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INTERNATIONAL
SAMEDI 15 FÉVRIER 2020
0123
Le pouvoir de Xi Jinping à l’épreuve du virus
Affaibli sur le plan international, le président fait l’objet de critiques d’une partie de l’opinion publique
pékin correspondant
L
e président Xi Jinping lui
même le reconnaît : l’épi
démie de Covid19 consti
tue « un test majeur pour le
système chinois et la capacité de
gouvernance » du pays. En clair,
pour la centralisation du pouvoir
qu’il incarne, comme aucun de ses
prédécesseurs, depuis Mao
Zedong. Par ce qu’elle révèle du
fonctionnement du Parti commu
niste chinois, la crise sanitaire re
vêt donc une dimension politique
importante.
En consacrant sa « une », début
février, au coronavirus « Made in
China », l’hebdomadaire allemand
Der Spiegel a fait scandale. Mais
pour certains, le virus est bien le
fruit de la corruption et de la dissi
mulation, deux ressorts du com
munisme chinois. Evidemment,
Pékin pense exactement l’inverse.
Les épidémies trouvent leur ori
gine partout dans le monde et la
supériorité du système socialiste
permet justement de les combat
tre plus efficacement que les dé
mocraties ne le font.
Pour la propagande, en menant
« une guerre » contre le virus, la
Chine « contribue à améliorer la
santé du monde ». Une affirmation
d’autant plus contestable qu’en dé
pit de la transparence affichée par
Pékin, la Chine refuse d’accueillir
des missions sanitaires internatio
nales, ce que les EtatsUnis mais
aussi l’Organisation mondiale de
la santé (OMS) commencent à lui
reprocher ouvertement.
Humiliation
Sur le plan international, le Co
vid19 (nom donné par l’OMS à la
maladie provoquée par le corona
virus, désormais appelé SARS
CoV2 par les experts) a donc déjà
mis à mal l’image d’une Chine,
grande puissance moderne, van
tée par Xi Jinping. Aujourd’hui, la
liberté de circulation des Chinois
dans le monde est limitée comme
elle ne l’a jamais été depuis qua
rante ans. Sauf que, cette fois, ce
n’est plus le Parti communiste qui
interdit aux Chinois de sortir
mais les étrangers qui les empê
chent d’entrer ou leur imposent
une mise en quarantaine. Une vé
ritable humiliation.
Du Kazakhstan à l’Italie, même
les pays participant aux « routes
de la soie » – la clé de voûte du
soft power (politique d’influence
culturelle) de Pékin – ferment
leurs frontières aux Chinois. Le
15 janvier, Liu He, vicepremier
ministre, signait un accord com
mercial avec Donald Trump à la
Maison Blanche. Aujourd’hui, il
serait refoulé par les services de
l’immigration.
Rien ne dit d’ailleurs que Pékin
sera à même de tenir les engage
ments pris lors de ce premier ac
cord. Selon l’agence Bloomberg,
la China National Offshore Oil
Corporation (Cnooc), le principal
importateur chinois de gaz natu
rel liquéfié (GNL), a annulé toutes
ses commandes, en raison du vi
rus, invoquant un cas de force ma
jeur. Les importations de GNL
américain constituaient pourtant
l’un des principaux engagements
pris par la Chine le 15 janvier. C’est
sans doute parce que la fierté chi
noise est actuellement mise à mal
que Pékin a fait voler, dimanche 9
et lundi 10 février, des chasseurs
et des bombardiers dans l’espace
aérien taïwanais. Histoire de
montrer aux Taïwanais et à leur
protecteur américain que, même
en pleine crise sanitaire, la Chine
ne baissait pas la garde. Xi Jinping
est aussi le chef des armées.
Momentanément affaibli sur le
plan international – le Wall Street
Journal a même publié un brûlot
affirmant que « la Chine est
l’homme malade de l’Asie » –, Xi
Jinping l’estil aussi sur le plan in
térieur? Certains en sont convain
cus. Pour Zhao Suisheng, politiste
de l’université américaine de Den
ver : « De nombreux Chinois soute
naient plutôt le gouvernement
pendant la guerre commerciale
mais l’opinion publique mainte
nant est presque unanime contre le
gouvernement. C’est quelque chose
que je n’ai pas vu depuis 1989. »
La mort, officiellement le 7 fé
vrier, du docteur Li Wenliang, ce
lanceur d’alerte que les autorités
avaient fait taire, a marqué les es
prits. Une de ses dernières phra
ses – « Je pense qu’il devrait y avoir
plus d’une voix dans une société
saine » – est en train de devenir
culte. Pourtant, Li Wenliang
n’était pas un activiste. Selon la
presse, il était même membre du
Parti communiste.
