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StoppEr lE viEilliSSEmEnt : un paS vErS l'immortalité? StoppEr lE viEilliSSEmEnt : un paS vErS l'immortalité? Dossier 41
Vieillir est-il inéluctable?
Avec nos conditions de vie (pollution, rayons
UV, mauvaise alimentation, stress...), nos
cellules sont agressées quotidiennement.
Heureusement elles se renouvellent réguliè-
rement, permettant la régénération des tissus,
de nos organes, de notre sang. Mais un jour,
les cellules entrent en sénescence, arrêtent de
se diviser, se flétrissent puis sont éliminées
par les cellules immunitaires. Plus elles sont
agressées par l'environnement, plus cette
étape se produit rapidement. Et, avec l'âge,
leur élimination est plus difficile. Elles s'accu-
mulent dans nos tissus, deviennent toxiques,
créent de l'inflammation, et produisent ainsi
la dégradation des tissus, os, muscles... Com-
ment arrêter ce phénomène conduisant iné-
luctablement à un affaiblissement général et à
la mort? Et les mécanismes de vieillissement
résultent-t-ils uniquement des effets liés au
vieillissement de nos cellules?
Comme le souligne le Pr Bernard Sablon-
nière, l'explication la plus largement admise
du phénomène de vieillissement cellulaire est
l'accumulation progressive de dommages au
sein des cellules. Des biologistes ont établi
une liste de neuf défauts : dommages de
l'ADN, usure de l'extrémité des chromosomes
(les télomères) qui déclenche un arrêt de la
division cellulaire, modifications chimiques
de l'ADN, baisse de la qualité des protéines
et altération des systèmes de destruction des
protéines altérées, perte du contrôle cellulaire
de l'utilisation de ses carburants (glucose),
perte d'efficacité des chaudières des cellules
(les mitochondries) qui produit alors un excès
de radicaux oxydants, sénescence cellulaire,
baisse de prolifération des cellules souches
qui freine le renouvellement des organes,
ralentissement de la communication inter-
cellulaire souvent source d'inflammation.
Cependant, le nombre de divisions cellulaires
n'est pas non plus illimité : on l'estime à 50
à 70 chez l'homme. « Il semble exister une
horloge biologique qui, à un moment donné,
perturbe le taux de méthylation des gènes et
accélère le vieillissement des cellules et des
organes » explique B. Sablonnière.
Le vieillissement serait-il alors dans nos
gènes? Au début des années 90, on découvrit
pour la première fois que la mutation d'un seul
gène (age-1 ou daf-2) pouvait multiplier par
deux la durée de vie du petit ver C.elegans.
Ces gènes jouent un rôle dans la réponse à
l'insuline et à l'IFG-1, deux protéines de la fa-
mille des hormones et facteurs de croissance.
« Si les données obtenues chez ce vert étaient
transposées un homme, la modification d'une
seule protéine, sur 100 000 environ qui sont
codées par notre génome, serait suffisante
pour nous faire vivre jusqu'à 200 ans! »
explique Florence Solari. La transposition
chez la souris fut moins spectaculaire, mais
on obtint tout de même un allongement de
30% de l'espérance de vie. Chez l'homme, les
scientifiques ont pu observer, dans un groupe
de centenaires, que ces gènes présentaient des
versions différentes de la population générale.
Plusieurs études internationales en 2009 ont
confirmé que la présence d'un variant par-
ticulier, FOXO3A, avait une relation avec
une longévité extrême, mais aussi avec un
vieillissement en bonne santé.
Depuis ces premiers travaux, de nombreux
gènes dont la mutation allonge la durée de vie
ont été identifiés, notamment chez des cente-
naires ou plus particulièrement dans certaines
communautés de la planète qui connaissent
une forte longévité (chez certains Amish aux
Etats-Unis, par exemple). Les mécanismes
responsables du vieillissement sont désormais
mieux compris. Activer l'expression de cer-
tains gènes représenterait donc une solution
pour augmenter la longévité. Les scientifiques
espèrent obtenir des résultats chez l'homme
dans un futur proche.
Avec une durée de vie moyenne
de 86,8 ans, c’est au Japon que les
femmes peuvent espérer vivre le
plus longtemps. Pour les hommes,
c’est en Suisse qu’ils vivent le
plus vieux en moyenne : 81,3 ans
(Source : OMS).
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40 Dossier StoppEr lE viEilliSSEmEnt : un paS vErS l'immortalité?
Dans le monde, le nombre de personnes de plus de 60 ans devrait doubler d’ici 2050.
Si nous ne sommes pas tous égaux face au
vieillissement, les progrès de la science et
des conditions de vie bénéficient peu à peu à
l'ensemble de la population. En France, notre
espérance de vie est aujourd'hui de 85 ans pour
les femmes et de 78 ans pour les hommes.
Selon le Rapport mondial 2016 de l'OMS
sur le vieillissement et la santé, le nombre
de personnes de plus de 60 ans devrait doubler
d’ici à 2050. Mais, si l'on vit plus longtemps,
ce n'est pas nécessairement en meilleure santé.
Nous sommes concernés par la recrudescence
des maladies cardio-vasculaires, du diabète,
des cancers, et des maladies neurologiques
comme Alzheimer ou Parkinson.
Au niveau mondial, l’espérance
de vie a augmenté de 5 ans entre
2000 et 2015, soit la hausse la plus
rapide depuis les années 1960. Pour
les enfants nés en 2015, elle était de
71,4 ans. Mais l’espérance de vie
en bonne santé était de 63,1 ans
(Source : OMS).
L'immortalité existe sur Terre
Le vieillissement est-il universel? s'inter-
roge Florence Solari, chargée de recherche
à l'Inserm spécialisée dans les mécanismes
de la longévité. La réponse est non : certains
êtres vivants sont capables de se régénérer
presque à l'infini, telle l'hydre, un petit orga-
nisme aquatique. Si l'on coupe ce petit animal
en deux, deux animaux différents repoussent.
Le Professeur Bernard Sablonnière, chercheur
à l’Inserm spécialiste des maladies neurodé-
génératives, cite les résultats d'une étude en
Californie qui a observé 60 régénérations
sur une durée de quatre années, avec aucun
signe de vieillissement et un taux de mor-
talité inférieur à 1%. L'étude effectuée sur
145 hydres estimait que 5% des adultes de la
colonie pourraient atteindre l'âge de 1400 ans.
Tandis qu'une petite méduse de la mer des
Caraïbes serait le seul animal immortel connu
au monde. En cas de stress environnemen-
tal, certaines de ses cellules se détachent de
son corps, se fixent sur un rocher, et reforme
une masse de cellules qui produira plusieurs
méduses adultes.
Sur Terre, d'autres espèces sont mortelles
mais ne vieillissent pas. Ce potentiel de ré-
génération est-il caché quelque part au plus
profond de cellules humaines? Ce processus
semblerait avoir été quasiment perdu chez les
mammifères. Seules nos cellules germinales
(ou reproductrices) et nos cellules souches ont
conservé cette capacité.
Pourquoi l'espérance de vie est-elle relati-
vement courte chez l'homme par rapport à
d'autres espèces comme la baleine qui vit près
de 200 ans? Le mystère reste entier. La taille
n'explique pas tout, même si les espèces plus
petites vivent souvent moins longtemps que
les grosses, on ne peut cependant pas géné-
raliser. Florence Solari cite l'exemple de la
chauve-souris qui vit près de 30 ans alors
qu'une souris de corpulence comparable ne
dépasse pas 3 ans d'espérance de vie.
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