Monde-Mag - 2019-07-27

(nextflipdebug5) #1

l’État, l’injustice de survivre dans un pays riche mais gangrené
par le piston et le népotisme. Cette chanson est un réquisitoire
contre l’ancien président Bouteflika qui raconte avec lyrisme et
désespoir les vingt ans calamiteux de son règne en faisant défiler
les quatre mandats tout en anticipant le cinquième. Extraits :
«C’est bientôt l’aube et le sommeil ne vient pas/ Je consomme[de
la drogue]àpetites doses/ Quelle en est la raison?/ Qui dois-je
blâmer?/ On enaassez de cette vie/ Le premier[mandat de
Bouteflika,en 1999],on dira qu’il est passé/ Ils nous ont eus avec
ladécennie[noire,et la nécessité d’une réconciliation nationale]/
Au deuxième, l’histoire est devenue claire/ La Casa
d’El Mouradia/ Au troisième, le pays s’est amaigri/Àcause des
intérêts personnels/ Au quatrième, la marionnette est morte et/
L’ affaire continue/ Le cinquième va suivre/ C’est déjà acté/ Et le
pass éest archivé/ La voix de la liberté...»La sincérité et la per-
tinence des mots ont touché l’âme de millions d’Algériens au
point de résonner deTiaret àAnnaba, de Mostaganem à
Tamanrasset,et même au-delà des frontières du pays.«C’est une
fierté immense pour nous,insiste Rachid, 24 ans, sans emploi.
Le peupleacompris la rage contenue dans ces messages. On a
le sentiment d’avoir participéàquelque chose. C’est une petite
réussite, mais d’une petite réussite, tu atteins la grande. En plus,
quand il était ministre des sports, “Boutef”, était supporteur du
Mouloudia, notre rival.»
Il est presque minuit.Adossésàune sublime porte rouge et noir
d’un immeuble colonial de Soustara, un quartier de la Casbah,
Mohamed, surnommé Mouh Milano, Mustapha et deux autres
amis enchaînent lesgaros(«cigarettes») tout en sirotant


quelques thés. Entre eux, ils parlent de l’USMA, de l’USMA et encore de
l’USMA.«Normal, la Casbah, c’est l’âme de l’USMA»,justifient-ils. Il suffit de
se balader dans les allées épuisées de la vielle ville pour comprendre l’importance
de ce club:ses armoiries et ses couleurs sont peintes avec une fierté insolente sur
les portes et les murs de la médina.Mustapha,la quarantaine,jogging noir,chauf-
feur pour des expatriés, connaît par cœur l’histoire du club depuis sa création, en
1937,et celle des joueurs,comme s’ils étaient des membres de sa famille.«Jesuis
néusmiste. C’est héréditaire, de père en fils,affirme-t-il de sa douce voix.Et, comme
tous les usmistes, on est révolutionnaires.»Comment peut-il en être autrement?
Lui et ses comparses sont des enfants de la Casbah, biberonnésàl’esprit rebelle
depuis la naissance.«C’est la base, frère, c’est dans les gènes»,ajoute Mouh Milano.
Le rôle qu’a joué ce quartier d’Alger lors de la guerre coloniale (1954-1962) a
façonné leur conscience. Mustapha pourrait citer les noms des quarante-deux
martyrs du club tombés au combat. Et même les figures du mouvement indé-
pendantiste, commeZoubir Bouadjadj, membre du«groupe des 22»qui allait
créer le Front de libération nationale (FLN) et déclencher les hostilités contre la
puissance coloniale,ou encoreYacef Saadi,ancien chef de la zone autonome d’Al-
ger durant la fameuse bataille de 1957...«Les couleurs originelles du club sont le
rouge et le grenat. Mais, quand l’armée françaiseatué des milliers d’Algériens le
8mai 1945[lors des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata qui ont fait entre
15000 et 45000 morts],leg renataété remplacé par le noir pour signifier le deuil
éternel et le rouge symbolise désormais le sang quiacoulé,énonce Mustapha.On
était déjà en rébellion. Ça vient de loin.»
Pour ces supporteurs,l’US de la médina n’est qu’un prolongement de leur lutte
contre lesinjustices, et notamment celles commisesàfoison par le FLN qu’ils
subissent«depuis tout jeune»,estime Mouh Milano. Ils ont«une revanche»à
prendre contre cet«oppresseur»qui apris la place de la France depuis 1962.
Ilsont voulu faire des tribunes le tombeau de ce«parti corrompu»qui a

“Lepouvoir pens aitque nous étions desvoyous.


Quenotre mauvaise réputation allait avoir


uneinfluence surles gens.Maisnotre ré bellion


s’estpropagée. Le supporterest un militant


quinedit passon nom.”


Mustapha, supporteur de l’USMA

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