La Provence Marseille du dimanche 21 juillet 2019

(Nandana) #1
Elleaenduré des
séances d’entraînement
que la plupart d’entre nous n’auraient pas sup-
porté dix minutes. Subi des humiliations et des
remarques plus que déplaisantes sur sa manière
de travailler avec son père, sur son physique, son
tennis atypique. Sans rechigner, sans se plaindre,
elle aencaissé... sans oublier.
Dans son autobiographie d’une sincérité désar-
mante, Marion Bartoli explique le lien qui l’unit à
ce père quialâché son métier de médecin pour
exaucer le vœu de sa fille:faire du tennis sa vie...
On apprend beaucoup sur les castes qui sé-
vissent dans le monde du tennis, les jalousies et
la grande solitude qui entoure les joueuses. Les
journéessont bien remplies.Pas le temps de pen-
seràla vie sociale et encore moins amoureuse.
Un trou béant qu’on constate une fois la retraite
arrivée. La famille est éclatée:d’un côté, mère et
frère, de l’autre championne et père qui se re-
trouventquand le calendrier tennistique le per-
met. Vie en décalé avec des Noël fêtés le 22 dé-
cembre, pas de sortie, pas d’attache. On suit avec
passion, tel un polar,saprogression sur les ter-
rains et en dehors, en passant des hôtels miteux

aux 4étoiles, du boulodrome couvert faisant of-
fice de terrain d’entraînementdeHaute-Loire
aux courts de tennisprestigieux sousles coco-
tiers.
Tous les chapitres ne montrent qu’une chose
au final:saténacité. Elle parle sans se ménager :
"Je travaille plus que n’importe quelle joueuse, je
suis tellement mauvaise au départ, c’est ma seule
solution mais j’ai foi en ma quête."Son but ul-
time:gagner Wimbledon. Ce sera chose faite le
6juillet2013. Etlà encore, on voit combien le
mental et le physique sont liés. Le but atteint, le
corps lâche de tous les efforts consentis pendant
tant d’années. Un mois après, elle annonce sa re-
traite. Le livre bascule ensuite. La voilà devant un
océan de vide qu’elle remplit:commentatrice té-
lé, invitations dans les tournois du circuit...
Avant la rencontre avec celui qu’elle nomme D.
Sa première vraie relation avec un homme. Elle
ne connaît pas les codes de séduction ni ceux de
la vie de couple.
La championne peut finir un marathon, aller
au bout d’elle-même et être totalement désar-
mée devantunhomme qui lui demande en en-
trant dans un hôtel:"Àton avis, avec laquelle des
trois réceptionnistes je coucheraisenpremier?"
L’homme se sert d’elle comme faire-valoir, la ra-
baisse constamment notamment en se moquant
de sa corpulence. Elle qui manquait de challenge
se met au régime. Et finit par peser 41 kilos. Elle
rompt et se fait hospitaliser. Avec ce régime, elle
prouve quoien réalité?Qu’elle est toujours ca-
pable d’atteindre son objectif, même au péril de
sa vie. Au-delà de cette relation toxique, ce livre
pose la question du déséquilibre mental de ces
champions coupés du monde pendant tant d’an-
nées. Un livre poignant comme son parcours.
Aurélie FÉRIS-PERRIN

B


rumes épaisses, mémoire
incertaine,enfances mal-
menées par la guerre, pa-
rents menantleurs propres vies
et dont la parole adressée à
leurs enfants n’est pas fiable...
Les personnages de Michel
Ondaatjesont d’autant plus
mystérieux qu’ils semblent dis-
simuler aux yeux du monde
leurs véritables identités,des vé-
rités très incertaines, des pans
de prétendue réalité qui s’ef-
fondrentun àun. Le lecteur en
retire l’impression de ne pas en
savoir vraiment davantageàla
fin qu’au début. Ilyadu Patrick
Modiano dans "Ombres sur la
Tamise", le nouveau roman de
MichaelOndaatje.
C’est Londres, et non le Paris
réinventé de l’écrivain français,
qui sert de décor principalàl’in-
trigue. Une capitale anglaise sai-
sie dans les années
d’après-guerre, où l’on voit Na-
thanael, le narrateur,âgé de
14 ansen1945, date àlaquelle
débutelerécit ,placé par ses pa-
rents avec sa sœur Rachel,
16 ans,auprèsdedeux
hommesqui,nous dit-on,
"étaientpeut-être des assassins".

