Monde-Mag - 2019-07-27

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MLemagazine du Monde —27 juillet 2019


Cinquanteans
jour pour jour
après le drame
s’es tdéroulée
la première
cérémonie
d’hommage aux
19 enfants d’un
centredeloisirs
morts noyésdans
le fleuvele
18 juillet 1969.


3—Juigné-sur-Loire


sauve ses enfants


noyés de l’oubli.


Certains survivantsont attendu Cinquante ans pour
emprunter le Chemin du pont-du-magasin,ce sentierde
poussiè re quiserpente jusqu’aufleuve,àJuigné-sur-
Loire. La guinguetteChezFrançoisadisparu du
paysage, mais il restel’auguste chêne quibaignela
rive de sonombrecentenaire. Lesenfants d’ hiersont
devenusdes papysetdes mamies. Mais ils n’ontpas
oublié.Les yeux rougis,ils se serrentles unscontre
lesautres, uneroseblanche àlamain.
Leur gorge se noue au moment de délivrer leurs
souv enirsdece18juillet 1969.C’étaitl’heure du goûter, il
faisaitsic haud.Ils ét aient partisducentredeloisirs de
Mûrs-Érignépourune marche decinq kilomètres en
pleincagnardqui leur avaitdonnédes suées. La Loire
étaitlà, sousleursyeux,sif raîche et si paisible.Les
76 enfa ntsâgésde8à13ans ontinsisté tant et tant que
lesmoniteurs,malgr éles consignes, ontcédé. Ilsétaient
déjà unequarantaine dans l’eau lors que la pointe du
banc de sable surlequel ils progressaient acédé, les
projetant dans un tourbillon d’eau dévastateur. Dans la
panique,les moniteurs ontattrapé lesbras et lesjambes
quis’agitai entdanslecourant,sauvant quelques
enfa nts. Un pêcheursur sa barque en atiréquatrede
l’eau,laiss antenéchapperuncinquième.Mais, ce
funestevendredi,19e nfants ontdisparudans le sflots.
Le dramedeJuignéarapidementdépassé lesfron-
tières duMaine-et-Loire. Le papePaulVIconfiales
petitesvictimesàDieu, tandis que le prés identdela
République,Georges Pompidou,réclamait une
enquête menée«avectactetdiligence ».Le18août
suivant,LaFraidieu,unbateau-promenade,coulaitsur
le lacLéman,causantlanoyade de24 personnes,dont
14 fillettes d’un cent re de loisirsqui ne savaient pas
nager.Ces deux drames accélèrent l’opération

«1000 piscin es», décrét ée au lendemaindes JO de
Mexico (1968),aprèslesrésulta ts décevantsdes
nageurs français. En 1969, laFrancenecompte que
408piscinesmunicip ales (contre58en1958).
Jusqu’en 1980,les équipements poussèren tainsi sur
tout le territoirecommedes champignons, tellela
piscin eTournesol,étonnante soucoupevolanteclouée
au sol, construite à183 exemplaires. Le tempsapassé,
mais le problème demeure.Laministredes sports
–l’ex-championnedumonde denatation Roxana
Maracineanu –aannoncé,enavril, un plan baptisé
«Aisanceaquatique»pourréduirelenombrede
noyadesaccidentelles (600)constatéesàl’été 2018
chez lesmoins de 13 ans.
Face àlaLoire, Jacques Dupuis se confie:«Avecma
sœur,onavaitapprisànager enLoire,ons’estlaissé
porterparlecourantpourregagnerlariveenaval.
Ceuxquiontessayéderemonterlàoùils étaient
tombés,enrevanche... »Il ne finit passaphrase, son
regard se voile. Longtemps, il n’ apas dormi.Trauma-
tisé.«Jenevoulaisplusmebaigner. Unjour,monpère
m’ajetéd’unebarqueenmedisantderegagnerla
bergeàlanage.Il abienfait, sinonpeut-êtrequejen’y
serais jamaisretourné.»Il regardeces fameux«culs
de grève»surlefleuve,enapparencepaisible.«Quand
onlesvoit, onal’impressionqu’il n’yapasd’eau
au-dessous...»C’est àcause de ce danger majeur que
la baignade est interditeenLoiredepuis1957.
Thérèsepeine àréprimer sessanglots. À84ans,ellea
biendumal àdescendre surlar ivepouraller jeterune
rose blanche dans lecourant.«Ilfallait qu’onlefasse,
ilsméritaientbiença.CetteLoireestassassine.Il n’ya
rienàfaire,elleformedestrousetonyreste.»Ce ter-
rible jour de juillet,ses neveux Jean-Jacques(13 ans)
et Lydie (11ans)ont étéemportés. Elle se souvient de
leurscorpssansvie poséssur la ta ble du salon.«C’est
trèslourdàporter. Mais,maintenant,onvaessayer
d’avancerplustranquillement. »
Jean-ChristopheArluisonest mairedes Garennes-sur-
Loire, la commune nouvellequi englobedésormais
Juigné-sur -Loire. Cesont lesélusqui ontvoulu cette
petite cérémonie cinquante ansaprès ,jourpourjour.
Devant la cent aine de personnesrassemblées en arc
de cercle,lemaire parle àvoixbasse :«LaLoireestun
élémentmajeurde notrepaysage,maisn’oublions
jamaisqu’elleresteunélémentnaturelcapabledu
meilleurcommedupire.Cinquanteansontpassé,mais
lesouvenir resteintact. Onespèrequeçapourradis-
suaderlesinconscientsqui osentencore,denosjours,
braverlesinterdictions. »
Cethommage, Michel Hénaff estimeque«çafaisait
longtempsqu’il aurait dûêtrefait ».Il aperdu deux
sœurs ce jour-là. Annitaavait 12 ans, Chantal, 13.
Leurs photos sont toujours posées danssachambre.
«Onnelesoubliepas,nospetitessœurs. »Il avait
17 ans, impossible d’effacer le souvenir de l’enterre-
mentdansl’égliseduquartierdes Justices,àAngers.
Lespetitscercueils alignésdevantlaf oule silen-
cieuse.PhilippeRichard, moustache deGauloi s,
n’étaitjamaisrevenusur leslieuxdudrame.«Pas
envie. »Il s’en doutait, en arrivant,ilaeuunpince-
mentaucœur.«Çarésonne,là»,dit-il en frappantsa
poitrine. Il repense àÉtienne,son copain,une des
19 victimes,etàcette inso ucianceperdue l’étédeses
11 ans. SurlaLoire, face àeux,19r oses blanchesfilent
dans lecourant. Yves Tréca-Durand
Illustr

ation Sa

toshi Hashimot

opour MLem

agazine du Monde

.YvesTréca-Durand
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