Monde-Mag - 2019-07-27

(nextflipdebug5) #1
PhotosBrunoFert/NeutralGreypourMLem agazineduMonde—27 juillet 2019

secourueparl’Aquarius,lebateauhumanitaire
quicroisaitaulargedelaLibye,encetété2017.
Aveclerecul,elleseditqu’elleauraitdûappelerson
filsMoïse,telleprophètesauvédeseauxquiaguidé
sonpeupleverslaTerrepromise.
Seize mois plus tôt, Constance est partie du
Camerounpourdesraisonssurlesquelles,pardiscré-
tionetcomptetenudelafragilitédesasituation
actuelle,elleneveutpass’étendre.Yannicketelle
viventd’abordquelquesmoisauNigeriavoisinpuis
auNigeretenAlgérie.Aucoursdecesétapes,lui
parvientàtrouverdutravail,commeaide-maçonsur
deschantiersoubagagistedansunegareroutière.
Ellevenduntempsdessachetsd’eaufraîchedansla
rue.Dequoifinancerlasuitedeleurroute.

M


ais, en Libye, Le
coupLe se trouve
séparé de force.La
Camerounaiseest
recluse dans la
pièce d’une mai-
sontransforméeen
geôle, où sept
autresfemmessontdéjàdétenues.«Onnous don-
nait du pain sec tous les jours et parfois de l’eau sucrée
dans laquelle le tremper.»Constancedortàmêmele
sol,selaveunefoisparsemaine,dévoréeparles
poux.«Ils me demandaient d’appeler mes parents
pour qu’ils versent une rançon de1500 euros sinon je
mourrais. »Ils?Deshommeslibyensdontellene
saitniquiilssontnioùilslaretiennent.Sinonqu’ils
violentlesfemmesetqu’ellen’yéchappequeparce
qu’elleestenceintedesixmoisetdemi.Lescoups
de crosse de fusil et les menaces,Constance les
essuiecommelesautres.AuCameroun,personnene
peutpaye rpoursalibération.Samèreestdécédéeet
sonpères’estremarié.
Legroupedeprisonnièresdécidedetenteruneéva-
sion.«Onvoulait élaborer un plan,raconte
Constance.Je savais que l’accouchement appro-
chait. »Unsoir ,profitantdusommeildeleurgeôlier,
lesfemmess’enfuient.LaCamerounaiseadépassé
d’unjourletermedesagrossesse.Soncorpsest
lourd,endolori.«Je ne pouvais pas escalader la bar-
rière. Les filles me portaient. Ça n’allait pas du tout.
Elles me disaient:“Fais un effort. Si on nous trouve,
c’est la mort.” J’ai eu la chance de côtoyer des filles
qui m’ont soutenue. »Durantplusieursheures,les
fugitivesmarchentdanslanuit.Surlaroute,elles
arrêtentunvieillardquileurprêteuntéléphone.
L’uned’elles,uneIvoirienne,Fatimata(leprénoma
étémodifié),contacteunpasseurquivientlesrécu-
péreràl’aube.Lescontractionsontcommencé.«On
est arrivéesàSabratha, mais le passeur ne voulait
pas m’ameneràl’hôpital et il était hors de question
que j’accouche chez lui. »
Vers22heures,Constanceseretrouvesuruneplage
de la ville côtière libyenne où les convois vers
l’Europes’organisent.L’îleitaliennedeLampedusa
està300kilomètres.Letarifdespasseursvoisine
les600euros.Fatimatapayepourlatraverséede
cellequiestdevenuesonamie.Constancevoitdes
hommes par centaines remplir des canots

pneumatiquesàlac haîneetêtreprécipitésdans
l’eau. Sans retour possible. Elle prend peur.
«Fatimata me parlait, m’exhortaitàycroire. C’est
elle qui m’a obligéeàpartir.Elle me disait :“On prie
pour que tu arrives en Italie avant d’accoucher.” »
Tirailléeparladouleur,lajeuneCamerounaiseveut
renoncermaisn’apluslechoix:«Lepasseurabra-
qué une arme sur ma tête. »Fatimatanégociepour
que son amie n’embarque pas sur un bateau en
caoutchoucetpaye200eurosdepluspourqu’elle
voyagedansunebarqueenbois,réputéeplussûre.
Ilyadesclassesdevoyageurs,mêmedanslestra-
verséesdudésespoir.Constanceprendfinalement
lamer ,vers4heuresdumatin.Àl’intérieurdel’em-
barcation,chargéeau-delàdesescapacités,lescorps
sontenchevêtrés.Sacompagnedevoyageresteder-
rièreelle.EllenetraverserajamaislaMéditerranée.
«Elle aaccouché d’un enfant du viol, qui est mort à
la naissance,raconteConstance.Elle estretournée
en Côte d’Ivoire. »
Quandlessecouristesdel’Aquariuss’approchent
ducanot,ilsdistinguentrapidementlaCamerounaise
parmi les autres passagers du rafiot en détresse.
«Elle était la seule femme noire au milieu d’un
groupe d’Arabes et ilyavait un peu d’espace autour
d’elle»,sesouvientNick,unsauveteurprésentce
jour-là.LamajoritédeshommessontdesMarocains.
Deuxfemmessontaussiàbord,maistropéloignées
deConstancepourluivenirenaide.Ellesetrouve
prèsdedeuxhommesnoirs.L’untientlemanchedu
moteur.Legradedecapitainenetraduiticilarécom-
pensed’aucunmérite.Attribuéd’autoritéparceux

quilancentlesmigrantsàlam er,ilfaitaucontraire
courirlerisqued’êtreconsidérécommeunpasseur
unefoisdébarqué.
LorsqueConstanceetsonbébésonthissésàbord
de l’Aquarius,l’enfant est encore rattachéàsa
mèreparlecordonombilical.Ladélivrancealieu
dans le petit«hôpital »aménagé àbord.«Elle
était d’un calme olympien,se remémoreAlice
Gautreau,sage-femmepourMédecinssansfron-
tières(MSF).C’est incroyable. Normalement le

Quan dlessecouristes


del’“Aquarius”s’approchent


ducanot,ilsdistinguent


rapideme ntlaCamerounaise


parmilesautrespassagersdu


rafiotendétresse.“Elleétait


laseulefemmenoireau


milieud’ungrouped’Arabes.”


Nick,unsauveteur

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