Monde-Mag - 2019-07-27

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27 juillet 2019—Photos Bruno Fert/Neutral Grey pourMLemagazine du Monde

puisque c’est par ce pays qu’elle est entrée en
Europe. Elle risque d’y être renvoyée. De longs
mois d’attente et de désœuvrement s’écoulent, sous
la menace d’une expulsion. Constance est hébergée
un temps dans une chambre d’hôtel,àAnnecy
(Haute-Savoie). Mais elle ne s’y sent pas bien.«Je
ne connaissais personne. Jedevai sme débrouiller
pour alleràlapréfecture ouàlaCroix-Rouge. Je
n’avaispas d’accèsàInternet. Et juste un micro-
ondes pour cuisiner.»L’ assistante sociale lui interdit
d’installer desplaques électriques pour préparer les
purées de Christ. Lorsque Constance raconte cet
épisode, la colère affleure dans sa voix. Chaque
déconvenue est plus difficileàsupporter.Àl’au-
tomne, la mère et son fils quittent l’hôtel annécien.
Le réseau militant briançonnais, qu’elleaapproché
àson arrivée en France, la met en contact avec des
gens prêtsàl’héberger,àDie, dans la Drôme, à
200 kilomètres de la frontière.
Pendant ce temps,Yannickaréussiàentrer en
Espagne.Avec onze hommes, il s’est cotisé pour
acheter un canot pneumatique et ramer jusqu’aux
eaux internationales, où ils ont été secourus par la
Croix-Rouge. Au cours de leur périple, ils ont hissé
àbord un Sénégalais qui dérivait, accrochéàune
chambreàair de voiture.Yannick s’y reprend
ensuiteàdeux fois avant d’arriveràpasser la fron-
tière franco-espagnole etàrejoindre Die.
C’est chez Amélie et ses deux filles de 15 et5ans
que la famille réunie s’installe. Depuis son arrivée
àDie, en 2014, Amélie baigne dans la culture
locale qu’entretiennent«des soixante-huitards
babas cool, new age, punk... en tout cas, des gens
qui cherchent une alternativeàlas ociété de consom-
mation».Elle s’investit plutôt dans le mouvement
de la décroissance mais,àlafaveur d’une rencontre
interassociative, elle décide d’offrir une chambre à


la famille de Constance dans son appartement
HLM.«Jen’ai pas de grosses compétences, mais on
peut vivre ensemble»,propose-t-elle. Constance,
Yannick et Christysont généreusement accueillis.
L’ enfant grandit dans cet environnementàlatran-
quillité retrouvée. Il balbutie ses premiers mots,
apprendàcourir etàrire. Depuis le mois de mai,
Christ vaàlacrèche et, comme n’importe quel
autre enfant, pleure lorsque son père l’y dépose. Il
vient d’avoir2ans.
Constance n’est plus«dublinée ». Faute d’avoir
organisé son expulsion en Italie dans un délai de six
mois, la France doit maintenant examiner sa
demande de protection. La jeune Camerounaise
attend d’être convoquéeàl’Office français de pro-
tection des réfugiés et des apatrides (Ofpra).
Yannickalui aussi déposé une demande d’asile
mais, en vertu d’une clause de solidarité familiale, il
se retrouveàson tour sous le coup d’une procédure
DublinenItalie, alors même qu’il n’yajamais mis
lespieds. En juillet, le bureau de l’éloignement de
la préfecture de la Drôme luiaremis un arrêté de
transfert aux autorités italiennes, qu’ilaaussitôt
contesté devant la justice administrative. Dans cet
entrelacs de complications, qui confinent parfois à
l’absurde, l’attente le disputeàl’anxiété.«Onpasse
nos journéesàlamaison, on n’a rienàfaire»,se
désole Constance. Elle voudrait suivre une forma-
tion d’esthéticienne. Lui s’imagine travailler
comme plombier.Mais, tant que leur demande
d’asile n’a pas été traitée, ils sont contraintsàl’oisi-
veté. Grâceàl’aide du réseau militant, le couple
vient d’emménager dans un studioàDie, où il
retrouve un peu d’intimité. Ils aimeraient se marier.
«Avec tout ce qu’onasouffert ensemble»,dit Yannick.
En attendant, le jeune couple goûte au quotidien le
lent poison de l’ennui.

Ci-contre, ChristavecAmélie,
qui ahébergé lafamille dans
son appartement de Dieavant
qu’ils emménagent dans
leur proprelogement.
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