Le Monde Magazine Du 27 Juillet 2019

(Dana P.) #1
27 juillet 2019 —MLemagazinedu Monde

Le fil rompude


l’Ariane de Monteverdi.


L


e1erjuin1998,le “newYork Times”annonceunerepré-
senTaTionexcepTionnelle:L’ Arianna,de Claudio
Monteverdi,qui racontel’abandond’Arianepar
Théséesur l’île de Naxos,est donnéàl’opérade
Saint-Louis.Le hic, c’estque cetteœuvren’existeplus.Si le
livretécritpar le poèteOttavioRinucciniaété conservé,la
partitiondu compositeurabel et bien disparu.Les spectateurs
ontenfait assistéàune reconstitution,un exercicefamilierdes
élèves-musiciensqui consiste àcréer ou recréerune œuvre«à
la manièrede»ens’inspirantd’autrescompositionsde l’ar-
tiste.«Pas vraimentune nouvelleœuvre,maispas vraiment
une ancienne»,résumele quotidienaméricain.Si cettecréa-
tion du compositeuranglaisAlexanderGoehren 1994est sortie
du cercleconfidentieldes spécialisteset mélomanes,si elle a
été non seulementjouée,maisenregistréesur CD,c’est que
L’ Ariannabénéficiedansle panthéondes amoureuxde la
musiquebaroqued’uneaura touteparticulière.
Des dix opérasde Monteverdiil n’enresteplus que quatre.
MaisseulL’ Arianna,créé àMantoue,en Italie,le 28 mai
1608,exciteles passions.La principaleraisonde cet engoue-
menttienten quelquespagessauvéespendantdes siècles
de la destruction,une douzainede minutesde musiquesur
deuxheurestrented’opéra,un fragment,un reliquat,une
délicatesurvivance.CeLamentod’Ariane,situé au milieu

Cinéma,peinture, littératuremusique...


L’histoire de l’artest marquéepar desdisparitions


d’œuvres légendaires.“M” part àleurrecherche.


En 1608,Claudio Monteverdi écrit“L’Arianna”


pour le ducdeMantoue.Decet opéradétruit


parlefeu ne subsiste qu’unpur joyaud’intensité


dramatique :le“Lamentod’Ariane”.Depuis,


lesamateursdemusique baroqueviventdans


l’espoir un peufou qu’une copiedel’ensemble


réapparaisseunjour.


piècesmanquantes

•••

de la pièce,plaintedéchiranted’uneamanteabandonnée,
est unanimementconsidérécommeun joyau.«Laperte de
L’ Ariannarend les gens fous car ce qu’il en subsisteest un pur
chef-d’œuvre»,résumele critiquemusicalAlainDuaultqui,
pourtant,reconnaîtne pas être un «baroqueux», commeon
appelledansleurmilieules spécialistesde la musique
baroque.«Toute œuvredisparueinviteau fantasme,on a
envied’en percerles secrets,ajoutele musicologueDenis
Morrier.Ce qui accroîtla curiosité,c’est que leLamentoest
d’uneextraordinairepuissancedramatique.Des opérasper-
dus, il yenaplein, maistout le mondes’en fout. Personnene
les cherchecar on ne peut pas fantasmerdessus.Là, on brûle
de savoirce qu’ilyaautourde ce bijou.»Ce spécialistede
l’écrituremusicaleadécouvertMonteverdigrâceàunpro-
fesseurde lycéeen classede secondequi lui fait écouter
L’ Orfeo.«Çaaété un coupde foudreimmédiat,le pointde
départde la découvertede l’œuvreet de l’homme.»Il a,
commetous les «baroqueux»–une vingtainede spécialistes
dansle mondequi se lisentet se parlent–, une fascination
particulièrepourL’ Arianna.«Cequ’il en resteest si fort
qu’onne peuts’empêcherd’extrapoler,expliqueOlivier
Rouvière,auteurd’unethèsesur le livretd’opéraau
xviiiesiècle.C’estun crève-cœurde se dire que la meilleure
œuvrede Monteverdiest peut-êtrecelle que l’on n’a pas.»

parVanessa schneider—illustrationBenLewisGiLes

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