Science Du Monde N°4 – Août-Octobre 2019

(lily) #1
Science magazine n°61 17

Cerveau : le rôle étonnant de CertainS neuroneS Cerveau : le rôle étonnant de CertainS neuroneS dossier 49


Un peu d'électricité, et le neurone change de fonction!


Les nouveaux neurones de l'adulte


sensibles à la récompense


La théorie de la spécialisation précoce des
neurones se confirme avec cette étonnante
découverte faite toujours à l'UNIGE : en
manipulant les propriétés bioélectriques
des cellules souches qui génèrent les neu-
rones, il est possible de changer la compo-
sition cellulaire du cerveau au cours du
développement.

Le cortex cérébral est la région la plus déve-
loppée chez les mammifères et permet des
fonctions intellectuelles avancées telles que
la perception consciente du monde, l’antici-
pation, ou encore le langage. A chaque acti-
vité correspondent des circuits composés de
neurones bien précis. Les différents types de
neurones sont créés les uns après les autres
au cours de l’embryogenèse par des cellules
souches nommées progéniteurs, présentes
dans les profondeurs du cerveau. « Nous nous
sommes demandés comment ces progéniteurs
savent quel type de neurones ils doivent fabri-
quer à chaque moment du développement de
l’embryon », expose Denis Jabaudon, pro-
fesseur au Département de neurosciences
fondamentales de la Faculté de médecine de
l’UNIGE. Pour cette étude, l’équipe de scien-
tifiques a choisi d’aborder la question sous
un nouvel angle. « D’habitude, ce sont des
facteurs génétiques qui sont les stars du fonc-
tionnement cellulaire », explique Ilaria Vitali,
chercheuse au sein de l’équipe. « Ici, nous
nous sommes intéressés à d’autres acteurs,
les propriétés électriques des progéniteurs. »

En effet, si le rôle de l’activité électrique dans
le fonctionnement des circuits du cerveau est
bien établi, on ne savait jusqu’ici presque rien
sur l’effet de l’électricité sur les propriétés
des progéniteurs cérébraux. Les scientifiques
ont mesuré chaque jour la charge électrique
des progéniteurs d’embryons. « Nous avons
constaté qu’alors que le foetus grandit et que
les types de neurones fabriqués se complexi-
fient, le voltage des progéniteurs augmente
de plus en plus », explique Denis Jabaudon.

Afin de confirmer cette observation, les scien-
tifiques ont modifié génétiquement des cel-
lules embryonnaires « pour manipuler à notre
guise leur voltage et charger ou décharger
ces cellules », explique Sabine Fièvre, co-
première auteure de l’étude. Et effectivement,

si les progéniteurs sont artificiellement char-
gés en début d’embryogenèse, ils fabriquent
alors précocement des neurones apparaissant
normalement à la fin du développement de
l’embryon. « Et inversement, si nous déchar-
geons les progéniteurs, ceux-ci fabriquent à
nouveau des neurones apparaissant normale-
ment plus tôt lors du développement de l’em-
bryon! », s’enthousiasme Denis Jabaudon.

Ces résultats démontrent pour la première fois
que l’activité bioélectrique des progéniteurs
joue un rôle capital dans la fabrication des
différents types de neurones. Ceci pourrait
expliquer les effets de certaines maladies du
développement liées à une activité électrique
anormale, comme par exemple l’épilepsie.

On le sait désormais : le cerveau adulte
peut produire de nouveaux neurones. Mais
quelles sont leurs propriétés? Quels avan-
tages apportent-ils que leurs semblables,
générés peu après la naissance, ne peuvent
garantir?

Même si la plupart des neurones sont générés
au cours du développement embryonnaire,
certaines régions du cerveau des mammifères
ont en effet la capacité, à l’âge adulte, de

renouveler continuellement leurs neurones.
La découverte de ces néo-neurones adultes
fut une révolution en neurobiologie, mais de
nombreuses questions sur la fonction et la
manière dont ils s’intègrent dans leur territoire
cible demeuraient toujours sans réponse.

Une équipe de chercheurs de l'Institut Pasteur
et du CNRS, dirigée par Pierre-Marie Lledo,
directeur de recherche CNRS, a démontré
que l’attribution de valeurs plaisantes aux

expériences sensorielles repose étroitement sur
l’activité des neurones produits chez l’adulte, et
non ceux formés peu après la naissance. C’est
grâce à l’activité de ces premiers qu’un sujet
pourrait anticiper l’arrivée d’une récompense.

