La Provence Marseille du dimanche 21 juillet 2019

(Nandana) #1

L


’histoire des municipales
de Marseille en 1983 s’est
sans doute jouéeàParis
quelques moisplustôt.Pluspré-
cisémentdans des bureaux de
la place Beauvau où un certain
GastonDefferre, maître des
lieux depuis un peuplusd’un
an, met la dernière mainàson
projet de loi dit PLM (pour "Pa-
ris, Marseille,Lyon").Letexte
crée des mairies annexes et des
conseilspour chaquearrondis-
sement de Paris et Lyon;dans
sa ville, le maire se concocte un
découpage en secteurscousu
main (voir ci-contre). Depuis
qu’ilarompuavec le centre
droit, au milieu des années 70,
le vieux lion socialistesait que
leverd’unedéfaiteestdansle
fruit.
Aussi, après plusieurs années
de brouilleavec les élus PC,
"Gastounet"afini par se ranger
àl’union de la gauche. Il faut
dire qu’il travaille avec lescom-
munistes au gouvernement de-
puisdeux ans!Ilperdaupas-
sage le soutiendubaron socia-
liste Charles-ÉmileLoo, fa-
rouche anticommuniste.
Lescrutin municipal des6et
13mars concentre toutesles at-
tentions. Car au-delà de l’oppo-
sition entre droite et gauche,dé-
sormais claireàMarseille, l’élec-
tion met aux prises deux person-
nagesàl’envergure nationale.

Ministre contredéputé
La situation politiqueabien
bougé depuisles municipales
1977 !Après l’élection de Fran-
çois Mitterrandàla présidence
de la République, en 1981, Gas-
ton Defferre est redevenu mi-
nistre de l’Intérieur et la Décen-
tralisation.Mitterrand avait
penséàlui commePremier mi-
nistre mais son âge (72ans) le
pousseàrefuser. Il partage son
temps entre Paris et Marseille
avecson épouse, également
proche du président de la Répu-
blique, la femme de lettres Ed-
monde Charles-Roux.
Jean-Claude Gaudin, 43ans,
qui ne siège plus au conseil mu-
nicipal depuis la déroute
de 1977,adécouvert l’Assem-
blée nationale l’année suivante
en battant Loo.Depuis
deuxans, pour avoir résistéàla
vague rose de 1981, il est même
président du groupe UDF au pa-
lais Bourbon-ledeuxième en
sièges(62)del’opposition-ce
qui lui offreune tribune média-
tique et politique de premier

choix. Dans la courseàlamai-
rie, ilaunhandicap:avoir été
dans l’équipeDefferre de 1965
à1977.
Le sortant sait bienque la par-
tie sera rude."Il est gentil,Gau-
din", dit-il auMonde.Puis, plus
rude:"Ce pauvre Gaudin ignore
mêmecequi adéjà été fait et
l’inscritàson programme." La
leçon ne plaît pasàl’ancien pro-
fesseur d’histoire qui fustige
des "socialistes qui ont une urne
àlaplace du cœur". Le centriste
de Mazargues est bien décidé à
l’emporter. Avec le député Hya-
cinthe Santoni, ils montent des
listesàparité UDF-RPR.
La sécuritéetl’immigration
sont lesprincipaux sujets de
campagne. Tentant, surtout
lorsqu’onaenface de soi le pre-
mier flic de France. Un dissi-
dent du parti gaulliste, l’avocat
Bernard Manovelli, s’estaussi
lancé avecuneliste dont le
nom dit tout:Marseille Sécuri-
té. Avantmême l’arrivée du FN,
ce candidats’en prendaux im-
migrés, accusés selonlui,de
fairemonter la délinquance.
Avec un certain écho:5,5%des
électeurs lui accordent leurs
voix.

"Immigration contrôlée"
Àl’époque,lafrontière idéolo-
gique sur ce sujet de l’immigra-
tionest floue. Entreles

deuxtours, Gaudin recherche
unealliance avec Manovelli.
Tout comme... Defferre, qui
nie. Sur des affiches du maire
sortant, on peut lire:"La droite,
c’est vingt ans d’immigration
sauvage;lagauche, c’est l’immi-
gration contrôlée." Mis en bal-
lottagedans son propresec-
teur, Defferreentrevoitladé-
faite:"Si je suis battu, je n’aurai
pas été le seul et des hommes
d’une autretailleque moi ont
perdu des élections. Jaurès,
Churchill, de Gaulle."Pas
moins.
"Le cœur de la campagne bat
àMarseille", lance Christine
Ockrent dans le JT de 20hd’An-
tenne 2. Le contexte est trèsten-
du:danslanuitdu7au 8mars,
entre les deux tours, une
bombeexplose rue Dragon (6e),
près de la synagogue. Elletue
les deux hommes qui la mani-
pulaient. LepréfetPatault
(dont le ministre de tutelleest
un certain... Defferre) évoque
des suspects "en relationrelati-
vementétroit eavecdes politi-
cien sdedroite dans le Vaucluse
et àMarseille".
Lorsdu premier duel télévisé
entre candidatsàlamairie de
Marseille, surFR3 Marseille,le
candidatde ladroite embraye
sur cetteaffaire.Toute la presse
nationale est là. Jean-Claude
Gaudin accuse le maire de se

