Monde-Mag - 2019-07-27

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FRANCE


SAMEDI 27 JUILLET 2019

En 2050, 4 millions de personnes dépendantes


Selon une étude de l’Insee, les seniors en perte de capacités vont augmenter de plus de 60 % par rapport à 2015


U


n chiffre électrochoc.
En 2050, la France
comptera près de
4 millions de person-
nes de plus de 60 ans qui ne pour-
ront plus se lever, faire leur toi-
lette seules, préparer un repas
sans dépendre d’autrui, ou seront
sujettes à des altérations de la mé-
moire. L’Insee, dans une étude
publiée jeudi, établit que les se-
niors en perte d’autonomie, qui
sont aujourd’hui près de 2,5 mil-
lions, vont augmenter de plus de
60 % par rapport au dernier re-
censement de 2015.
L’estimation frappe d’abord par
l’ampleur de la hausse. Elle ébranle
ensuite parce qu’elle est deux fois
plus élevée que la statistique qui
fait foi dans les rapports officiels et
figure dans les documents du mi-
nistère de la santé. Les acteurs pu-
blics ont eu jusqu’ici pour seule ré-
férence la projection de la direc-
tion de la recherche, des études, de
l’évaluation et des statistiques
(Drees) qui prévoit que les person-
nes en perte d’autonomie seront
2,2 millions en 2050, contre près
d’1,3 million aujourd’hui.
L’étude de l’Insee, coélaborée
avec la Drees et rendue publique
jeudi, laisse entrevoir un complet
changement d’échelle. La part des
seniors en perte de capacités phy-
siques ou cognitives passerait
ainsi de 3,7 % en 2015 à 5,4 % de la
population totale en 2050. L’insti-
tut statistique module cette explo-
sion démographique par départe-
ment. Leur proportion augmente-
rait le plus sensiblement dans le
Gard, les Hautes-Alpes, l’Ardèche.
En revanche, elle resterait stable
dans les Hauts-de-Seine. La crois-
sance des plus dépendants serait
globalement plus manifeste à par-
tir de 2027, quand la génération
des baby-boomers, nés dans les
années 1950, passera les 75 ans.
Dans son rapport rendu en mars
à Agnès Buzyn après la concerta-
tion nationale « grand âge et auto-
nomie » orchestrée par la minis-
tre, Dominique Libault, président
du Haut Conseil du financement
de la protection sociale, a intégré
les données de la Drees et non pas
celles récentes de l’Insee. Le rap-
port indique que « la hausse an-
nuelle du nombre de personnes
âgées en perte d’autonomie devrait
doubler entre aujourd’hui et 2030,
passant de 20 000 à 40 000 par an.
Leur nombre s’élèverait à 2 235 000
en 2050, contre 1 265 000 en 2015 ».
L’écart varie du simple au dou-
ble entre l’étude de l’Insee et le
rapport Libault. Difficile de con-
clure, pour autant, que les deux
chiffres se contredisent.

En effet, l’étude de la Drees à la-
quelle se réfère le rapport Libault
prend pour base de référence le
nombre des bénéficiaires de l’allo-
cation personnalisée d’autono-
mie (APA). Un point de départ res-
trictif, car toutes les personnes
âgées dépendantes ne bénéficient
pas de cette aide. Les raisons de ce
non-recours sont multiples : elles
ne connaissent pas l’existence de
l’APA ; elles y renoncent parce que
leurs revenus élevés ne leur don-
nent droit qu’à un niveau d’alloca-
tion modique ou bien parce que
leur entourage familial les aide.

Des critères administratifs
Enfin, à domicile, l’APA est al-
louée après une visite des équi-
pes médico-sociales des départe-
ments qui décident ou non de
l’attribuer en fonction de plu-
sieurs critères, dont l’état de
santé de la personne. La projec-
tion de la Drees retient donc des
critères administratifs.
L’Insee a travaillé sur une autre
base. Elle s’est fondée sur deux en-
quêtes épidémiologiques réalisées

à partir de questionnaires établis
en 2014 et 2015 au près des plus de
60 ans sur leur autonomie dans
les actions du quotidien. « Quand
le rapport Libault a été élaboré,
l’Insee n’avait pas réalisé les projec-
tions pour 2050 à partir de ces don-
nées déclaratives », explique Del-
phine Roy, chef du bureau handi-
cap et dépendance à la Drees.
De fait, l’étude de l’Insee met
pour la première fois en évidence
une réalité jamais démontrée jus-
qu’ici : un senior sur deux en perte
d’autonomie ne serait pas attribu-
taire de l’APA. Pour autant, rien ne
permet de dire à ce stade que le pe-
tit pavé dans la mare statistique
que constitue l’étude de l’Insee
ébranle l’échafaudage financier
que le gouvernement cherche à
assembler à partir du schéma livré
par le rapport Libault. « Cela ne
changera rien aux projections fi-
nancières si le ratio entre bénéfi-
ciaires de l’APA et population totale
des seniors en perte d’autonomie
reste le même entre aujourd’hui et
2030, voire 2050 », réfute Delphine
Roy, coauteure de l’étude.

