Monde-Mag - 2019-07-27

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SAMEDI 27 JUILLET 2019 international| 5


Retour agité des Etats-Unis pour Khan au Pakistan


Un an après sa victoire, le premier ministre pakistanais fait face à des difficultés économiques et politiques


bombay - correspondance

A


près une visite de trois
jours aux Etats-Unis,
que son entourage a
qualifiée de « succès di-
plomatique » et au terme de la-
quelle il a dit lui-même ressentir
« le même effet » que s’il avait rem-
porté la Coupe du monde de cric-
ket, Imran Khan a dû rapidement
déchanter.
Le premier ministre pakistanais
est arrivé à Islamabad jeudi
25 juillet, juste à temps pour célé-
brer le premier anniversaire de la
victoire de son parti, le Mouve-
ment du Pakistan pour la justice
(PTI), aux élections législatives.
Mais au même moment, des ras-
semblements s’organisaient un
peu partout dans le pays, à l’initia-
tive de ses opposants politiques
qui souhaitaient faire de cet anni-
versaire une « journée noire ».
Des dizaines de milliers de per-
sonnes sont descendues dans les
rues des principales villes, à l’invi-
tation des deux héritiers des fa-
milles qui se sont disputé le pou-
voir ces trois dernières décennies :
Maryam Nawaz Sharif, fille de l’an-
cien premier ministre Nawaz Sha-
rif (emprisonné il y a un an pour
fraude fiscale), et Bilawal Bhutto
Zardari, fils de l’ancienne pre-
mière ministre Benazir Bhutto (as-
sassinée en 2007). La première
s’est adressée à la foule à Quetta,
capitale de la province du Balou-
chistan, pour dénoncer l’exercice
du pouvoir « frauduleux » de « l’in-
capable » M. Khan.
Le second, qui préside le Parti du
peuple pakistanais (PPP), a quant à
lui tenu le micro à Karachi pour
fustiger « la ruine » que connaît
d’après lui le pays aujourd’hui. Se-

lon les organisateurs de ces ras-
semblements, plusieurs milliers
de manifestants auraient été arrê-
tés par la police dans la journée.
En prenant ses fonctions en
août 2018, l’ancien champion de
cricket avait trouvé une situation
économique difficile, au point de
devoir rapidement mettre de côté
sa promesse d’établir un « Etat-
providence islamique ». Or, depuis,
la barre n’a pas été redressée, mal-
gré l’annonce de hausses d’impôts
et d’une guerre sans merci contre
la corruption. La balance des paie-
ments continue de se dégrader et
le gouvernement Khan a consacré
sa première année de mandat à
négocier des prêts auprès de pays
amis comme l’Arabie saoudite
(6 milliards de dollars, soit 5,3 mil-
liards d’euros) et la Chine (4 mil-
liards), ainsi que tout dernière-
ment auprès du Fonds monétaire
international (6 milliards).

Mécontentement grandissant
Dans ce contexte, la roupie dé-
visse et les prix augmentent forte-
ment, provoquant un méconten-
tement grandissant au sein de la
population, alors que de nouvel-
les mesures d’austérité ont été an-
noncées en juin. Les partis d’op-
position sont d’autant plus re-
montés contre M. Khan que ce-
lui-ci travaille main dans la main
avec le général Bajwa, chef d’état-
major des armées, lequel attribue
le marasme actuel à « la mauvaise
gestion budgétaire » des diri-
geants précédents.
Pour la Pakistan Muslim League
(PML) comme pour le PPP, c’est la
preuve que le premier ministre est
à la solde de l’armée et qu’il a été
« désigné » par cette dernière pour
diriger le pays. Le « succès » du
voyage d’Imran Khan aux Etats-
Unis peut-il peser face à cette
fronde? « Il a été l’occasion de géné-
rer une dynamique positive signifi-
cative, cela peut aider l’intéressé sur
la scène intérieure », estime le poli-
tiste Hassan Akbar. La diaspora lui
a, en tout état de cause, offert un
beau cadeau, en remplissant pour
lui le stade Capital One Arena de
23 000 places, à Washington, di-
manche 21 juillet. Jamais un diri-
geant pakistanais n’avait rassem-
blé à l’étranger autant de ses com-
patriotes, et l’événement a contri-
bué à donner du ressort à M. Khan

mistes pakistanaises, réclamée
par la communauté internatio-
nale, allait prendre du temps.
Cette déclaration, inédite dans la
bouche d’un dirigeant pakista-
nais, a accru la colère de ses oppo-
sants et suscité beaucoup de com-
mentaires en Inde, où le gouver-
nement Modi, qui dénonce sans
relâche le laxisme d’Islamabad à
l’égard du terrorisme, a salué « un
aveu flagrant ».

