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Stopper le vieilliSSement : un paS verS l'immortalité? Stopper le vieilliSSement : un paS verS l'immortalité? dossier 49
L'immortalité numérique :
notre cerveau sur disque dur
Vieillir en bonne santé, prolonger la vie,
conserver la jeunesse jusqu'au bout, repré-
sentent les ambitions de l'être humain. Cer-
tains veulent soigner la vieillesse comme si
c'était une maladie, allant même jusqu'à parler
d'immortalité... numérique.
C'est le cas du courant transhumaniste, très
actif aux États-Unis, qui prône l’usage des
nouvelles technologies (nanotechnologies, bio-
technologies, informatique...) pour prolonger
la durée de vie humaine. A terme, il envisage
de créer un post-humain qui ne vivrait plus
au niveau biologique mais numérique. Dans
la même veine, le projet « Initiative 2045 »
du milliardaire russe Dmitry Itskov vise à
atteindre l'immortalité dans les 25 ans. Dans
un premier temps, des nanorobots seraient
injectés dans notre cerveau via la circulation
sanguine pour récupérer nos pensées et les
transmettre à un ordinateur, recréant un véri-
table avatar androïde du cerveau. Pour ce qui
est de notre corps, il serait réparé grâce à des
organes artificiels. Dans un second temps, ce
Des cellules centenaires retrouvent leur jeunesse!
En 2011, l'équipe AVENIR Inserm «Plasticité génomique et vieillisse-
ment» dirigée par Jean Marc Lemaitre, chargé de recherche Inserm
à l'Institut de génomique fonctionnelle (Inserm/CNRS/Université de
Montpellier 1 et 2), est parvenue à rajeunir des cellules de donneurs
âgés, vieilles de plus de 100 ans.
Les cellules souches embryonnaires humaines (hESC) sont des cellules «à
tout faire» qui sont indifférenciées. Par leurs divisions, elles assurent la mise
en place de toutes les cellules adultes différenciées de l'organisme (neu-
rones, cellules cardiaques, cellules de peau, cellules du foie...) Depuis 2007,
quelques équipes de recherche dans le monde sont capables de reprogrammer
des cellules adultes humaines en cellules souches pluripotentes (iPSC), qui
présentent des caractéristiques et un potentiel similaires aux cellules souches
embryonnaires humaines (hESC). Cette reprogrammation offre la possibilité
de reformer tous les types cellulaires de l'organisme.
Jusqu'alors, les résultats de recherches montraient que la sénescence, point ultime du vieillissement cellulaire, restait une limite
à l'utilisation de cette technique pour des applications thérapeutiques chez des patients âgés. Jean Marc Lemaitre et son équipe
ont franchi cette limite et ont ainsi démontré la réversibilité du processus du vieillissement cellulaire.
Pour ce faire, ils ont utilisé une stratégie adaptée qui consiste à reprogrammer des cellules. Les chercheurs ont montré que les
cellules souches iPSC obtenues ont alors la capacité de reformer tous les types cellulaires de l'organisme. Elles possèdent des
caractéristiques physiologiques de cellules "jeunes", tant du point de vue de leur capacité proliférative que de leur métabolisme
cellulaire. Elles retrouvent leur capacité d'autorenouvellement et leur potentiel de différenciation d'antan, ne conservant aucune
trace de leur vieillissement antérieur.
Les résultats obtenus ont conduit l'équipe de recherche à tester le cocktail sur des cellules plus âgées de 92, 94, 96, jusqu'à 101 ans.
«Notre stratégie a fonctionné sur les cellules de centenaires. L'âge des cellules n'est définitivement pas une barrière à la repro-
grammation», conclut Jean Marc Lemaitre. Ces travaux ouvrent la voie à l'utilisation thérapeutique des iPS à terme, en tant que
source idéale de cellules adultes tolérées par le système immunitaire, pour réparer des organes ou des tissus chez des patients âgés.
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48 dossier Stopper le vieilliSSement : un paS verS l'immortalité? Stopper le vieilliSSement : un paS verS l'immortalité?
ils ont rajeuni des cellules
Les cellules souches sont également une théra-
pie très prometteuse en médecine régénérative.
Localisées dans diverses parties du corps chez
l'adulte (moelle osseuse, épiderme, cerveau...),
certaines sont multipotentes : elles peuvent se
différencier en divers tissus, mais pas en n'im-
porte lequel. Par exemple, une cellule souche
de la moelle osseuse peut se diviser en globule
rouge, globule, blanc, plaquette... Elles servent
pour réparer notre corps des agressions de l'en-
vironnement (blessures, lésions d'un organe).
Au fur et à mesure de l'âge, leur proportion
dans notre organisme diminue, d'où un déclin
fonctionnel des organes et une diminution de
leur renouvellement.
Mais certaines cellules souches, celles de
l'embryon, sont appelées pluripotentes, c'est-
à-dire qu'elles sont capables de se différencier
et de régénérer ainsi tout type de tissu humain.
En 2006, Shinya Yamanaka, de l’université de
Kyoto, au Japon, découvrit la technique pour
obtenir des cellules souches pluripotentes à
partir de cellules adultes. La reprogrammation
s'effectue grâce à l'introduction dans la cel-
lule de protéines modifiant son programme.
On appelle ces nouvelles cellules des cellules
souches pluripotentes induites, ou iPSC (In-
duced pluripotent stem cells). Cette découverte
fut récompensée par le prix Nobel en 2012.
Leur rajeunissement peut s'effectuer in vitro. Il
consiste à prélever des cellules d'un individu, à
les faire rajeunir en laboratoire, puis à les réin-
troduire dans l'organisme afin de renouveler
les cellules qui ne peuvent plus se multiplier.
Aucun risque de rejet n'est à déplorer puisque
les cellules sont injectées au même individu.
La reprogrammation cellulaire est porteuse
d'un formidable espoir en médecine régéné-
rative. Ces cellules sont testées depuis 10 ans
dans bien des cas de figure (épiderme, muscles,
organes...) et aucune limite d'âge ne semble
proscrire cette technique (cf encadré). Pour
freiner le vieillissement des muscles, des
cellules peuvent être greffées aux patients
âgés. D'autres projets sont en cours pour
reprogrammer des cellules cutanées en cellules
souches neuronales pour soigner des malades
d'Alzheimer ou de Parkinson.
Mais le processus de différenciation de ces
cellules reste délicat. De plus, il faut savoir
contrôler la division cellulaire pour éviter le
développement de tumeurs. La solution rési-
derait alors, non plus par un passage par l'étape
« cellule souche », mais par une reprogram-
mation directe grâce à un cocktail de gènes.
Cette médecine régénérative pourrait même se
limiter à une transfusion sanguine! En effet
les cellules souches pourraient se voir rajeu-
nies si elles se situent dans un environnement
propice. Des études ont montré que recevoir
une transfusion de plasma de jeunes donneurs
favorise notamment la croissance neuronale.
Un essai clinique est en cours dans ce domaine
sur des personnes touchées par la maladie
d'Alzheimer.
Les scientifiques sont parvenus à transformer des cellules adultes en cellules souches capables de fabriquer tout
type de tissu humain.
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