Le rapport Libault préconise
175 mesures dont il évalue le coût
à 9,2 milliards d’euros entre 2018
et 2030. Or, dans ce total, figurent
4,3 milliards au titre de l’évolu-
tion démographique fondée sur
la seule évolution du nombre
d’allocataires de l’APA. Faudra-t-il
revoir à la hausse l’évolution na-
turelle des dépenses à la lumière
des projections de l’Insee?

Rallonge financière
Déjà les langues des acteurs du
secteur, qui jusqu’à présent
s’étaient gardés de remettre en
cause la trajectoire financière du
rapport Libault, se délient. « On a
applaudi le rapport Libault parce
qu’il a eu le premier le courage de
reconnaître l’ampleur des besoins,
confie Florence Arnaiz-Maumé,
déléguée générale du Syndicat na-
tional des établissements et rési-
dences privés pour personnes
âgées (Synerpa). Mais on savait,
avant même la publication de
l’étude de l’Insee, que les besoins es-
timés par le rapport étaient sous-
cotés. C’est une évidence pour les

professionnels que nous sommes! »
Aujourd’hui, l’APA coûte près de
6 milliards d’euros. Un quasi-dou-
blement des bénéficiaires en 2050,
comme le prévoit le rapport Li-
bault, entraînera une hausse supé-
rieure à 9,2 milliards d’euros, ex-
plique-t-elle.
Le rapport Libault préconise une
rallonge financière de 550 mil-
lions d’euros d’ici à 2024 pour les
services d’aide et d’accompagne-
ment à domicile, afin de revalori-
ser les salaires des professionnels.

Loi énergie-climat : députés et sénateurs trouvent un compromis


La commission mixte paritaire a reculé sur la lutte contre les « passoires thermiques ». Le texte doit être définitivement adopté en septembre


A


lors que la France suffo-
quait sous la canicule, dé-
putés et sénateurs, réunis
en commission mixte paritaire,
sont parvenus, jeudi 25 juillet, à un
compromis sur le projet de loi
énergie-climat. La majorité se féli-
cite de cet accord : le député La Ré-
publique en marche (LRM) du
Gard Anthony Cellier, rapporteur
du texte à l’Assemblée nationale,
salue « un texte d’équilibre, ambi-
tieux et tourné vers l’avenir ». Le
collectif sénatorial « urgence cli-
matique », animé notamment par
le sénateur Europe Ecologie-Les
Verts (EELV) de Loire-Atlantique
Ronan Dantec, déplore au con-
traire « un compromis décevant »
et « un manque d’ambition ».
Destiné à actualiser la loi de tran-
sition énergétique de 2015, ce pro-
jet de loi, présenté par le gouver-

nement en procédure accélérée,
grave pour la première fois dans le
marbre la référence à « l’urgence
écologique et climatique ». Ses
grands objectifs avaient été ap-
prouvés à la fois par les députés, le
28 juin, et par les sénateurs, le
18 juillet. Il s’agit d’atteindre la
neutralité carbone à l’horizon
2050, de réduire de 40 % la con-
sommation d’énergies fossiles
d’ici à 2030, de fermer les quatre
dernières centrales à charbon
françaises en 2022, mais aussi de
différer de dix ans, jusqu’à 2035, la
baisse à 50 % (contre plus de 70 %
aujourd’hui) de la part de l’électri-
cité d’origine nucléaire.
C’est sur la question des « pas-
soires thermiques », c’est-à-dire
les 7,4 millions de logements éti-
quetés F et G pour leurs faibles
performances énergétiques, que

les dissensions ont été les plus vi-
ves, y compris au sein de la majo-
rité. Lors de l’examen du texte à
l’Assemblée, des députés LRM
avaient proposé d’interdire la lo-
cation de ces logements énergi-
vores dès 2025 dans les zones ten-
dues, conformément aux enga-
gements de campagne d’Emma-
nuel Macron.