Compte à rebours
Comme le lui a demandé
M. Trump, M. Khan va maintenant
rencontrer les talibans. « Je ferai de
mon mieux pour les faire parler
avec le gouvernement afghan. Ça
ne va pas être facile (...) mais c’est la
meilleure chance de parvenir à la
paix », a-t-il prévenu. Le jour de son
retour, cinq explosions, dont deux
ont été revendiquées par les tali-
bans, ont tué plus de cinquante

personnes en Afghanistan, signe
que la tâche sera ardue. Le compte
à rebours est néanmoins lancé.
L’envoyé spécial des Etats-Unis
dans la région, Zalmay Khalilzad,
doit se rendre à Kaboul, puis à
Doha, dans les tout prochains
jours, pour reprendre les négocia-
tions de paix avec les insurgés,
alors que ces derniers refusent
toujours de négocier directement

avec le gouvernement afghan, tant
que l’élection présidentielle
afghane du 28 septembre n’aura
pas eu lieu. Washington espère ob-
tenir au contraire un accord de
paix d’ici à cette échéance, afin
d’enclencher le retrait des troupes
américaines avant l’entrée en cam-
pagne des Etats-Unis pour la prési-
dentielle américaine de 2020.
« Ce que veulent les Américains,
c’est de la dignité dans la défaite.
Mais en contrepartie de l’aide diplo-
matique du Pakistan, le président
Trump n’a pas parlé du fonds de
soutien à la coalition chargée d’éta-
blir une paix durable en Afghanis-
tan », note l’historien Fakir Syed
Aijazuddin. Une somme de
1,3 milliard de dollars gelée par
Washington en 2018, dont
M. Khan n’a pas obtenu le déblo-
cage. Du pain bénit pour ses adver-
saires politiques.p
guillaume delacroix

Imran Khan, le premier ministre pakistanais, et Donald Trump, à la Maison Blanche, le 22 juillet. ALEX BRANDON/AP

avant son entrevue à la Maison
Blanche, le lendemain, avec Do-
nald Trump.
Avant de rentrer chez lui, le diri-
geant s’est félicité d’avoir « fait
comprendre » aux Américains son
« point de vue » sur l’Afghanistan,
rappelant que 70 000 Pakistanais
ont été tués et des milliards de
dollars perdus dans « la guerre
américaine contre le terrorisme ».
Lors d’une rencontre au United
States Institute of Peace, un think
tank de Washington, le Premier
ministre pakistanais a par ailleurs
jeté un pavé dans la mare en affir-
mant que ses prédécesseurs
n’avaient « pas dit la vérité aux
Etats-Unis », à savoir que de
« 30 000 à 40 000 personnes ar-
mées » agissent aujourd’hui de-
puis le sol pakistanais « pour com-
battre en Afghanistan ou au Ca-
chemire ». Une façon de dire que
l’éradication des mouvances isla-

L’administration Trump reprend les exécutions fédérales


Le ministre de la justice américain ordonne d’appliquer les condamnations à mort prononcées par des juges fédéraux


san francisco - correspondante

A


lors que la peine de mort
est en recul aux Etats-
Unis, l’administration
Trump a décidé de relancer les exé-
cutions au niveau fédéral. Dans un
communiqué, le ministère de la
justice a annoncé, jeudi 25 juillet,
que le gouvernement avait décidé
de mettre fin au moratoire sur les
exécutions fédérales, en vigueur
depuis 2003, et qu’il entendait
faire exécuter cinq condamnés à
mort assassins d’enfants à partir
de décembre à la prison fédérale de
Terre Haute (Indiana), la seule
équipée d’un couloir de la mort.
La décision de l’attorney general
(ministre de la justice) William
Barr ne s’applique qu’aux déte-
nus condamnés pour des crimes
fédéraux. Cette catégorie recou-
vre les crimes commis contre les
fonctionnaires et policiers fédé-
raux, l’espionnage, le terrorisme,
les crimes racistes ou s’étant pro-
duits sur des propriétés du gou-
vernement ou sur les réserves in-
diennes. Les autres infractions re-
lèvent de la justice des Etats.
Sur un total de 2 632 condamnés
à mort en attente d’exécution aux


Etats-Unis, 62 relèvent de la jus-
tice fédérale. Parmi eux : l’un des
deux auteurs de l’attentat du ma-
rathon de Boston, Dzhokhar Tsar-
naev, et le suprémaciste blanc Dy-
lann Roof, condamné pour le
massacre de l’église de Charleston
(Caroline du Sud) en 2015.
Depuis le rétablissement de la
peine de mort pour crimes fédé-
raux en 1988, seuls trois prison-
niers ont été exécutés : Timothy
McVeigh en 2001 pour l’attentat
contre un immeuble fédéral à
Oklahoma City, Juan Raul Garza,
également en 2001 pour le meur-
tre de trois trafiquants de drogue
au Texas et Louis Jones en 2003
pour le viol et l’assassinat d’une
militaire au Texas.

