Le Monde Magazine Du 27 Juillet 2019

(Dana P.) #1
travails’arrêtelorsquelesconditionsnesont
pasbonnes.Cebébéétaittrèspresséd’arriver.»Un
certificatde naissanceestétablidansles eaux
internationales,en présenced’uncapitainebiélo-
russeetd’unmédecinaméricain,àune longitude
de 12°estet unelatitudede33° nord, surun
bateaubattantpavillongibraltais.
Christ,Mercy,Miracle,Favour,Newmanet Alex
(enhommageau capitainede l’Aquarius)...les
nomsdesenfantsnésentre 2016 et 2018àbord du
bateauhumanitaireaffrétéparles ONGMSFet
SOSMéditerranéesontlestésdu symbolede leur
existence.«Il nousestarrivédenepaspouvoir
sauverdesfemmeset desenfants,rappelleNick.Et
c’estde pireen pire.Aujourd’hui,la seuleoption,
c’estde mouriroud’êtreinterceptéspardesgardes-
côteslibyenset d’êtrerenvoyésen Libye.»
Le ministrede l’intérieuritalien,d’extrêmedroite,
MatteoSalvini,adéclaréla fermeturede ses portsaux
bateauxhumanitairesdepuisun an, et les naviresde
l’opérationeuropéennemilitaire«Sophia»sesont
retirésde Méditerranéecentrale.Le tauxde morta-
litédurantla traversée,lui,aexplosétandisque
l’Europeparachèvela montéeen puissancedes
gardes-côteslibyens,choisissantde coopéreravecun
Étaten guerrecivile.Et ce malgréles avertissements
sur les sévicesqu’ysubissentles migrants.Viséespar
desmisessousséquestreou desprocéduresjudi-
ciaires,la plupartdesONGde secoursen meront
renoncéàleurprésenceau large de la Libye.
«Demain,unnouvelAquarius,unbateauqui avait
recueillidesmigrantsnaufragés,arriveauxabords
descôtesfrançaises.Est-ceque vousl’accueillez,ouiou
non?»,avaitdemandéla journalisteRuthElkriefaux
principalestêtesde listedes électionseuropéennes,
quelquesjoursavantle scrutin.Prèsde la moitiéavait
répondunon. RéunisàHelsinkipuisàParis en début
de semaine,les Étatsmembresde l’Unioneuro-
péenneontéchouéàtrouverun accordsurun
mécanismede débarquementdes migrantssecourus
en Méditerranée.Qu’importe.Aprèsavoirdû aban-
donnerl’Aquarius,privéde pavillonfin 2018,
SOSMéditerranéeet MSFontreprisla mer,le
18 juillet,àbord d’unnouveaunavire,l’OceanViking.

C


onstanceet christont étédébar-
quésdans le portde brindisi,en
italie.Ils sontles premiersà
descendreàquai,sousune
salved’applaudissements.
«Onaurait dit qu’ils
accueillaientunprésident»,s’amuse-t-elle.
Pourtant,le parcoursquil’attenden Europen’a
riende l’itinérairebaliséd’unchefd’État.Il
emprunterales méandrestortueuxde la régle-
mentationeuropéenneen matièred’asileet les
sentiersescarpésquitraversentles frontières.
La jeunemèreest d’abordhébergéedansun cou-
vent,àCeglieMessapica,dansles Pouilles.Elle
s’étonnede ne pasêtreconduiteàl’hôpital.Le
nombrildu nouveau-nés’infecte.«Onaenfinvu
unpédiatre,auboutde deuxsemaines.»Au cou-
vent,leconfortest plutôtsommaire.Logéeavec
desNigérianeset desSoudanais,ellevoitleur

situationadministrativeévoluer.Mais,pourelle,
rienn’avance.La naissancede Christdansles eaux
internationalescompliquesesdémarches.«Un
avocatm’ademandé 600 eurospourfairetraduire
le certificatdenaissance,alorsqueje percevais
75 euros[d’allocation]parmois.»Le prêtrede la
paroisseoù ellese rendle dimanchelui donnela
somme.Sondossierrestenéanmoinsbloqué.Elle
veutfaireopérerChrist,quiaunfreinde langue
trop court. Sa situationadministrativefaitencore
obstacle.Pendantce temps,Constances’évertueà
retrouverla tracede Yannick.«Jepriaispourqu’il
soitvivant.»Surles réseauxsociaux,ellecontacte
ses connaissances.Ellefinitpar apprendrequela
famillede soncompagnonapului envoyerde l’ar-
genten Libye.UnamihabitantAlgerl’informe
qu’ilest passéen Algériequelquesmoisauparavant
et qu’ilest partipourle Maroc.«J’aiessayéd’ap-
pelerlà-bas,j’aienvoyésa photo.C’estcommeça
qu’unamiareconnusonvisage.»En octobre2017,
le coupleparvientenfinàentreren contact.Ellele
pressede les rejoindre,maisil adéjà échouéàesca-
laderla barrièrequiséparele Marocde l’enclave
espagnolede Ceutaet il n’a pas l’argentpourfinan-
cer unetraverséedu détroitde Gibraltar.
Aprèsneufmoisau couvent,Constancealesenti-
mentde s’embourber.Commepourrebattreles
cartes,elleramassele peud’économiesdontelledis-
poseet part,sansprévenir,endirectionde la France.
Avec Christ,elleprendun buspourBrindisi,puisun
trainpourTu rin. Un Malienlui fait payer 200 euros
poursimplementl’installerdansun bustouten lui
assurantquele passagese ferasansencombrepar les
colsalpins.Mais,àlafrontière,la policefrançaise
interceptela mèreet son enfant.«Ils m’ontrenvoyée
en Italieet je suisalléedansuncampde réfugiésà
Turinoùje suisrestéeunmois.»Cetéchecne brise
passadéterminationet, maintenantqu’elleconnaît
le chemin,elleest décidéeàs’en sortirseule.Les
Alpesqui se dressentdevantellene l’intimidentpas.
Ellereprendle mêmebus,descendcettefoisavant
la frontièreet attendquelquesjoursdansun refuge
l’occasionde franchirles montagnes.Christn’a pas
encoreun an.Au boutde troisjours,àlanuit tombée,
elle se lance. Ceinted’un pagneautour du dos,où elle
ablottison fils, elleentreprendàpied la traverséedu
col de Montgenèvre,à1850mètresd’altitude,avec
descoucheset despetitspotsdansun sac àmain.
UneCamerounaiseet son bébéde six moisl’accom-
pagnent,ainsiquedeuxGuinéenset un mineur
sénégalais.«Onamarchédansla neige,j’avaismal
audos.Ve rs 23heures,ons’estreposé,j’aidonnéle
sein.Et on areprisla routejusqu’à2heuresdu matin.
Àcemoment-là,onaaperçula lueurd’unelampe
torche,auloin.»C’estla policefrançaise.Dans un
instinctdesurvie,Constancese jetteàterre.«Jeme
suismiseàcrier, àdireque j’étaismalade,que les
enfantsavaientde la fièvre.»Lesforcesde l’ordre
sontobligéesde conduireles deuxfemmes,leurs
enfants ainsiquele jeuneSénégalais àl’hôpital de
Briançon;les autresdoiventretourneren Italie.
Le 10 juin2018,Constanceet Christsontenfinen
France.Maispersonne nelesyattend.
L’ administrationexpliqueàlajeunefemmequ’elle
ne traiterapassa demanded’asilecar,envertudu
règlementde Dublin,c’estàl’Italiede le faire

•••
Free download pdf