Pour cela, les chercheurs se sont intéressés
plus particulièrement à la production de nou-
veaux neurones dans la région du cerveau
responsable de l’analyse des odeurs, le bulbe
olfactif. Ces néo-neurones sont considérés

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Science magazine n°

48 dossier Cerveau : le rôle étonnant de CertainS neuroneS Cerveau : le rôle étonnant de CertainS neuroneS


des neurones spécialisés dès la naissance


Des chercheurs suisses ont découvert le
lieu de naissance précis d’une catégorie de
neurones. Puis ils ont découvert un fac-
teur moléculaire unique qui leur permet
de suivre leur migration jusqu’au cortex
cérébral.

Le cortex cérébral est composé d’une mul-
titude de neurones, chacun doté de caracté-
ristiques propres sur les plans moléculaire,
morphologique et fonctionnel. Mais où
naissent-ils? Comment développent-ils leurs
propriétés particulières? A l’heure actuelle,
il n’existe aucune réponse complète à ces
questions.

Deux types de neurones sont nécessaires pour
que le cortex cérébral puisse fonctionner de
façon harmonieuse : les excitateurs (80%),
responsables de la transmission de l’infor-
mation à d’autres régions cérébrales, et les
inhibiteurs (20%) qui régulent l’activité des
excitateurs. Les neurones inhibiteurs, nom-
més également interneurones, sont considérés
comme de véritables « chefs d’orchestre ».
Ils modulent le flux excitateur et le rendent
cohérent, un fondement dans l’accomplisse-
ment de tâches complexes. Aujourd’hui, il est
encore difficile d’avoir accès aux sous-classes
de neurones inhibiteurs pour en saisir préci-
sément le rôle dans le bon fonctionnement
du cortex cérébral adulte. D’où viennent-ils?
Comment se spécialisent-ils?

Pour tenter de répondre à ces questions,
deux modèles sont proposés par les neu-
roscientifiques. Le premier considère que
les différentes classes de neurones naissent
avec la même identité et se spécialisent par
la suite en fonction de leur environnement.
Au contraire, le second prône une diversité
génétique initiale, qui, dès la naissance de la
cellule, les amène à exprimer les traits d’une
classe donnée.

L’équipe d’Alexandre Dayer, professeur au
Département de psychiatrie et des neuros-
ciences fondamentales de la Faculté de mé-
decine de l’UNIGE (Université de Genève),
s’est alors intéressée à développer un outil

qui permettrait non seulement de
savoir où est généré un type pré-
cis d’interneurones inhibiteurs et
de suivre leur migration jusqu’au
cortex cérébral, mais aussi d’en
étudier les propriétés à l’âge
adulte. « Nous avons observé
et testé plusieurs facteurs de
transcription, responsables de
la régulation génétique, et nous
avons découvert que le facteur
HMX3 est exprimé très locale-
ment dans une région de genèse
des interneurones. Ceci pourrait
figurer l’empreinte génétique
initiale d’une classe précise! »,
s’enthousiasme Alexandre
Dayer. Suivant cette hypothèse,
les chercheurs ont découvert que
le gène HMX3 permet effecti-
vement de suivre la trajectoire
développementale d’un type
unique d’interneurones, les cel-
lules neurogliaformes.

Ils ont ainsi pu découvrir
l’origine des cellules neuro-
gliaformes et suggérer que ce
sous-type d’interneurones est
défini par l’expression de ce
facteur. « Non seulement cette
catégorie d’interneurones trouve son origine
dans une zone appelée aire pré-optique, si-
tuée très loin du cortex cérébral, mais elle naît
déjà spécialisée » explique Mathieu Niquille,
chercheur au Département de psychiatrie de
la Faculté de médecine de l’UNIGE. « Cela
donne du crédit au second modèle proposé
par les neuroscientifiques ».

Pour la première fois, des chercheurs sont
capables de localiser avec précision l’endroit
où est générée une catégorie particulière de
neurones inhibiteurs, et de suivre son par-
cours jusqu’au cortex cérébral. « Cette dé-
couverte est une importante avancée dans
la compréhension de la genèse de la diver-
sité neuronale », relève Alexandre Dayer.
« Nos résultats démontrent que des facteurs
génétiques précoces sont responsables de la

spécialisation des cellules neurogliaformes,
et qu’il en est probablement de même avec
la vingtaine d’interneurones que l’on peut
observer dans le cortex cérébral. » Chaque
type naîtrait ainsi avec ses particularités dans
un endroit précis du cerveau.

Les chercheurs veulent à présent élucider le
rôle unique des cellules neurogliaformes et
tenter d’éclaircir l’origine des autres classes
d’interneurones. « Cette recherche ouvre
également des perspectives pour une meil-
leure compréhension de certaines mala-
dies psychiatriques, comme l’autisme et la
schizophrénie, particulièrement concernée
par des altérations dans la balance entre
les neurones inhibiteurs et excitateurs à des
stades précoces du développement », conclut
Alexandre Dayer.

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