Châtiments « cruels »
Depuis 2003, les administrations
successives – républicaines
comme démocrates – ont observé
un moratoire de fait. De même,
dans l’ensemble du pays, le nom-
bre d’exécutions a fortement dé-
cliné à mesure que le recours à
l’ADN montrait que des dizaines
d’innocents avaient été condam-
nés à tort et qu’était posée la ques-
tion de la cruauté de la méthode

d’injection létale utilisée. De 98
en 1999, le nombre d’exécutions
est passé à 25 en 2018.
L’attorney general a justifié sa
décision dans une lettre au bureau
fédéral des prisons. « Le Congrès a
expressément autorisé la peine de
mort, souligne-t-il. Nous devons
aux victimes et à leurs familles de
mettre en œuvre la peine imposée
par le système judiciaire. » Il de-
mande à l’administration carcé-
rale d’adopter le protocole d’injec-
tion létale mis en place au Texas,
l’Etat qui compte le plus grand
nombre d’exécutions. Celui-ci a
remplacé depuis 2012 le cocktail de
trois sédatifs mis en cause dans
une série d’exécutions ratées – et
attaqué en justice pour infraction
au 8e amendement de la Constitu-
tion qui interdit les châtiments
« cruels et inhabituels » – par un
seul : le pentobarbital de sodium.
Pourquoi cette décision de relan-
cer les exécutions fédérales main-
tenant? Le président Trump est un
partisan déclaré de la peine capi-
tale, notamment pour les trafi-
quants de drogue et les tueurs de
policiers. Après l’attentat qui avait
fait 11 morts à la synagogue de
Pittsburgh en octobre 2018, il avait

la justice, la représentante du Mas-
sachusetts Ayanna Pressley – l’une
des quatre membres de la « bri-
gade » d’élues progressistes vili-
pendées depuis quelques jours par
M. Trump – a présenté un projet de
loi pour abolir la peine capitale sur
le plan fédéral.
Une nouvelle fois, l’ancien vice-
président Joe Biden est placé en
porte-à-faux. C’est lui qui en 1994
avait été l’un des artisans, au Sénat,
de la politique de durcissement de
la justice criminelle prônée par Bill
Clinton. Celle-ci avait renforcé les
motifs de recours à la peine capi-
tale. M. Biden a changé de position.
Mardi 23 juillet, il a présenté ses
propositions sur la justice pénale.
Il a souligné que 160 condamnés à
morts avaient été victimes d’er-
reurs judiciaires depuis 1973.
« Etant dans l’incapacité d’assurer
que nous tombons juste à chaque
fois, nous devons éliminer la peine
de mort », a-t-il estimé. Coïnci-
dence : plusieurs des détenus que
le ministre de la justice se propose
d’exécuter à partir de décembre
avaient été condamnés en vertu
de la loi que le sénateur Biden avait
contribué à faire adopter.p
corine lesnes

Depuis 2003, les
administrations
successives,
républicaines
ou démocrates,
ont observé un
moratoire de fait

M. Khan a rappelé
que 70 000
Pakistanais ont été
tués, et des milliards
de dollars perdus,
dans « la guerre
américaine contre
le terrorisme »

estimé qu’il était temps de la « re-
mettre en vogue ».
Le moment choisi pour l’an-
nonce correspond à celui où com-
mencent à se dessiner les lignes de
fracture de l’élection présiden-
tielle de 2020. Une campagne que
M. Trump entend jouer sur la loi et
l’ordre, et le contraste avec le « so-
cialisme » de ses adversaires.
En 2008, il aurait été suicidaire
pour un candidat démocrate de se
déclarer opposé à la peine de mort


  • et Barack Obama ne s’y était pas
    risqué. Depuis 2016, le Parti démo-
    crate a inscrit l’abolition dans son
    programme. La plupart des candi-
    dats se sont engagés en faveur de
    l’abolition. Jeudi, en réponse à la
    nouvelle politique du ministère de


C O R É E D U N O R D
Pyongyang menace
Séoul
Le dictateur nord-coréen,
Kim Jong-un, a assuré, jeudi
25 juillet, que les deux missi-
les tirés la veille étaient de
nouvelles armes tactiques vi-
sant à adresser « un avertisse-
ment solennel aux militaires
bellicistes sud-coréens »
en raison de leurs projets
d’exercices conjoints
avec les Etats-Unis. Ces tirs
étaient les premiers essais de
missiles depuis la rencontre
impromptue le 30 juin
entre Donald Trump
et Kim Jong-un dans la zone
démilitarisée, censée avoir
relancé les négociations
sur le programme nucléaire
nord-coréen. – (AFP.)

G A M B I E
L’ex-président Yahya
Jammeh accusé
de meurtres
Interrogés jeudi 25 juillet
par la commission vérité
et réconciliation, d’anciens
membres des escadrons de la
mort de Gambie ont accusé
l’ex-président Yahya Jammeh
d’avoir ordonné le meurtre
de deux Américano-Gam-
biens en 2013. Yahya Jammeh,
destitué en 2017, a déjà avoué
avoir commandité les assassi-
nats d’un journaliste et de di-
zaines de migrants. – (AFP.)

LE CHIFFRE


30 %
de dévalorisation de la roupie
En un an, la roupie s’est
effondrée de 30 % face au dollar,
l’inflation pourrait franchir
bientôt la barre des 10 %.
La croissance doit passer
à 3,3 % en 2018-19,
contre 6,2 % attendus.
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