Beaux Arts I 47
Vous semblez dire que l’émotion ressentie
doit primer sur le savoir...
Exactement, même si la connaissance reste essentielle.
À nous de donner envie au visiteur, quels que soit sa
culture, son appétit, d’en savoir un peu plus pour mieux
apprécier l’œuvre. Plus qu’une leçon d’histoire de l’art, il
s’agit de donner des outils, aiguiser la curiosité pour l’art
ancien comme pour l’art contemporain. C’est la raison
première pour laquelle j’ai étudié l’histoire de l’art – pour
les bouleversements et l’émotion que me procuraient les
œuvres. Rien ne remplace la confrontation avec elles. Le
numérique et Internet donnent accès à énormément de
choses, ce qui est merveilleux, mais seul le face-à-face per-
met de ressentir dans ses tripes ce que dit et ce que trans-
met depuis toujours un tableau. La confrontation directe
implique une expérience performative. Est-ce qu’il faut
s’avancer, se reculer, l’embrasser dans son ensemble?
Nous sommes acteurs de notre perception. C’est extrême-
ment important d’en tenir compte dans la muséographie.
Il faut savoir créer des liens subtils sans annihiler la liberté
du regardeur. Ce sera omniprésent dans l’un des projets
que je prépare pour le musée Cognacq-Jay sur la question
de la représentation du désir au XVIIIe siècle, autour de
François Boucher notamment.
Comment la représentation du désir
impliquait-elle le spectateur?
En faisant de lui un voyeur! Cette question des ressorts
du voyeurisme dans l’art est passionnante : comment l’ar-
tiste traduit le désir et le suscite. La figure concupiscente
qui veut assouvir ses désirs à tout prix est le satyre, et l’ob-
jet de sa convoitise n’est autre que la femme. Les fessiers
féminins sont représentés à foison par les artistes du
XVIIIe siècle, beaucoup plus que les seins... un peu comme
aujourd’hui! Représenter le désir implique un rapport par-
ticulier à l’œuvre. Les peintures les plus osées sont quasi-
ment toujours de petits formats, réservés aux initiés,
cachés derrière un rideau... au fond d’un boudoir.
Pour la 2e édition du Festival d’histoire de l’art
(2016), vous aviez choisi comme thème le rire.
Les sentiments restent-ils le meilleur moyen
de créer des ponts entre la recherche et le public?
Le rire correspondait à une thématique de recherche par-
tagée par de nombreux spécialistes et à un thème pertinent
pour expliquer à quoi sert l’histoire de l’art et quels sont les
ressorts propres au champ de l’art visuel par rapport à
d’autres mieux connus et enseignés en France. Si on sait
faire une explication de texte, identifier les situations
comiques au théâtre, en revanche lorsqu’on demande à
quelqu’un – et nous avions fait l’expérience à cette occasion
- de décrire ce qui le fait rire dans une image, cela devient
très compliqué, voire impossible. À l’heure où nous
sommes assaillis d’images, il est urgent, essentiel même,
que le public s’approprie l’histoire de l’art. On manque de
sens critique et d’outils pour se rendre compte de l’effet
qu’elles produisent sur nous, la façon dont elles sont utili-
sées. Le choix du rire et de la caricature comme élément de
dénonciation avait aussi été pensé dans le contexte de l’at-
tentat contre Charlie Hebdo. Cette tragédie soulevait la
question de savoir ce qu’on a le droit de représenter ou pas
dans notre monde contemporain et montrait la puissance
de l’image, tellement forte qu’on cherche à l’interdire.
Propos recueillis par Daphné Bétard
«Ce n’est pas un hasard
si Caravage et les
caravagesques ont
un tel succès. C’est une
peinture monumentale,
humaine, directe.»
Michelangelo
Merisi da
Caravaggio,
dit Caravage
Garçon mordu
par un lézard
Caravage
ne recula jamais
devant la
figuration
des émotions
spontanées
mais riches
de significations
sous-jacentes.
Ici, le jeune
garçon recule
de douleur après
avoir été mordu
par un lézard,
caché parmi
les fruits.
Message assez
peu voilé adressé
à la jeunesse
impudente qui
se consume
dans les plaisirs.
1595-1596, huile sur
toile, 65,8 x 52,3 cm.