Déception des ONG
Mais le gouvernement s’y était op-
posé, au profit d’un dispositif
d’abord incitatif puis plus contrai-
gnant. L’obligation, pour les pro-
priétaires de tels logements,
d’avoir réalisé des travaux de réno-
vation permettant d’atteindre au
moins la classe E, avait été différée
à 2028, et 2033 pour les coproprié-
tés en difficulté. Or, les sénateurs
avaient créé la surprise, en se

montrant beaucoup plus volonta-
ristes sur ce sujet. Contre l’avis du
gouvernement, ils avaient décidé
d’interdire à la location les passoi-
res thermiques dès 2023, en les
considérant comme « indécents ».
Mais, en commission paritaire, les
parlementaires ont fait marche ar-
rière, en acceptant que la fixation
des normes de décence soit ren-
voyée à un futur décret, sans fixer
de seuil de référence.
« Nous sommes allés le plus loin
possible », soutient Marjolaine
Meynier-Millefert, députée LRM
de l’Isère, qui « compte sur la loi
de finances de 2020 pour trouver
des dispositifs 100 % accompa-
gnés et financés afin de rénover
les logements énergivores occu-
pés par les 40 % de ménages les
plus modestes ».
En dépit de ce recul, la position

qu’avait prise le Sénat constitue
« un signal fort qui devra être pris
en compte dans la prochaine loi de
finances, pour agir véritablement
contre les passoires thermiques »,
estime lui aussi le sénateur (Les
Républicains) des Vosges Daniel
Gremillet, rapporteur du projet de
loi au Sénat. Il souligne également
que celui-ci « a renforcé les objec-
tifs en faveur des énergies renouve-
lables, notamment en matière
d’éoliennes en mer, d’hydroélectri-
cité, d’hydrogène et de biomasse ».
Et il se félicite du maintien, dans le
texte final, de l’instauration d’une
loi de programmation quinquen-
nale qui, à compter de 2023, asso-
ciera les parlementaires à la défi-
nition des priorités énergétiques.
Dans les rangs des ONG, c’est en
revanche la déception qui pré-
vaut. « Par un deal en catimini, les

parlementaires s’accordent sur
une loi insincère : d’un côté, elle
acte l’urgence climatique et l’ob-
jectif de neutralité carbone ; de
l’autre, les conditions pour y arri-
ver, comme l’interdiction progres-
sive à la location des passoires
énergétiques, sont retirées du
texte », dénonce Anne Bringault,
du Réseau Action Climat. « Le pro-
blème reste entier, poursuit-elle.
Avec les associations de lutte con-
tre la précarité, nous continuerons
à défendre des solutions pérennes
pour les locataires qui souffrent
cruellement de la chaleur actuelle-
ment et ont du mal à payer leur
facture de chauffage en hiver. »
Le texte doit être ratifié en sep-
tembre par l’Assemblée nationale
et le Sénat.p
pierre le hir
et isabelle rey-lefebvre

Martinique

Guadeloupe

La Réunion

Guyane

Mayotte
(non disponible)

Martinique

Guadeloupe

La Réunion

Guyane

Mayotte
(non disponible)

2,5 millions
de seniors en perte
d’autonomie en 2015

16,2 millions
de personnes de 60 ans
et plus en 2015

24,3 millions
en 2050

1,9 million à domicile
540 000 en établissement

3,1 millions
de seniors en perte
d’autonomie en 2030

2,5 millions à domicile
643 000 en établissement

4 millions
de seniors en perte
d’autonomie en 2050

3,2 millions à domicile
829 000 en établissement

Moins de 13 De 13 à 15 De 15 à 17 Plus de 17 à 19 Plus de 19

SOURCE : INSEE
INFOGRAPHIE LE MONDE

En 2015 En 2050


PART DES PERSONNES DE 60 ANS ET PLUS EN PERTE D’AUTONOMIE, EN %

L’étude montre
qu’un senior sur
deux en perte
d’autonomie ne
serait pas
attributaire de
l’allocation
personnalisée
d’autonomie

« C’est notoirement insuffisant
pour un secteur aussi sinistré », as-
sène Mme Arnaiz-Maumé. « Les be-
soins sont considérables. Ce qu’il
faut désormais c’est s’atteler au fi-
nancement de ces mesures, un fi-
nancement progressif mais d’am-
pleur inédite », prévient Olivier Vé-
ran, député La République en mar-
che de l’Isère et rapporteur de la
commission des affaires sociales.
Avec d’autres députés macronis-
tes, il tente d’obtenir de Bercy que
le gouvernement « réduise le
rythme du remboursement de la
dette sociale [le « trou » de la Sécu]
actuellement plus rapide que né-
cessaire au vu de nos engage-
ments », assure M. Véran. Il en va
de la capacité de dégager « des mar-
ges pour financer au premier chef
la dépendance ». Mais, s’agissant
des arbitrages financiers en cours
en vue du projet de loi de finance-
ment de la Sécurité sociale, on se
montre plus que prudent au cabi-
net d’Agnès Buzyn. « Réponse fin
août, pas avant », temporise l’en-
tourage de la ministre.p
béatrice jérôme
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