Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1

Martine Carol, la grande DESCENTE.


RÉUSSI OU RATÉ, SANS DOUTE L’UN ET L’AUTRE, Lola Montès
(1955) se révèle l’un des échecs commerciaux les plus cinglants du
cinéma français des années 1950. Il fut aussi l’une des causes les plus
prisées de la critique, suscitant une armée de thuriféraires, François
Truffaut en tête, qui n’hésitait pas à comparer le film à Citizen Kane.
Lola Montès s’avérera également l’ultime opus de son réalisateur,
Max Ophuls, mort deux ans après sa sortie d’une crise cardiaque
alors que son film a été remonté et coupé par ses producteurs.
C’était, enfin, le chant du cygne de sa star, Martine Carol, dont la
carrière ne rebondira jamais.
Portrait d’une aventurière et courtisane anglaise, en dépit de son
pseudonyme espagnol, engagée par un cirque américain pour y
être la vedette d’un spectacle fondé sur sa biographie, Lola
Montès magnifie et enterre la comédienne qui l’incarne. Son
héroïne, maîtresse de Franz Liszt et du roi Louis Ier de Bavière,
est une femme fatale manquée. Une femme qui se contemple,
au point de devenir un objet de curiosité, retirée à la vie pour
satisfaire la curiosité des autres.
Le film d’Ophuls est aussi une réflexion sur le statut de star et la
tragédie inhérente à cette condition. À l’origine, le réalisateur avait
envisagé un plus petit budget avec Danielle Darrieux, bien meil-
leure comédienne que Martine Carol. Une actrice aussi avec
laquelle le réalisateur a signé l’un de ses chefs-d’œuvre, Madame
de... Sauf que Martine Carol travaillait dur pour devenir une bonne
comédienne, comme le remarquait Ophuls. Par son statut,

SUR TOUS VOS ÉCRANS Samuel BLUMENFELD


davantage que par son talent, l’actrice la plus populaire du cinéma
français contraignait son metteur en scène à penser son film dif-
féremment. La biographie d’une femme scandaleuse, avec une
vedette connue pour ses rôles levant les tabous, souvent sous la
direction de celui qui fut son deuxième mari, Christian-Jaque –
Lucrèce Borgia (1953), où elle apparaît entièrement nue, la jambe
droite relevée masquant son sexe, Madame du Barry (1954), la
maîtresse de Louis XV, et Nana (1955), d’après Émile Zola –, prend
inévitablement une autre signification. Si Max Ophuls joue large-
ment sur la nudité de son actrice principale, en particulier dans
une séquence où cette dernière déchire sa robe avec un coupe-
papier, c’est pour lui retirer toute sensualité.
Martine Carol, dans Lola Montès, n’est plus un objet de désir, elle
devient une momie. Une femme splendide mais dénuée de chair.
Lola Montès devient autant un film consacré à son héroïne qu’une
mise en abyme du mythe Martine Carol. Exactement à la manière
de Joseph Mankiewicz avec Ava Gardner dans La Comtesse aux pieds
nus (1955) ou, plus tard, de Jean-Luc Godard avec Brigitte Bardot
dans Le Mépris (1963). Ironie du sort, un an après la sortie du film
d’Ophuls, c’est cette même Brigitte Bardot qui rend Martine Carol
caduque avec Et Dieu... créa la femme. Sans le savoir, avant même
d’être renvoyée à une autre époque, l’actrice vedette de Caroline
chérie avait déjà façonné son tombeau. Il s’appelait Lola Montès.

LOLA MONTÈS (1 H 50), DE MAX OPHULS, EST ÉDITÉ EN BLU-RAY PAR CARLOTTA.

Martine Carol
était une des
actrices les plus
populaires du
cinéma français
quand elle a
tourné Lola
Montès.

LE GOÛT

« Lola Montès

»/2008 Les Films du jeudi. Tous droits réservés
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