servirduProvençalpour propa-
ger la rumeur d’un lien qu’il au-
rait entretenuavec les appren-
tis artificiers. Gaston Defferre
persifle:"M. Gaudin, personnel-
lement,jen’ai pas dit que vous
étiezmalhonnête;jen’ai pas dit
que vous aviez posé la bombe.
J’aijustedit qu ejevous ai enten-
du direàlaradio:’Je n’ai pas
une tête de poseurdebombes’.
Ça, c’est vrai, vous avez un
genre de têtecomplètement diffé-
rent.Maisvousêtes débordé par
vos amis!"Quelques moisplus
tard,attaqué en justicepar
Jean-ClaudeGaudin, le préfet
Patault sera condamné pour
propagationde fausses nouvel-

les... Au sortir du plateau, cha-
cunvoitmidiàsaporte."Siles
électeurs quivotent traditionnel-
lementàgaucheetquisesont
abstenus votent,jedois gagner",
soupèse, le visage fermé, Gas-
ton Defferre. Jean-Claude Gau-
dinpoussesurlasécurité:"Ily
auneagression toutesles
septminutes. Le ministre de l’In-
térieuraéchoué.Etlemairede
Marseillen’aguèremieuxréus-
si."Lerésultat final montrera
que Defferre, vainqueur au se-
cond tour avec 51,86%des
voix,aeu raisondeplus s’inté-
resseràlacarte électorale
qu’aux képis...
SylvainPIGNOL

Au soir du premier tour, "Le Provençal", quiaactivement fait
campagne pour son propriétaire, Gaston Defferre, observe une
"poussée de la droite". Et note un abstentionnisme des
électeurs de gauche. /PHOTO ARCHIVESLA PROVENCE

Gaston Defferre et Jean-ClaudeGaudin se saluentàl’issue du débat d’entre-deux tours. /PHOTO ARCHIVES LA PROVENCE-ANDRÉ TOUBOUL

Les secteursissusdelaloi
PML (et entre parenthèses,
le nombre de conseillers mu-
nicipaux élus par secteur).
I
er
secteur : 1
er
,
e
,
e
et
14 earrondissements
(29 sièges).
II
e
secteur : 2
e
,
e
et 7
e
arr.
(13 sièges).
III
e
secteur : 5
e
,
e
,
e
et
12 earr. (25 sièges).
IVesecteur : 6 eet 8earr.
(14sièges).
V
e
secteur : 9
e
arr.
(8 sièges).
VIesecteur : 15 eet 16earr.
(12 sièges).

Defferre contre Gaudin :


duel au sommet


MARS 1983Le maire PS remporte un sixième (et dernier) mandat dans des conditions discutées


NOTRE SÉRIE(2/7)
Àmoins d’unan desmunicipales,
"La Provence" se replonge dans
les batailles passées. Aujour-
d’hui, l’élection de mars 1983.

Page réalisée avec le service
documentation de "La Provence"

Les secteurs


"Defferre"


Marseille


36ans plus tard,Jean-Claude Gaudin
n’a toujours pas digéré.Perdre une élec-
tion en ayant plus de voix que son adversai-
re... Dès l’adoption de la loi PML,lecandi-
dat UDF dénonce un "charcutage électo-
ral, cette loi chauve-souris qui introduit la
proportionnellesans l’introduire tout en
l’introduisant, en fonctiondes données cor-
rigées des variations municipales".
Chamboulant le découpage qui valait
depuis 1965, Gaston Defferreacréé des
secteurs"maison"enfonction des résul-
tats des bureaux lors des scrutins précé-
dents.Àseul titre d’exemple, le 1ersecteur
est une diagonalequi part du

Vieux-Port(1er)jusqu’à Château-Gom-
bert(13e). Àchaque secteur correspond dé-
sormais un nombre d’élus au conseil mu-
nicipal central, avec une répartition calcu-
lée dans la loi.
Alors, injustice ou pas?Dans les faits, les
listes Gaudin obtiennent plus de voix que
celles de Defferreaupremiertour, mais
pas au second. En effet, on ne votera pas
dans trois secteurs:les deux premiers,
dans les 6-8 (avec Jean-Claude Gaudin) et
le 9e(avec Guy Teissier), ont été remportés
dès le6mars par la droite;lagauche n’a
raflé que le 15-16(avec le PCF Guy Her-
mier). Si l’on additionne les résultats des

secondstours et des secteurs déjà rempor-
tés au premier, Jean-Claude Gaudin arrive
bien en tête avec 179 098 voix, contre
176601 au sortant. "Je suis la seule victime
du PML", lance le nouveau maire des 6-8,
observant qu’à Paris etàLyon, le nouveau
statut "s’es tretourné contre ses auteurs".
Gaston Defferre, qui sait que le couperet
est passé près,a"àlabouche un goût fort
agréable, celuid’une bell evictoire". Tout
sour ire, il se veut magnanimeausoir du
13mars:"J’ai gagné, je serai grand et géné-
reux. Je n’irai pas me livreràdes gestes de
représailles, de critique."
Sy.P.

LESRÉSULTATS
Premier tour-6mars 1983.
Inscrits:521 930. Votants:334 216
(64,03 %). Exprimés:328 325.
Résultats:Changeons Marseille
(UDF-RPR-PR-CDS), 48,10 %. La
gauche unie, la force du nouveau
Marseille (PS-PCF-MRG), 45,09 %.
Marseille Sécurité:5,05 %.
élus au premier tour:Gaudin
(4esecteur), Teissier (5e), Hermier (6e).
Deuxième tour-13mars 1983.
Inscrits:343 669. Votants:255 027
(74,21%). Exprimés:249 748.
Résultats:Lagauche unie, la force du
nouveau Marseille (PS-PCF-MRG),
51,86 %. Changeons Marseille
(UDF-RPR-PR-CDS), 48,13 %.

LA POLÉMIQUE HISTORIQUE


Plus de voix, moins d’élus,une défaite contestée

Dimanche 21 Juillet 2019 9
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