Le Monde Magazine Du 27 Juillet 2019

(Dana P.) #1
traitementdesaveur

Le géniedugras.


Tous lesgoûTssonTdans la naTure.en cuisine,ils sonTlégion.conTrairemenT
àsamauvaiserépuTaTion,le grasesT indispensableau bonfoncTionnemenT
de l’organisme.en cuisine,il occupeuneplace cenTraledans de nombreuxplaTs.
parCamillelabro—photobenjaminSChmuCk

le gras, un goûT?TouTdépendcommenTon définiTce dernier.
Si l’on réduit le goûtàlasaveur fondamentale captée
par lesrécepteurs de la cavité buccale,legrasnepeut
encore accéder àceglorieuxtitre, carles biochimistes
ne sont pastousd’accord.Maissi, commeleprône
uneécole plus libérale et moderne de chercheurs,legoût
estune«sensation multimodale»,soitunensemble
de stimulioudesensationsgustatives, olfactives,tactiles,
rétronasales,mécaniques, thermiques, trigéminales
ou encore chimiques, alors le gras est bel et bienun
goût.«Legoût pur n’existe pas, la sensation estobjecti­
vementmultimodale»,a ssuredepuis lesannées1990
la neurobiologiste Annick Faurion, quipréfère les
termes de«continuumgustatif»et impute àl’absence
de vocabulaire communlenombretroplimitéde
descripteurs de perceptions.
Seloncette spécialiste de la physiologiedugoût, il
existe pourtantunregistrequasimentinfini de saveurs,
dontplusieurs sont en compétitionpouraccéder au rang
officiel de goûtprimaire.«Depuisque la théoriedes
“qua tresaveurs”,salé,sucré, amer,acide,est devenue
caduque,nous assistons àunjeu tout àfait réjouissant :
la course àla“n­ième”saveur,renchérit le chercheur
ChristopheLavellesur le siteFood 2.0Lab.Silasaveur
umamiaréussi àsetaillerla placeconvoitée de la
“cinquièmesaveur”, les candidats en licepour la sixième
placesebousculentsur la lignede départ:métal?gras?
amidon?réglisse?savon?gaz carbonique?calcium?
La question estnotammentde savoir àpartir de quandon
peutofficiellementparlerde “saveur”.»
En 2015,legras aconnuuneavancée cruciale :des cher-
cheurs américains de l’université Purdue,dansl’Indiana,
ontannoncé qu’ils avaient identifié et isolé«legoûtdu
gras»,baptisé«oleogustus».Mauvaise nouvelle:iln’est
pasplaisantdutout, et provoqueraitmêmeun réflexe
nauséeux. Le goûtdugras en tant que telnedoitdonc
pasêtreconfondu aveclasensation crémeuse et enve-
loppantedes matières grassesdanslabouche. Quand


on évoque le «bon gras», c’est évidemmentdecette
perception,decette consistancelipidique qu’ils’agit.
Lesacidesgras,qu’ils soientd’originevégétale ou animale,
saturésouinsaturés (commeles omégas 3et6), sont
surtoutdes «révélateurs de saveurs», trop souvent
discréditésethonnis desmangeurs modernes.«Difficile
de parlerde gras sans parlerde la hantisequ’il provoque,
s’attriste le journaliste et auteur gastronomeVictor
Coutard, dansGras(paru ce printempsaux Ateliers
d’Argol).Régimesans matières grasses, orthorexie àgogo,
concurrenceimpitoyable et déloyale des lobbiesagroali­
mentaires :des millionsde personnesàtravers le monde
chassent le gras dansleursassiettes.»
Pourtant,legras est aussiindispensable au corpsqu’il
l’est en cuisine,etbeaucoupmoins néfastepourlasanté,
au final,que le sucre.«Legrasdonnedu goûtet de
la matièreaux aliments,poursuitVictorCoutard.Qu’il
ajoutedes saveurs ou qu’il les sublime,legrascomplexifie
la cuisine.»Il occupe uneplace fondamentale dans quantité
de recettes françaisestraditionnellesréputées:que
seraient lesgratins dauphinoisetles confits de canard,
lessaucesbéarnaiseoumayonnaise,les saucissonset
lesrillettes, leschouxàlacrème ou leskouign-amann
sansbeurre, crèmefraîche, huiled’olive ou de tournesol,
graisse de cochon ou de canard?«Legras, c’estlavie!
s’exclamelachefAlessandraMontagne.Sansgras, pas
de bonsplats, pas de goût,pas de plaisir!»Cettecuisinière
originaire du Brésil raffoletoutparticulièrementde
la friture, quis’opèrepar la magie du gras et de la cha-
leur,etpermetde«combinerle croustillantet le moelleux,
le légeret le consistant»pourdes confections quise
dégustentavecles doigts. Ainsienest-ildeses fameux
croustillants de porc abonnés au menude sonbistrot
Tempero:sorte de cromesquis qu’elleacréée pour
utiliser et recycler toutes lesparuresetépluchures
de sesautresplats.Undéliceantigaspi,délicatement
gras et totalementirrésistible.
Tempero,5, rue Clisson,Paris 13 e. Scénogr

aphie

:Nicolas

Mur

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