Monde-Mag - 2019-07-27

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Photos Bharat Sikka pourMLemagazine du Monde —27 juillet 2019

utilisés, c’est un bâtiment adaptéàson environnement et au
climat local,àl’allure indienne et universelle, conçu pour
entrer dans l’éternité »,témoigne l’architecte Stéphane
Paumier,Français installé en Inde qui a, lui, conçu l’univer-
sité O.P. Jindal, près de New Delhi,àlafindes années 2000.
Les ouvertures géométriques permettentàl’air de circuler
et de rafraîchir le lieu qui connaît des températures élevées
pendant l’été tandis que les épais murs de brique le protè-
gent de la chaleur.Avec son architecture sobre, ses vastes
murs percés de cercles ou de demi-lunes, le campusaune
allure monumentale, non par sa taille mais parce qu’il est
impossibleàdater,hors du temps.
«Très peu de gens savent parler de la matière en termes spi-
rituels:levide l’intéressait, le silence l’intéressait »,dit de
Louis Kahn son ancien disciple,l’architecte indien Balkrishna
Doshi dans un documentaire consacréàl’Américain. Sa large
cour au centre donne presque au bâtiment des allures de
monastère .Avec sa succession de petits couloirs sombres,
de pièces maléclairées et de puits de lumière, le campus
de l’IIM d’Ahmedabad se visite comme un monument du
clair-obscur.Lalumière et l’ombre agissent comme des pôles
magnétiques, favorisant le mouvement et la circulation du
visiteur.Les couloirs et même les pièces sont conçus comme
des lieux de passage ou de transit.
Aujourd’hui, l’IIM est l’une des plus prestigieuses écoles de
commerce d’Inde,mais le bâtiment est loin d’être le seul bijou
d’Ahmedabad. Le Corbusier et Frank LloydWright yont
dessiné des villas et des bâtiments administratifs. De quoi
faire de la ville la capitale de l’architecture moderne en Inde.
QuantàLouis Kahn,ilneverra jamais son œuvreterminée
ni les réalisations voisines de ses camarades. En 1974,àNew
York, quelques jours seulement après son retour d’un voyage
en Inde, il meurt,àl’âge de 73 ans, d’une crise cardiaque.

E


n1961,l’Inde estIndépendante depuIs
moIns de vIngtans.ÀAhmedabad,
riche ville du Gujarat,dans l’ouest du
pays, un groupe d’industriels, dont beaucoup ont fait fortune
avec des usines de coton, veulent construire une université
pour former une nouvelle génération de manageurs. Ils rêvent
d’un enseignement fondé, comme aux États-Unis, sur
l’échangeentre étudiants et professeurs, le dialogue entreles
disciplines. Et non sur le rapport hiérarchique entre le maître
qui sait et l’élève qui absorbe son savoir.Une petite révolution
dans la société indienne si hiérarchisée.
Deux grands industriels du textile,Vikram Sarabhai et
Kasturbhai Lalbhai, créent l’association de management
d’Ahmedabad. Ils reçoivent l’aide, en pleine guerre froide, de
la Fondation Ford,qui les mettra en contact avec plusieurs uni-
versités américaines, dont Harvard.Ils réussissentàobtenir
du gouvernement la construction du campus de l’Institut
indien du management (IIM) dans leur ville. Et en confient
la réalisationàl’architecte américain Louis Kahn, qui vient
de terminer les plans de l’Assemblée de la province orientale
du Pakistan, futur Parlement du Bangladesh.
Né en Estonie en 1901, exilé avec sa famille aux États-Unis
pendant son enfance, Louis Kahn s’est spécialisédans
des bâtiments favorisant la vie communautaire. Ainsi, à
Ahmedabad,il prévoit une grande cour au centreducampus.
Comme si,pour apprendre,il fallait sortir des salles de classe.
Et revenir auxsources de l’enseignement,dans un lieu infor-
mel qui privilégie les interactions.«Les écoles ont commencé
avec un homme au pied d’un arbre qui ne savait pas qu’il
était instituteur,entrain de discuter avec d’autres personnes
qui ne savaient pas qu’ils étaient ses élèves.(...)Plus tard,
des bâtiments furent construits et la première école vit
le jour »,écrira-t-il.«Avec la simplicité des matériaux

Ci-contre,
dans une salle
de cours de
l’institut.
Page de droite,
l’entrée
principale
de l’IIM et
une vue
extérieurede
la bibliothèque
Vikram-
Sarabhai.
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