Londres plutôt que Paris
Celui qui aura en charge leur
éducation est surnommé par
les enfants "Lepapillon de
nuit". Il les entraînera dans un
monde interlopeaux marges de
la réalité.
On songe par momentsà
Eliot Salter, marqui sdeCaus-
sade, inquiétant aventurier du
roman de Patrick Modiano"Re-
mise de peine". Cet homme
n’est certainementpas seule-
ment ce tranquille amateur de
coursesdelévriers qu’ilvou-
drait être.
Londres,plutôtque Paris,
mais ilyalà uneiden tiquefasci-
nation pour la descriptionqua-
si oniriquedelieux fantasmago-
riques qu’Ondaatje, écrivain né
àCeylan,qui vi tdésor mais au

Canada, entreprendavec une
plume d’entomologiste. Natha-
nael nous raconte d’abord que
leur pèreaquitté la Grande-Bre-
tagnepourSingapour, afin d’in-
tégr er, en tant que responsable
et àlasuite d’une promotion,le
bureau d’Unilever en Asie.

Quelque temps après, son
épouse est partie le rejoindre.
Mais Nathanaeldécouvre une
mallecontenant toutes ses af-
faires.
Elle comprend que sa mère
n’a jamais quitté Londres. Ce
n’est queplustard,àl’âge
adulte, alors qu’il est devenuof-
ficier des services de renseigne-
ments chargé d’étudier les dos-
siers des fonctions d’hommes
et de femmespendantla
guerre, que la vérité surgira.
Il va alors reconstituer la
double vie de Rose, sa mère, et
découvrir son rôle d’agent se-
cret. Dans cette deuxième par-
tie du roman, Michael Ondaatje
propose un thriller psycholo-
gique rappelant l’univers
sombre de John Le Carré.

La brutalité des
événements
C’est direcombien "Ombres
sur la Tamise" complexifie les
choses au fil du récit,plutôt que
de se positionner de manière
simpliste. La manière dont Na-
thanaelintègre l’histoiredesa
mèreàlasienne faitsonger à
"La promesse de l’aube", de Ro-
main Gary.
Sans plagier qui que ce soit
bien sûr, Michael Ondaatje
offre un romandeformation au
souffle épique qui demeure
comme chez les autres écri-
vains citésune puissanteré-
flexion sur les troubles de l’His-
toire où se mêlenttrahisons et
vengeances jusqu’en plein
cœur de la guerre des Balkans.
Avec en filigrane cette phrase
sibylline:"Laplupartdes
grandes batailles se livrent dans
les plis cartographiques".Voilà
un grandtexte auxramifica-
tions politiquesimportantes
qui brosse d’étonnants por-
traits de simples quidams deve-
nus héros malgré eux en raison
de la brutalité des événements
qui se sont abattus sur eux.
Jean-Rémi BARLAND

Un roman au goût


corsé de trahison


La double vie d’une mère muée en agent secret, des


citoyens qui deviennent des héros:Michel Ondaatje ose


eurs techniques sont différentes, mais le résul-
tat est le même:Marie Nimier et Arnaud Cathrine
prêtent leur plumeàdes inconnus, dont ils s’ap-
pliquentàraconter, voire réinventer la vie. Ils ont
l’art de mettre leur art au service des anonymes.
Appelons-les des écrivains publics.
Des deux, Marie Nimier (prix Médicis 2004 pour
"La Reine du silence") est la plus méthodique. Il y
adeux ans, dans la bonne ville de Nantes, ellealancé, sous forme
d’affichettes, un "appelàconfidences". Les volontaires devaient
se rendre dans l’appartement vide, seulement meublé d’une
table, de deux chaises et augmenté d’un immense philodendron,
que la municipalité avait misàsadisposition. La romancière y
reçut, pendant deux mois, des femmes et des hommes dont elle
enregistrait la voix, mais ignorait le visage. Car elle avait les yeux
bandés par un tissu opaque. Le livre, surprenant, inédit, choral,
qu’elle publie aujourd’hui est le recueil de ces brèvesconfes-
sions, où les regrets le disputent aux remords, reproduites tantôt
àlapremière personne, tantôtàlatroisième. Une troublante col-
lection de traumatismes, de fantasmes sexuels, d’humiliations ca-
chées, de secrets très enfouis, de lâchetés avouées, d’ambitions
déçues, mais aussi d’anecdotes apparemment insignifiantes. En
fait, elles ne le sont jamais. Tout le passé resurgit, avec ses bles-
sures de collège, ses lettresperdues, ses mortscélèbres (les der-
niers instantsdeClaude François sont ainsi racontés par sa
voyanteparticulière), ses soirées mousse, ses partouzes au
"Mont-de-Vénus", mais aussi ses suicides et ses viols. Après avoir
recueilli la parole des autres-une cinquantaine -, la généreuse
Marie Nimier se confieàson tour et dit combien son "papa",
l’écrivain Roger Nimier, lui manque. Il est mortà36ans dans un
accident de voiture, et"rien ne l’avait sauvé, ni la séduction, ni
l’orgueil, ni même le talent".Untalent dont sa filleahérité.
Arnaud Cathrineamoins de scrupules. Les vies des autres, il
les vole. Posté, stylo et carnetàlamain, aux terrasses des cafés
parisiens, sur la plage de Deauville ou celle du Pyla, ce"prédateur
joyeuxàlarecherchedesaprochaineproie"observelesgens-ici,
une soixantaine-etleur prête des histoires imaginaires. Beau-
coup de jeunes garçons l’inspirent, mais ilyaaussi des hommes
épui sés, desvieillesdames indignes, des familles modestes ou
bourgeoises et, comme chez Marie Nimier, un cortège de souve-
nirs douloureux, de fantasmes mal assumés,desolitudes plain-
tives et d’antidépresseurs. De microfiction en microfiction, l’écri-
vain finit par livrer, en creux, un autoportrait mélancolique, terri-
blement attachant. J’oubliais:ces deux écrivains, qui citent l’un
et l’autre Annie Ernaux comme un modèle,ont également en
commun d’êtreparoliers.Marieaécrit pour Juliette Gréco et
Johnny Hallyday, Arnaud pour Florent Marchet et Joseph d’An-
vers. Et de monter sur scène, en pleine lumière, pour des spec-
tacles musicaux. Pas surprenant que leurs livres ressemblent à
des chœurs. Le publicabien raison de les applaudir.

