O
n est au milieu du
mois de février, je
suis enceinte de six
mois, quand je vois
passer l’annonce sur
mon fil Facebook :
« Faites la première partie de Julien
Doré ». J’adorerais, mais honnête-
ment, je trouve ça trop beau pour être
vrai. Je remplis le formulaire sans
trop y croire et je joins une chanson,
« Cities », en guitare-voix. On peut
choisir sa ville dans la tournée, je
sélectionne Lyon, dont je suis origi-
naire. Mais il y passe en mai, pile au
moment de mon accouchement :
même si je gagne, je ne pourrai pas y
aller, je poste donc ma candidature
très détendue, pour l’oublier aussitôt.Un mois plus tard, une amie
me tague
La story de Julien Doré annonce : « Je
regarde vos vidéos! » C’est la mienne
qui passe en fond. Mais la date du
concert passe et je n’ai eu aucune
nouvelle. J’accouche, et je zappe l’his-
toire, toute heureuse avec mon bébé.
À peine sortie de la maternité, je pars
en vacances dans la Drôme et me
déconnecte totalement. Un numéro
inconnu m’appelle, je ne réponds pas,
persuadée qu’il s’agit d’une pub. Au
bout de trois jours, je finis par décro-
cher. « Bonjour c’est Auguri Produc-
tion, est-ce que tu as reçu mon mail?Jour J comme Je flippe
J’avais prévenu la prod que j’arrivais
chargée d’un nouveau-né, et appelé
ma sœur, toujours lyonnaise, pour
qu’elle assure le baby-sitting. Je souffre
d’un trac terrible, mais j’ai tellement
de choses à régler en parallèle que,
finalement, je ne pars pas trop en vrille.
On nous installe dans la loge, puis je
ressors pour faire la balance. Un musi-
cien, souriant, s’approche pour
prendre ma guitare. « Tu l’accordes
comment? » Comment ça comment?
Il y a plusieurs façons? « Heu... Nor-
mal. » Ses mains volent sur les cordes et
quand il me la rend, j’ai l’impression
d’en avoir une nouvelle. Je joue un
peu : dans cet amphithéâtre, avec ces
amplis, le son est juste incroyable.Julien Doré arrive,
en bermuda lui aussi
Il me dit qu’il a adoré ma vidéo, il est
disponible, gentil. « Ça ne te dérange
pas que j’inverse l’ordre de tes chan-
sons? Je voudrais faire “Cities” avec toi
et enchaîner sur mon concert. » Un
duo, carrément. Si j’avais le temps de
m’évanouir, je tomberais illico. Mais
il s’installe au piano et commence à
chercher les harmonies, on répète
ensemble, il nous place tous les deux
sur un pied d’égalité : lui et son piano,
moi, ma guitare et mon tee-shirt mou.
Retour loge. Avec ma sœur, on va au
restaurant, on revient, et en un éclair,J’ai fait la première
partie de Julien Doré
Depuis des années, je compose en marge de mon boulot. Je m’amuse,
je m’évade, je chante pour ma webcam. Sous le nom de « Francis’ », je commence
à avoir mon petit public, mais rien ne m’avait préparée à ce choc-là.
Propos recueillis par Sophie Hénaff. Illustration Delphine Cauly.(Non, je n’ai rien ouvert depuis deux
semaines.) Tu es sélectionnée pour
les Nuits de Fourvière. » Le choc. Les
Nuits de Fourvière. Pour moi, c’est
un sommet absolu : des concerts en
plein air, dans un amphithéâtre
romain qui domine la ville de Lyon.Ça figurait dans ma liste
de rêves à accomplir
« C’est lundi, on t’attend. » J’ai le bébé
dans les bras, je le berce pour que la
productrice ne l’entende pas choui-
ner quand je réponds : « Pas de pro-
blème. » Lundi, c’est dans six jours! Je
suis plantée là, en pleine campagne,
avec un nourrisson à gérer, des shorts
et des vieux tee-shirts dans ma
valise, les tongs aux pieds, ma guitare
à Paris et les kilos post-accouchement
éradiquant toute ma garde-robe.
Mon copain bosse, il garde l’aînée et
ne peut pas me rejoindre avant le
week-end. Reste ma maman, à qui
je demande de passer chez moi pour
récupérer ma guitare – je n’ai plus
joué depuis trois mois. Et pour le
concert, le seul vêtement qui m’aille :
une combinaison en jean que j’ai
réessayée après l’accouchement. Ma
mère arrive le surlendemain, il ne me
reste plus que trois jours de prépara-
tion. Je choisis quatre chansons que
je connais bien, je bois des litres de
tisane et je répète, mais pas trop, car
le stress me fait perdre la voix.98 WWW.COSMOPOLITAN.FR AOÛ T 2 019
ÉTÉ 1981HISTOIRE VRAIE