La Provence Marseille du dimanche 21 juillet 2019

(Nandana) #1
Le 31 décembre 2018, vers 10h30, je suis allé, comme très
souvent, nager dans les eaux de Malmousque. La dimension
routinière de cette expérienceaété brusquement rompue
lorsque je me suisretrouvé, sansbien sûrm’y at tendrele
moins du monde, faceàundauphin.
Ce momentaété tout d’abordvécu sur un mode quasi oni-
rique. La rencontre était tellement improbable que j’avais du
mal àêtre certain que je ne rêvais pas. En nageant auprès du
dauphin, j’étais obligé de produire un effort intérieur pour me
dire :"Ce n’est pas un rêve, il est bien là, tout près de toi. Il existe.
Il est réel".Etmême si l’animalapassé du temps auprès de moi
(un temps difficileàévaluer, tant j’étais surexcité), ce qui m’a
permis de reprendre un peu mes esprits, j’ai tout de même été
rassuré de lire dansLa Provencequ’on avait croisé beaucoup
de dauphins en cette période dans la baie de Marseille, et que
l’un d’entre eux (très probablement le même que j’ai rencon-
tré)avait été filmépar France3dans
l’anse de Corbières. J’avais besoin que
d’autres que moi me confirment que je
n’avais pas été victime d’une hallucina-
tion. Car le fait d’avoir été seul en cet
instant confère certesàl’événement
uneinfinie poésie, mais aussi une
forme de fragilité. Comme le dit la for-
mule latine (dont, soit dit en passant,
Pierre Desproges donne une traduction
fantaisiste mais particulièrement drôle)
:Testis unus, testis nullus;autrement dit:letémoignage d’un
seul ne vaut rien. Cette expérience m’a confirmé dans l’idée
que notre rapportàla"réalité" est précaire, et qu’il suffit de pas
grand-chose pour le faire vaciller.
Les expériences que nous vivons sont-elles réelles ou imagi-
naires?Pluslargement,cequenousappelons"lemonde"est-il
ou non une chimère?Ces questions traversent l’histoire de la
philosophie. George Berkeley, philosophe irlandais du XVIIIe-
siècle,apar exemple défendu la thèse selon laquelle il est im-
possible de savoir si les objets extérieurs existent, puisque
nous n’y avons jamais accès directement. Nous ne sommes en
contact immédiatqu’avecnos perceptions, et non avec les

choses mêmes;situation que l’onpeutrésumer par la for-
mule:"Être, c’est être perçu ou percevoir".Ilest certain qu’en ce
matin de janvier 2018, ma conscienceaété interpellée par un
dauphin perçu. Mais comment être assuré qu’un dauphin
"réel" correspondeàcedauphin "perçu"?
Il me semble que les doutes de ce type, dont chacun de nous
peut être saisi dans des circonstances diverses, peuvent être
éclairés par le concept d’Unheimliche,que Freud analyse dans
un textecélèbre. On traduit parfoisceterme allemand parl’ex-
pression"inquiétante étrangeté", mais on peut lui préférer
celle d'"inquiétante familiarité", puisqu’il renvoieàdes ins-
tants où notre environnement habituel nous apparaît subite-
ment sous un jour inédit, troublant, voire inquiétant-àtel
point que nousperdonsconfiance dans l’évidence de notrerap-
port au monde.
Freud propose des exemples de situations dans lesquelles
nous ne parvenons pasàsavoir si un être est vivant ou méca-
nique, humain ou non humain, animé ou inanimé, ce qui crée
en nous un sentiment de désorientation partielle. D’une part,
nous identifions des éléments de la réalité selon des cadres de
perception habituels (en l’occurrence, pour moi, l’univers sub-
aquatique de l’anse deMalmousque)mais, d’autre part, un élé-
ment totalement improbable (ici, le dauphin) fait soudain ir-
ruption dans cet univers bien connu, et projette autour de lui
une aura de suspicion.
L’analyse freudienne se concentre sur la dimension angois-
sante de ces expériences qui font vaciller nos repères et notre
croyance en une réalité stable et maîtrisable. Mais si l’inquié-
tude n’a pas été absente de cette rencontre du 31 décem-
bre 2018, ellen’est toutefoisqu’une desnuances de l’infiniepa-
lette émotionnellequi fait de cet événement l’un des plus mar-
quants de mon existence (existence dont j’espère globalement
qu’elle est réelle, et non imaginaire). Souhaitons-nous donc de
vivre de nombreuses expériences propresànous faire voyager
sur cette incertaine frontière entre le réel et l’irréel.