"Renaître",de
Marion Bartoli
avec Géraldine
Maillet, Ed.
Flammarion,
280pages,19,90¤.

"Ombres
sur la Tamise"
par Michael Ondaatje
Aux Editions de l’Olivier
276 pages, 22,50¤.

Michael Ondaatje.
/PHOTO DANIELMORDZINSKI

Marie Nimier.
/PHOTOFRANCESCAMANTOVANI

Par JérômeGARCIN

Arnaud Cathrine.
/PHOTO FRANCESCA MANTOVANI

de l’été


Gallimard,
184 pages, 18 euros.

ÉditionsVerticales,
186 pages, 18 euros.

Et si la population mon-
diale de grands animaux sau-
vagesavaitatteint son seuil
de résistance?Alors que cer-
tains pays d’Afrique viennent
d’autoriser de nouveau la
chasse aux éléphants, le bra-
connage faitencore desra-
vages. C’estd’ail leursla pho-
tographie d’un rhinocéros,
sauvagementtué,lacorne
sciée, quiaému Pierre-Ro-
land Saint-Dizier. Ce journa-
liste, metteur en scène de
BD, adécidé d’écrire un véri-
table plaidoyer au travers
d’unebellebandedessinée
intituléeLes adieux du rhino-
céros.Cette fiction-qui res-
semble, néanmoins étrange-
mentàcequ’il se passe dans
la réalité-met en scène des
rangersausein d’un parc zoo-
logique africain où le taux de
braconnage est devenu dra-
matique. Principale cible des
braconniers:les rhinocéros
noirs, sacrifiés sur l’autel de
croyances médicinales ances-
trales, et dont la corne se né-
gocie en Asie,àplusieurs mil-
liers d’euros le kilo.Àtravers
cet ouvrage, l’auteur tente de
nous sensibiliser sur la pré-
servation des espèces mena-
cées. Mais reste-t-il un es-
poir? S.R.

"Les adieux du rhinocéros", Éditions
Glénat, 56 pages couleurs, 14,50¤.

La sportive de haut


niveau, si forte et si fragile


Marie Nimier et Arnaud


Cathrine,écrivains publics


«Jusqu’àce soir
32 eJournée du Livre deSa-
blet(Vaucluse).Avec,parmi
la centaine d’auteurs invités,
Dominique Besnehard,
Gilles Brancati,Françoise
Bourdon,Evelyne Dress,Mi-
chel Drucker,René Frégni,
Franz-Olivier Giesbert,
Jean-François Kahn,Fabien
Lecoeuvre,Daniel Mes-
guich,Pia Petersen,Michel
Quint,Ségolène Royal,
JacquesSalome,Henry-Jean
Servat,LucienVassal...
«Du 31 juilletau3août
"RencontresGiono" àMa-
nosque(théâtre, lectures,
conférences,concerts...)
«Samedi3
etdimanche4août
7 eédition du salon du livre
"La Ruche des Mots", àRiez
(04),sousleparrainagedeRe-
né Frégniet avec une tren-
taine d’auteurs dontFran-
çoise Bourdon,Maurice
Gouiran,Marcus Malte,
GillesVincent...
«Mercredi7août
Àpartir de 18 h. "Noc-
turneslittéraires" àBandol
(Var),avecunevingtained’au-
teurs. Également le6août à
Saint-Tropezet le 11 àChâ-
teauneuf-du-Pape.

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Le coup
de coeur

Le feuilleton


La nature


menacée


L’agenda

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