28 I Beaux Arts
CINÉMA Par Jacques Morice
L
a comédie française n’est plus ce qu’elle était. Elle s’est grandement enrichie,
avec toute une flopée de cinéastes (Pierre Salvadori, Quentin Dupieux,
Benoît Forgeard, Justine Triet, Antonin Peretjatko...) qui ont conquis le genre,
le faisant muter avec des idées plein la tête. Nouveau venu au club, Erwan Le Duc
a réussi haut la main son coup d’essai en faisant rimer comédie et poésie, à travers
une histoire de rencontre brindezingue, au fin fond des Vosges. C’est là qu’officie
Pierre Perdrix (Swann Arlaud), un gendarme clément mais consciencieux, qui vit
avec sa mère, animatrice fiévreuse d’une émission dse radio sans auditeurs (ou
presque), son frère, géodrilologue (spécialiste des vers de terre) immature et pourtant
père d’une fillette vive, pongiste acharnée. Cette famille de doux dingues entretient
un étrange culte autour du patriarche, disparu brutalement. Dans la région sévit
une bande de nudistes révolutionnaires appelant à se dépouiller de tout le superflu.
Une de leurs victimes, Juliette (Maud Wyler), qui s’est fait voler sa voiture, dépose
plainte à la gendarmerie. Cette fille est une sorte de Calamity Jane, chamboulant
tout dans l’existence jusque-là tranquille de Pierre. Autour de leur rencontre,
Erwan Le Duc compose une sorte de mosaïque, très burlesque, qui revisite la comédie
romantique en lui insufflant de l’extravagance en pagaille. Des cadrages graphiques
aux situations dadaïstes, Perdrix étonne, séduit, désoriente, en tissant de jolies
métaphores autour du deuil, du sentiment qui se cherche, du lien qui entrave.
L’amour, ici, a plusieurs visages, mortifère, guerrier, olympien, énergique. Mis en
avant, celui qui lie Pierre et Juliette décrit un beau tumulte intérieur, tout en prenant
la forme d’une exploration dangereuse, cocasse et merveilleuse du territoire.
L’amour dadaïste
Des nudistes révolutionnaires, un gendarme clément,
une franc-tireuse pétulante... Entre Aki Kaurismäki et Wes
Anderson, Perdrix est la comédie rafraîchissante de l’été.
Perdrix d’Erwan Le Duc > En salles le 14 août
ÉGALEMENT À L’AFFICHE
Leningrad, après 900 jours de siège
Kantemir Balagov avait bluffé tout le monde
en 2017 avec Testanota, lutte frénétique
d’une jeune juive russe pour son émancipation.
Plus lent et classique, Une grande fille fait
cette fois le portrait de deux jeunes femmes
qui survivent et tentent de se reconstruire
en 1945, à Leningrad. Mystérieux, dense,
le film bénéficie d’une image remarquable de
Kseniya Sereda, directrice de la photographie
archidouée, âgée seulement de 24 ans!
Une grande fille de Kantemir Balagov
> En salles le 7 août
L’Apocalypse selon un lapin
Échec cuisant en salles lors de sa sortie en 2001,
Donnie Darko n’a cessé par la suite d’être
rehaussé jusqu’à devenir un film culte. Inspiré
de Philip K. Dick, ce film sophistiqué, riche dans
son imaginaire comme dans sa critique sociétale,
raconte les visions prémonitoires d’un ado.
Deux personnalités s’y révèlent : un cinéaste
(Richard Kelly) et un acteur (Jake Gyllenhaal).
Donnie Darko (2001) de Richard Kelly
> En salles depuis le 24 juillet
Fantastiques Maud Wyler et Swann Arlaud, récompensé en 2018 du César du meilleur acteur.
Un ovni argentin à voir, de gré ou de force.
Jake Gyllenhaal, 21 ans, Jena Malone et le lapin géant.
DVD
Un chef-d’œuvre de quatorze heures
écrit pour quatre actrices
Dans le genre «film monstre», difficile de battre
la Flor, saga folle, baroque, romanesque,
picturale, de quatorze heures, qui mêle Hergé,
la série B d’espionnage, la photographie des
primitifs, Godard, Manet, Léonard de Vinci...
Ceux qui n’ont pas vu ce trésor en salles
pourront se rattraper avec le coffret Blu-ray.
La Flor de Mariano Llinás • 4 DVD • 39,99 €