Science Du Monde N°4 – Août-Octobre 2019

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ActuAlités 25


Science magazine n°

BreveS


Détecter un traumatisme crânien avec


une seule goutte de sang


Des chercheurs suisses ont développé un
boitier portable capable de diagnostiquer
en 10 minutes un traumatisme cérébral
léger.

Chuter à ski, tomber dans les escaliers ou
prendre un coup sur la tête entraîne des
symptômes tels qu’une vision floutée, des
vomissements, une perte de conscience ou
de mémoire pendant une trentaine de mi-
nutes. Chaque année, en Europe, 3 millions
de personnes sont ainsi admises à l’hôpital à
cause d’une suspicion de traumatisme céré-
bral léger. Mais plus de 90% de ces patients
pourront rentrer chez eux sans risque, avec
seulement une bosse.

Des chercheurs de l’Université de Genève
(UNIGE), en collaboration avec les Hôpitaux
de Barcelone, Madrid et Séville, ont mis au
point un petit boitier qui analyse le taux de
protéines dans le sang et permet, à l’aide
d’une seule goutte de sang, de diagnostiquer
la possibilité d’un traumatisme cérébral léger
chez le patient. Commercialisée dès 2019,
cette découverte permettra non seulement
de désengorger les urgences, de libérer les
patients d’attentes souvent longues, mais
aussi d’économiser sur des examens médi-
caux coûteux. En effet, aujourd’hui le seul
diagnostic fiable est le CT Scan, un examen
disponible uniquement dans certains hôpi-
taux et qui, en plus d’être coûteux, expose
les patients à des irradiations.

« Nous nous sommes demandés s’il était
possible d’isoler certaines protéines dont
la présence dans le sang augmente en cas
de traumatisme cérébral léger », explique
Jean-Charles Sanchez, professeur au Dépar-
tement de médecine interne des spécialités et
du Centre des biomarqueurs de la Faculté de
médecine de l’UNIGE. « Notre idée était de
trouver le moyen de faire un examen rapide
qui permettrait, lors d’un match de boxe ou
de football américain par exemple, de dire
si le sportif peut retourner sur le terrain ou
si son état nécessite une hospitalisation.
Tout le contraire du CT Scan, un examen

qui dure longtemps
et qui ne peut pas se
faire n’importe où »,
complète-t-il.

Lors d’un choc à la
tête, certaines cel-
lules cérébrales sont
abîmées et relâchent
les protéines qu’elles
contiennent, fai-
sant augmenter leur
taux dans le sang.
Les scientifiques de
l’UNIGE et des hôpi-
taux espagnols ont
alors comparé le sang
de patients admis pour
traumatisme cérébral
léger mais diagnos-
tiqués négatifs, avec
celui de patients ayant
effectivement un
traumatisme cérébral
léger. Ils ont progres-
sivement isolé quatre molécules indiquant
la présence de ce type de traumatisme :
H-FABP, Interleukin-10, S100B et GFAP.
« Nous avons remarqué que le taux de H-
FABP à lui seul permet d’affirmer qu’il n’y a
aucun risque de trauma chez un tiers des pa-
tients admis après un choc! », s’enthousiasme
Jean-Charles Sanchez. Le restant ira passer
un CT Scan afin de confirmer le diagnostic.

Il fallait encore mettre au point un appareil
permettant de faire l’examen partout, rapi-
dement et simplement, et que l’on puisse se
procurer en pharmacie ou dans les salles de
sport. L'équipe a mis au point un test de dia-
gnostic rapide nommé TBIcheck, inspirés par
le principe du test de grossesse : en posant une
seule goutte de sang sur la languette d’un petit
boitier en plastique de 5cm, le patient sait en
10 minutes s’il y a un risque de trauma léger,
à savoir si son taux de H-FABP est supérieur
ou non à 2,5 nanogrammes par millilitre de
sang. « Si une bande apparaît, le blessé doit
aller passer un CT Scan, s’il n’y a rien, il peut

rentrer chez lui sans risque! », affirme J-C.
Sanchez. En cas de doute lors de la lecture
du résultat, un petit lecteur, le Cube Reader,
peut être posé sur TBIcheck. Celui-ci écrira
« positif » ou «négatif » et enverra le résultat
sur le Smartphone du patient ou du soignant
via Bluetooth. Plus de doute possible!

« Aujourd’hui, nos recherches montrent que
les résultats sont encore plus précis lorsque
nous combinons les taux de H-FABP et de
GFAP », continue le scientifique. « Nous
sommes en train de préparer un TBIcheck
encore plus performant, qui permettra de ren-
voyer à la maison 50% des patients, mais qui
demande une augmentation de la sensibilité
de la languette qui reçoit le sang ». A terme,
l’objectif est de mettre sur le marché des
biomarqueurs capables de diagnostiquer des
traumatismes cérébraux, mais aussi des AVC
et des anévrismes. « Les biomarqueurs sont
une mine d’informations sur l’état de santé
des patients, à nous de savoir les décoder »,
conclut le chercheur genevois.

