Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1

La revanche de l’art


français des FIFTIES.


D'OÙ ÇA SORT?


VICTOR VASARELY, HANS HARTUNG, ANNA-EVA BERGMAN,
SERGE POLIAKOFF... LONGTEMPS JUGÉS RINGARDS
PAR LEURS CONFRÈRES AMÉRICAINS, LES ARTISTES
FRANÇAIS DES ANNÉES 1950 FONT AUJOURD’HUI
UN RETOUR DANS LES GALERIES ET LES MUSÉES.


AU MILIEU DU
xxE SIÈCLE, une bascule s’est
opérée entre Paris et New York,
la seconde ayant alors sup-
planté la première au rang de
capitale de l’art mondial. Cette
victoire américaine a fait ternir
l’étoile des artistes français des
années 1950. Jugés trop bour-
geois, décoratifs, pour ne pas
dire ringards, ils furent alors
mis aux oubliettes. Mais depuis
cinq ans, les musées et les mar-
chands s’empressent de les en
sortir. Après les hommages à
Serge Poliakoff, Jean Fautrier et
Zao Wou-Ki, le Musée d’art
moderne de la Ville de Paris
célèbre actuellement Hans
Hartung, tandis que celui de
Caen rend hommage à sa com-
pagne, Anna-Eva Bergman. Au
Centre Pompidou, une exposi-
tion Georges Mathieu est dans
les tuyaux, après celle consa-
crée en 2018 à Vasarely. Quant
au Musée Soulages, à Rodez, il
braque actuellement ses projec-
teurs sur les femmes de cette
décennie mal aimée.
Comment expliquer ce retour
de balancier? Par les cycles du
marché, à en croire le mar-
chand parisien Franck Prazan.
« L’offre est abondante, les
artistes ont beaucoup produit et
leurs successions détiennent de
nombreuses œuvres, ce qui per-
met à de nouvelles galeries,
comme Perrotin, d’entrer dans
le jeu, résume-t-il. Cela facilite
aussi la tâche pour les musées
qui, par ailleurs, ont quantité
d’œuvres dans leurs réserves. »
Pour les conservateurs, le
mérite revient plutôt à une
génération d’universitaires qui
relativisent l’obsession améri-
caine de leurs aînés et le culte
de l’école de New York. « On
leur a moins bourré le mou sur
ce qui est bien et ce qui ne l’est
pas », insiste Benoît Decron,
directeur des musées du Grand
Rodez, dont fait partie le
Musée Soulages. « Ils regardent
cette période de manière moins
idéologisée, plus apaisée »,
abonde Fabrice Hergott, direc-
teur du Musée d’art moderne
de la Ville de Paris.

Cette approche décomplexée
leur permet de rectifier
raccourcis et contresens.
L’historien d’art Arnauld Pierre,
co-commissaire de l’exposition
« Vasarely, le partage des
formes », le martèle : « Le pré-
tendu discrédit des années 1950
est un leurre. Elles n’ont en fait
jamais disparu de l’imaginaire
collectif et du goût dominant. »
Et Franck Prazan d’ajouter  :
« L’art informel, qui est né de la
nécessité de traduire par les
images ce qu’on ne peut plus
faire par les mots a essaimé dans
le monde entier. »
D’autant que cette décennie fut
le point de départ de grandes
mutations esthétiques dont l’hé-
ritage est aujourd’hui visible, à
savoir « la peinture jusqu’à l’ex-
cès dans les formats et les procé-
dures, notamment gestuelles, et
en même temps la peinture excé-
dée par d’autres pratiques qui
font intervenir le corps, l’objet,
des matériaux non picturaux, les
détournements des images de la
culture populaire et l’utilisation
des nouvelles technologies »,
détaille Arnauld Pierre.
Le travail d’exhumation repose
enfin sur l’intérêt des artistes les
plus en vue, comme Wade
Guyton ou Christopher Wool.
« Ce que j’ai appris des
années 1950, c’est que les artistes
de cette décennie ne sont pas
réductibles à cette période,
conclut Thomas Schlesser, direc-
teur de la Fondation Hartung-
Bergman. Hartung, c’est sept
décennies de création. Dire de lui
qu’il est un artiste des années 1950
est aussi absurde que de dire que
Picasso est un peintre des
années 1920. Je pense que c’est
cela le plus gros travail de
demain  : comprendre les
années 1950 dans le faisceau d’un
siècle entier, d’où elles viennent et
ce qu’elles préparent. »

« HANS HARTUNG, LA FABRIQUE DU
GESTE », JUSQU’AU 1er MARS, MAM,
11, AVENUE DU PRÉSIDENT-WILSON,
PARIS, 16e. MAM.PARIS.FR
« FEMMES ANNÉES 50 », JUSQU’AU
10 MAI, MUSÉE SOULAGES, JARDIN
DU FOIRAIL, AVENUE VICTOR-HUGO,
RODEZ (AVEYRON).
MUSEE-SOULAGES-RODEZ.FR

Texte Roxana AZIMI


Ci-dessus,
T1949-9 (1949),
de Hans Hartung,
Kunstsammlung
Nordrhein-
Westfalen,
Düsseldorf.


Jusqu’au 10 mai,
le Musée
Soulages à Rodez
rend hommage
aux femmes
sculptrices et
peintres des
années 1950
(ci-contre).


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LE GOÛT

Thierry Estadieu. Hans Hartung/T1949-9/1949/Adagp 2019-2020/BPK- Berlin-Dist. RMN-Grand Palais/Walter Klein
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