Beaux Arts I 117
Thomas
Hoepker
La menace
fantôme
En 1960, Thomas Hoepker, membre de l’agence Magnum Photos, commence à suivre Cassius Clay,
alias Mohamed Ali, alors qu’il remporte une médaille d’or aux JO de Rome. Il le retrouve à plusieurs
reprises au cours de sa carrière, lors du «combat du siècle» contre Joe Frazier et jusqu’à la maladie
de Parkinson frappant la star du ring. En 1966, le photographe est dépêché par le magazine Stern
à Londres auprès du boxeur sacré champion du monde des poids lourds. Dans ces trois semaines
de reportage, un cliché révèle Ali «The Greatest» totalement effrayé par une abeille... Moins surprenant
quand on sait que sa devise fétiche était : «Vole comme un papillon, pique comme une abeille !»
Le champion
du monde
poids lourd
Mohamed Ali
effrayé par
une abeille
sur un
plateau de
tournage
à Londres,
en 1966
Que se passe-t-il en nous
quand nous avons peur?
Des changements particuliers, sous-tendus
par de nombreux réseaux cérébraux,
s’opèrent au niveau des cinq composantes
qui constituent l’émotion. Tout d’abord,
la composante d’évaluation cognitive, celle
qui nous permet d’interpréter la situation :
en cas de peur, nous attribuons la valeur
de «danger». Cette évaluation génère ensuite
des modifications dans ce que l’on appelle
la «réponse émotionnelle», c’est-à-dire que
notre expression motrice change, notre visage,
voix ou posture... L’expression faciale de
la peur est assez identifiable, proche de celui
de la surprise. Au niveau vocal, il peut y avoir
un cri qui permet notamment de communiquer
son émotion aux autres pour qu’ils identifient
la valeur de «danger» de la situation. Ce n’est
pas tout : la peur active notre système nerveux
sympathique, avec des augmentations de
la fréquence cardiaque, de la pression sanguine,
de la respiration, des sueurs... Nos tendances
à l’action changent aussi car nous préparons
notre organisme à réagir : ce sera la fuite,
l’attaque ou l’immobilisation... Les Britanniques
parlent des trois «F» : «Flight, Fight, Freezing»
L’ultime composante de l’émotion est le ressenti,
soit la prise de conscience de l’épisode que
l’on vit. C’est là que l’on peut verbaliser sa peur.
Pourquoi aimons-nous être effrayé?
Question débattue! Pour certains, la peur-
plaisir est une «pseudo-peur» car, en fait, nous
savons que le danger n’est pas réel. Dans le cas
de la contemplation d’une œuvre d’art, on
appelle ce phénomène «paradoxe de la fiction».
Une hypothèse actuelle veut que l’on aime avoir
une expérience proche de la peur surtout
pour le «ressenti», c’est-à-dire se procurer
cette sensation forte liée à l’activation
du système nerveux sympathique. Cela est
similaire de ce que l’on peut ressentir dans
le cas d’émotions intensément agréables.
Quelle différence y a-t-il avec d’autres
émotions analogues, telles que la phobie?
La différence porte sur l’opposition entre
rationnel et irrationnel. Pour résumer, la peur
est rationnelle quand le danger est réel.
Dans la phobie, la réaction est trop intense
par rapport au danger que représente l’objet
phobique. Exemple : une réaction de peur
face à un prédateur est rationnelle car
sinon, on meurt potentiellement, alors qu’être
effrayé par un dessin d’araignée est irrationnel
car celui-ci est inoffensif.
David Sander
Professeur de psychologie de l’université de Genève, où il dirige le laboratoire Émergence et expression de l’émotion (E3 Lab),
et vice-directeur du Pôle de recherche national suisse en sciences affectives.
«La peur active notre système
nerveux sympathique»
3 QUESTIONS À...