Beaux Arts I 83
Le voyeurisme est ce que la Bible appelle
«la convoitise des yeux». Et le désir de
posséder «la femme de son prochain» est
une forme d’adultère, un acte scandaleux,
un «feu qui dévore jusqu’au gouffre de
perdition», si l’on en croit Job. Le thème
du voyeur cherchant à assister, sans être vu,
à une scène intime est fréquent dans
la peinture depuis la Renaissance. On ne
compte plus les représentations de Suzanne
et les vieillards. Rappelons brièvement
l’intrigue : Suzanne demeurait à Babylone
avec son mari Joakim. Deux vieillards
conçurent pour elle une coupable passion
et choisirent de se déclarer au moment
de son bain. L’ayant surprise, ils menacèrent
de la dénoncer pour adultère si elle ne cédait
pas à leurs désirs. Suzanne préféra mourir
innocente que de vivre coupable, avant
d’être sauvée par Daniel, le futur prophète,
qui rétablit la vérité et fit lapider les deux
manipulateurs. Suzanne personnifie donc
Voyeurs depuis des siècles
la vertu. Bien que dénudée, elle n’est pas
exhibitionniste, mais se trouve surprise
et confrontée à une injustice. Les artistes
se sont délectés de cet épisode biblique
qui leur offrait la possibilité de montrer
la nudité féminine tout en respectant
un cadre moral. La lubricité s’exprime par
le regard concupiscent des voyeurs,
tandis que Suzanne est souvent représentée
repoussant ses agresseurs, entre gêne
et effroi. Et aujourd’hui? Au travers de
sculptures et d’installations, l’artiste
contemporain chinois Wang Du s’interroge
sur le voyeurisme devenu inhérent à notre
société dominée par les médias. Une meute
de photographes agglutinés derrière
une pin-up, une forêt de clones court-vêtues
inspirées du web érotique japonais, des
relations interlopes entre couples... Toutes
ses œuvres illustrent la complexité et
l’hypocrisie du désir à l’heure où l’image et le
virtuel ont pris le pouvoir, et envahi l’espace.
Wang Du Enter!
Efficace, cette sculpture monumentale
du Chinois Wang Du reprend
les codes provocateurs de certaines
campagnes publicitaires. Le cadrage
nous oblige à devenir voyeur, en
accentuant l’effet de contre-plongée
sous la jupe de cette pin-up tout
en jambes.
2004, résine, polyester, peinture acrylique,
260 x 150 cm.
Artemisia Gentileschi
Suzanne et les vieillards
Suzanne, prisonnière de sa nudité,
tente comme elle peut d’échapper
à la concupiscence de ces deux
voyeurs. Misant sur l’expressivité,
Artemisia Gentileschi, connue
pour avoir été victime d’un viol,
dépeint ici une scène de harcèlement
sexuel. Cette peinture est aussi
une allégorie de l’oppression des
plus faibles par les plus forts.
Vers 1610, huile sur toile, 170 x 119 cm.