Cosmopolitan N°549 – Août 2019

(Nora) #1

c’est l’heure : je dois m’habiller. Avant
de le confier à ma frangine, je m’oc-
cupe de mon fils. Un dernier allaite-
ment, puis je déboutonne son body,
j’enlève la couche, et tout bascule.
Sans sommation, mon bébé expulse
un litre de diarrhée sur mon tee-shirt,
ça dégouline sur mon short, je me
retrouve maculée, en état de stupéfac-
tion. « Sous l’effet du stress, le lait
maternel vire et donne la colique aux
nourrissons », j’apprendrai plus tard.
Là, je suis juste hébétée, je dois mon-
ter sur scène dans dix minutes. Réac-
tion, réaction, vite, vite. Je tends le
bébé à ma sœur, je me déshabille,
après tout, rien de grave, j’ai ma com-
binaison en jean. Je l’enfile, parfait, je
souffle, je m’assieds, et là, nouveau
désastre : je ne peux plus respirer.
Au retour de la maternité, j’ai essayé
ma combi, oui, mais debout, pas
assise. Impossible de chanter engon-


cée comme ça. Je vais devoir remettre
le short et le tee-shirt imbibés
pour chanter aux Nuits de Fourvière
devant 4 000 spectateurs. Piteuse, je
rejoins Julien Doré, splendide dans sa
tenue de scène, qui m’attend derrière
le rideau. « Tu as encore deux minutes
pour te changer si tu veux », il me
dit, mi-doux, mi-goguenard. Il me
vanne un peu, pour me mettre à l’aise.
Je sais que c’est lui qui a imposé ce
concept de première partie à ses tour-
neurs, lui qui a écouté toutes les
démos, lui encore qui essaie de me
détendre maintenant. Merci. Un tech-
nicien allume sa torche : « On y va. »

Cette succession de
catastrophes a été ma chance
À ce niveau d’adrénaline, j’ai dépassé
la notion de trac, je me sens comme
détachée de tout, inaccessible
aux contrariétés, prête pour la magie.

Julien me prend par la main, on ouvre
le rideau, et soudain nous voilà dans
le feu des projos, un mur de public
debout devant nous qui hurle, avec
cet amphithéâtre qui, depuis la scène,
semble monter jusqu’aux étoiles. Les
secondes s’étirent pour se fixer par-
tout dans ma mémoire et, dans le
silence qui revient peu à peu, Julien
Doré me présente, non, mieux : il me
recommande aux gens. Je ne suis plus
une première partie qui se pointe
comme un cheveu sur la soupe quand
tout le monde attend la vedette. Les
gens deviennent forcément bienveil-
lants. Ils m’écoutent. Je m’installe
sur ma chaise, toujours cachée der-
rière ma guitare, et je déroule mes
titres comme un rêve, je n’ai jamais
aussi bien chanté, je suis exactement
où je veux être, ma famille est dans
les gradins, mon instrument sonne
parfaitement, jusqu’au duo que je
traverse en apesanteur. À la fin, Julien
se lève de son piano et vient saluer
avec moi. C’est ma première ovation,
un shoot d’amour indescriptible, un
truc à rendre accro les artistes, je
prends conscience de ce qu’ils vivent.
Je n’en dormirai pas pendant trois jours.

J’ai compris quelque chose
ce soir-là
J’ai rejoint ensuite ma famille dans
l’amphi et on a assisté au concert.
En sortant, ma fille, 4 ans, m’a
demandé : « Maman, c’était qui le
monsieur qui a chanté après toi? »
Trop mignon. Le monsieur, c’était
Julien Doré, un sacré artiste, qui m’a
offert bien plus qu’une soirée. Moi
qui pensais toujours au marketing, à
l’image, qui me prenais la tête avec
mille questions... Ici, pleine de
taches, non préparée, j’ai pleinement
vécu l’échange, le moment, et j’ai
réalisé qu’en fait, il n’y a besoin de rien
pour faire de la musique. ●

Chloé enregistre actuellement ses berceuses pop
et les partagera sur ses pages Insta et Facebook,
@thisisFrancismusic.^

Vous souhaitez nous raconter une histoire? Une expérience? Écrivez-nous à [email protected].


AOÛ T 2 019 WWW.COSMOPOLITAN.FR 99

Free download pdf