Àquoi tient notre croyance


en la réalité?


dans les idées


M


etz-Dakar, quelques
heuresd’avion. Une op-
tion de facilité que les
Mosellansn’ont même pas en-
visagée!L’équipe de la fonda-
tion Saint-Jean-qui gère une
maison d’enfantsàcaractère
social-achoisi le vélo, la rando
et l’avironpour la première par-
tie du voyage, qui les a
conduits jusqu’à Marseille,
hier.
En début d’après-midi, alors
queles touristes prenaient un
bain de soleil sur la plage de la
Pointe-Rouge,àquelques
mètres de là, des jeunes de 10 à
15 ans, leurs encadrants, le
championde handisport
Franck Fester et les membres
d’Aviron seynois étaient en
train de sortir de l’eau un ba-
teau pour le hisser sur une re-

morque. Ultime effort après un
périple un peu fou, quiacom-
mencé le9juillet.
Juste le temps pour eux de re-
lierMetz àMarseille.D’abord
540 kmàvélojusqu’à Ville-
franche-sur-Saône.Puis une
rando dans le massif des
Monges dans les
Alpes-de-Haute-Provence avec
un sacré dénivelé et unenuit
en bivouac. Et enfin, trois jours
d’aviron entre Toulon et Mar-
seille, avec lacomplicité du
club varois.
Au-delà du défi sportif, c’est
une leçon de vie que les éduca-
teurs spécialisés ont voulu leur
enseigner. "On travaille sur ce
projetdepui s18mois .EnMo-
selle, le Départementamis en
place un programme quis’ap-
pelle"bellerencontre" avec

chaque foyerdejeunes.
C’est-à-dire qu’onaunparrain,
nous, c’est Franck Fester,qui
nous soutient et avecqui on par-
tage des activités sportives", ex-
pliquent Jean-Christophe et Sli-
man. "Avec ce projet-unique
en France-onvoulait qu’ils s’in-
vestissentdans la préparation,
qu’ils se rendentcomptedece
queçareprésenteetpas seule-
ment qu’ils soient là pour
consommer les activités."
Lesjeunes ont alors démar-
ché des entreprises, des collec-
tivités, vendu des calendriers
et emballé des cadeaux, pour
récolter les 35000¤nécessaires
àleur aventure. "Maintenant,
c’est la récompense pour eux
-six jeunes et quatre adultes-,
en partantàDakar. Ils vont al-
ler àlarencontre d’une nou-

velleculture,d’unnouveau
pays.Certainsd’entreeuxn’ont
jamais pris l’avion." Pendant
leur séjour, ils seront accueillis
par l’association L’Empire des
Enfants, qui tiredelarue les pe-
tits sénégalais,obligés de men-
dier pour survivre.
Chaque participantatrouvé
soncompte dans cette odys-
sée. Que ce soientles jeunes:
Erim avait envie de relever un
défi sportif;Semra voulait s’en-
richir de découvertes cultu-
relles;oules éducateurs spécia-
lisés, qui ont vu une équipe sou-
dée et une cohésion naître
entre leursprotégés.Oubien
encore Franck Fester qui, mal-
gré des médailles en pagaille, a
vécu l’une des plus belles aven-
tures de sa vie.
Lætitia GENTILI

Du mistral


Chaque semaine,
un(e) philosophe
d’ici prend la plume
autour d’une
actualité
marseillaise ou
d’une problématique
qui touche le
territoire.

Depuislemois de janvier,
en France, 78femmes ont été
tuéessous les coupsdeleur
conjoint ou de leur ex. "Et ce
n’est plus acceptable", s’in-
dignent une dizaine de
membresdel’association
Femmes solidaires qui se sont
rassemblés, hier après-midi,
sous l’ombrière du Vieux-Port.
Pancartesetbanderoles en
mains, elles sont venues sensi-
biliser les Marseillais "àcedé-
comptemacabre". PourAn-
nick Karsenty, la présidente de
l’association sur le plan dépar-
temental, "le gouvernement
doit prendre ses responsabili-
tés. Lors de son élection, Emma-
nuel Macronadit qu’il serait le
Président des droits des
femmes, or, on voit bien que ce
n’est pas le cas. Puisque le
nombre de plaintes augmente
et celui des femmestuées aus-
si". La solution?"Donner plus
de moyens et augmenter le bud-
get qui est consacré aux droits
des femmes, qui ne représente
que 0,066%dubudget de l’État
(soit 78 millions d’euros
Ndlr)",affirme-t-elle.

Une meilleure formation
des commissaires de police,
plus d’établissementsd’ac-
cueil pour les femmes, l’octroi
de téléphones de grande ur-
gence, des mesures adaptées

dans les hôpitaux lorsqu’une
femme violentéetrouve la
force d’aller se faire soigner,
plus de subventions pour les
associations qui militent pour
cette cause... "Nous avons les

solutionsentrelesmains,il
faut juste nous aideràles réali-
ser", conclutlaprésidente de
l’association quiabien l’inten-
tion de poursuivre ce combat.
Laura CIALDELLA

Vélo, rando, aviron,


ils ont fait Metz-Marseille


Des jeunes d’un foyer de Moselle sont arrivés hieràMarseille après un


périple sportif incroyable. L’aventure continue aujourd’huiàDakar


Les membres de l’association Femmes solidaires ont crié leur colère, hier après-midi, sous l’ombrière
du Vieux-Port. /PHOTO L.C.

HieràlaPointe-Rouge, les jeunes de 10à15ans, leurs éducateurs spécialisés, le champion de handisport Franck Fester et l’équipe d’Aviron
seynois ont achevé un périple de onze jours depuis la Moselle. /PHOTO L.GI.

par
Marc ROSMINI

Professeur de
philosophie au lycée
Antonin-Artaud
et auteur de
"Méditations
westernosophiques"

RASSEMBLEMENT SOUS L’OMBRIÈRE


La lutte contre les féminicides se durcit


Marseille


/PHOTO NICOLAS VALLAURI

10 Dimanche 21 Juillet 2019
http://www.laprovence.com

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