© UNIGE Jean-Charles Sanchez

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Science magazine n°

ACtUALités BreveS


Notre Voie lactée a heurté


une autre galaxie!
La mission spatiale Gaia de l’ESA a dévoilé
un événement majeur de l’histoire de la for-
mation de la Voie lactée*. Notre galaxie ne
s’est pas formée isolée, elle a fusionné avec
une autre grande galaxie dans sa jeunesse,
il y a environ 10 milliards d’années.

Gaia mesure la position, le mouvement et la
luminosité des étoiles avec une précision sans
précédent. Sur la base des 22 premiers mois
d’observation, l’étude de 7 millions d’étoiles -
celles pour lesquelles les positions et vitesses
3D complètes sont disponibles – a permis de
découvrir que 30 000 d’entre elles faisaient
partie d'un "groupe étrange" d’étoiles vieilles
se déplaçant à travers la Voie lactée et que
l’on peut observer dans le voisinage du soleil.
Nous sommes si profondément ancrés dans ce
groupe que ses étoiles nous entourent presque
complètement et peuvent donc être vues à tra-
vers la plus grande partie du ciel. Les étoiles
du groupe se distinguaient dans les données
de Gaia car elles se déplaçaient toutes sur
des trajectoires allongées dans la direction
opposée à la majorité des autres étoiles de la
galaxie, y compris le Soleil. Elles se distin-
guaient également dans le diagramme Hertz-
prung-Russell - qui relie luminosité et couleur
des étoiles - indiquant qu’elles appartenaient
à une population stellaire clairement distincte.

Dans le passé, les chercheurs avaient utilisé
des simulations pour étudier ce qu'il advient
des étoiles lorsque deux grandes galaxies fu-
sionnent. En comparant celles-ci aux données
de Gaia, les résultats simulés correspondaient
aux observations. Ce groupe correspondrait
donc à des étoiles qui faisaient autrefois partie
d'une autre galaxie et qui ont été absorbées par
la Voie lactée. Ces étoiles forment à présent
la plus grande partie du halo interne de notre
galaxie - une composante diffuse d’étoiles
vieilles qui entourent à présent la majeure par-
tie de la Voie lactée, le bulbe central, le disque
mince et le disque épais. Le disque épais est
une composante de la Voie lactée dont la
structure et l’origine sont encore débattues.

Selon les simulations de l’équipe, en plus de
fournir les étoiles de halo, la galaxie accrétée
aurait également pu perturber les étoiles pré-
existantes de la Voie lactée afin de contribuer
à la formation du disque épais.

Les étoiles qui se forment dans différentes
galaxies ont des compositions chimiques
uniques qui correspondent aux conditions
de la galaxie d'origine. Si ce groupe d'étoiles
est bien les restes d'une galaxie qui a fusionné
avec la nôtre, les étoiles doivent en laisser une
empreinte dans leur composition. Un premier
indice était présent dans le diagramme Hertz-
prung-Russell et le relevé spectroscopique
APOGEE a permis de confirmer que c’était
le cas.

Les astronomes ont appelé cette galaxie Gaia-
Enceladus du nom de l'un des géants de la
mythologie grecque, qui était la progéniture
de Gaia, la Terre, et d'Uranus, le Ciel. Selon
la légende, Encelade aurait été enterré sous
le mont Etna, en Sicile, et serait responsable
des tremblements de terre locaux. De même,
les étoiles de Gaia-Enceladus étaient profon-
dément enfouies dans les données de Gaia et
ont ébranlé la Voie lactée, ce qui a entraîné
la formation de son disque épais.

L'équipe a également trouvé des centaines
d'étoiles variables et 13 amas globulaires
dans la Voie lactée qui suivent des trajec-
toires similaires à celles des étoiles de Gaia-
Enceladus, indiquant qu'elles faisaient partie
de ce système. Les amas globulaires sont des
groupes pouvant aller jusqu'à des millions
d'étoiles, maintenus ensemble par leur gravité
mutuelle et gravitant autour du centre d'une
galaxie. Le fait que tant de groupes puissent
être liés à Gaia-Enceladus est une autre indi-
cation du fait que celle-ci a dû être autrefois
une grande galaxie à part entière, avec son
propre entourage d’amas globulaires.

L’étude a indiqué que cette galaxie avait à
peu près la taille de l'un des nuages de Ma-
gellan - deux galaxies satellites environ dix
fois plus petites que la taille actuelle de la
Voie lactée. Cependant, il y a 10 milliards
d'années, lorsque la fusion avec Gaia-En-
celadus a eu lieu, la Voie lactée elle-même
étant beaucoup plus petite, le rapport entre
les deux ressemblait davantage à 4 pour 1.
C'était donc clairement un événement majeur
pour notre galaxie.

* Les laboratoires français ayant contribué à cet article sont l’Institut de planétologie et d’astrophysique (IPAG/OSUG, CNRS/Université Grenoble
Alpes) et le Laboratoire galaxies, étoiles, physique et instrumentation (GEPI/Observatoire de Paris, CNRS/Université Paris-Diderot).

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