitutionnel a validé, vendredi 26 juillet, la mise en
place d’un fichier biométrique des jeunes se présentant comme
des mineurs isolés en France. Issu de la loi asile et immigration de
2018, ce fichier doit comporter des informations telles que les em-
preintes digitales et la photographie des jeunes étrangers qui solli-
citent une protection. L’évaluation de leur âge reste une compé-
tence de l’aide sociale à l’enfance et donc des départements
mais le nouveau fichier sera géré et alimenté par les préfectures.
L’objectif du gouvernement est d’empêcher un jeune de se pré-
senter successivement dans plusieurs départements, pour obte-
nir une nouvelle évaluation de son âge. S’il est évalué majeur,
la préfecture pourra l’éloigner. Dix-neuf associations avaient
attaqué le fichier, dont Unicef France. Une quinzaine de départe-
ments refusent d’y participer. Le Conseil constitutionnel
a considéré que le fichier permet de lutter contre l’immigration
irrégulière sans méconnaître l’intérêt supérieur de l’enfant.

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