Monde-Mag - 2019-07-27

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PhotosYo ucef Krache/collective220 pourMlemagazine du Monde —27 juillet 2019


son club, les souffrances qui meurtrissent la jeunesse algérienne et sa haine
profonde du«système»politique. Le tout, sous le regard bienveillant de la
basilique Notre-Dame d’Afrique qui domine l’enceinte.L’ USMA«enflamme
vos malheurs»,lit-on sur l’un des impressionnants tifos déployés avant la ren-
contre. Et sur l’une des banderoles qui entourent la pelouse synthétique s’af-
fiche en anglais l’une des maximes du club :«Aimer l’âme du club, pas ses tro-
phées .»Àl’USMA, on est fidèlejusquedans l’au-delà.«Chez nous, c’estla
Bombonera[le stade de Boca Juniors, en Argentine].C’est la même ambiance»,
lance fièrement Aissa, 26 ans. Ce jeune étudiant en droit n’a pas toutàfait tort :
ici, le stade Omar-Hamadi, coincé entre la mer Méditerranée et le cimetière
chrétien Saint-Eugène, se vit, se respire et surtout s’entend. Jusqu’au coup de
sifflet final, plus de 17 000 hommes fredonnentàl’unisson leur amour infini pour
les Rouge et Noir comme si leur vie en dépendait. Qui ne chante pas n’est pas
usmistes, et les tympans n’y résistent pas très longtemps.
ÀOmar-Hamadi, le spectacle se situe dans ces tribunes bondées où l’on ressent
les vibrations des voix qui traversent les corps en transe.«C’est le charme de notre
club,assure Mehdi, la trentaine, avec un grand sourire qui étire ses joues bar-
bues.Il yades gens qui sont déjà venus juste pour nous écouter. »Les supporteurs
enchaînent les chansons sans s’essouffler,puissantes et émouvantesàlafois.
On les compare mêmeàdes medahat, ces cantatrices qui enchantent les
mariages. Ce n’est plus un match de foot, c’est un immense récital qui dure plus
de quatre-vingt-dix minutes.«Onencourage notre équipe. On parle des gloires
passées,onr aconte notre mal-être. Chanter,c’est notre antidouleur.Onvient ici
pour décompresser de notre semaine»,expliqueWalid, 26 ans, photographe.
«C’est plus quedelapassion, c’estdelafolie»,assureRolland Courbis, ancien
coach du club (2012-2013) avec lequel ilaremporté plusieurs grands titres.
Ce soir-là, l’USMA est tenu en échec, mais quelques jours plus tard, à
Constantine, lesMilanais–unautre surnomàcause de leurs couleurs,


semblables au club italien Milan AC–remportent finalement
leur dernière rencontre de la saison et décrochent leur huitième
titre de champion d’Algérie.
Mais depuis le 22 février,date de la première manifestation
nationale contre le cinquième mandat que souhaitait briguer
le président Abdelaziz Bouteflika, la grande victoire de ces
supporteurs de l’USMAest ailleurs, sur le bitume bouillant et
contestataire des rues d’Algérie. Ce vendredi de mai, comme
chaque semaine, c’est le même rituel:lors des immenses
marches dénonçant le pouvoir en place,àAlger ou ailleurs
dans le pays, des milliers de manifestants, jeunes ou anciens,
hommes ou femmes, reprennent ensembleLa Casa del
Mouradia.Écrit en 2018 par Ouled El Bahdja, le seul groupe
de supporteurs de l’USMA, le titre évoque la résidence
du chef de l’État, située sur les hauteurs de la capitale, tout
en se référantàlasérie de Netflix au succès planétaire
La Casa de papel.Ils’est surtout imposé comme l’un des
hymnes de la révolution pacifique algérienne avec«Makach
el khamsa ya Bouteflika»(« pas de cinquième [mandat]
Bouteflika »),«Viva l’Algérie, yatnahaw ga3»(« qu’ils par-
tent tous ») etLiberté,signé du rappeur Soolking, une émou-
vante antienne évoquant la situation actuelle quiadépassé
les 120 millions de vues surYo uTube depuis sa sortie, en mars.
Ce dernier titre est d’ailleurs une reprise d’Ultima verba,
composée par l’Ouled El Bahdja. Encore lui.
Les paroles deLa Casa del Mouradiarésument avec une jus-
tesse déroutante le«dégoûtage»de la jeunesse algérienne,
lahogra(« le mépris », en arabe) des hauts représentants de

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