Rétention d’informations
Outre une réelle émotion, sa mort
a amené plusieurs intellectuels de
Pékin et de Wuhan à plaider pour
davantage de liberté d’expression.
En 2008, le tremblement de terre
au Sichuan – 87 000 morts et dis
parus – avait donné naissance à
une mobilisation importante de la
société civile. Depuis son arrivée
au pouvoir, Xi Jinping n’a eu de
cesse de mettre celleci au pas. Elle
est présentée comme un concept
occidental destiné à affaiblir le
Parti communiste et n’est plus en
état de s’exprimer. Du coup, jus
qu’à présent, la grande majorité
des critiques sur les réseaux so
ciaux se concentrent sur la police
et les responsables du Hubei qui,
durant au moins trois semaines
en janvier, ont sousestimé voire
dissimulé l’ampleur de la crise.
Xuegang Zhou, sociologue à
l’université Stanford, affirme que
la crise actuelle est « aussi une ma
nifestation de la panne des struc
tures de gouvernance de la Chine »,
un système centralisé à l’extrême
qui dénie la moindre initiative
aux pouvoirs locaux. Mais, pour
le moment, à part le maire de Wu
han, nul n’a remis en cause cel
leci. La crainte d’être sanctionnés
a sans doute joué dans la réten
tion d’informations par les res
ponsables du Hubei mais celleci
n’a duré « que » quelques semai
nes alors qu’en 2003, en pleine
ouverture de la Chine sur le
monde, il avait fallu trois mois
pour que les autorités reconnais
sent l’existence du SRAS (syn
drome respiratoire aigu sévère).
Si, face au directeur général de
l’OMS, Xi Jinping affirme qu’il « di
rige personnellement » la lutte
contre l’épidémie, il met au con
traire l’accent, quand il s’adresse
Le président
chinois,
Xi Jinping,
à Pékin,
le 12 février.
LIU BIN/AP
« L’OPINION PUBLIQUE
EST PRESQUE
UNANIME CONTRE
LE GOUVERNEMENT.
C’EST QUELQUE CHOSE
QUE JE N’AI PAS VU
DEPUIS 1989 »
ZHAO SUISHENG
politiste de l’université
américaine de Denver
C O R O N A V I R U S
un proche du président Xi Jinping, Xia
Baolong, a été nommé, mercredi 12 février,
à la tête du bureau des affaires de
Hongkong et Macao au sein du Conseil
d’Etat, le gouvernement chinois. Il rem
place Zhang Xiaoming, 56 ans, qui tombe
d’un rang pour n’être plus que directeur
adjoint de cet organe qui supervise la ré
gion administrative spéciale.
Ce remaniement, voué à resserrer le
contrôle de Pékin, est aussi perçu comme
une sanction pour le directeur sortant,
Zhang Xiaoming, qui a fait toute sa carrière,
depuis 1989, aux affaires de Hongkong.
Même si le gouvernement local dispose
théoriquement d’un haut degré d’autono
mie pour gérer ses propres affaires, tout in
dique que c’est le bureau de liaison, qui,
sous la direction du bureau des affaires de
Hongkong et Macao à Pékin, tire les ficelles
dans l’ancienne colonie britannique.
Avant d’être promu à la direction du bu
reau à Pékin fin 2017 – alors le plus jeune
cadre du Parti communiste jamais nommé
à ce poste –, Zhang Xiaoming avait
d’ailleurs dirigé pendant cinq ans le bu
reau de liaison (20122017). Pendant son
séjour à Hongkong, il avait été le premier
directeur du bureau de liaison à accepter
de déjeuner avec tous les députés de Hong
kong, y compris ceux de l’opposition.
Affichant une position dure face aux ma
nifestants du « mouvement des para
pluies » en 2014, plusieurs de ses remar
ques avaient fait polémique, notamment
en 2015, lorsqu’il affirma que le statut du
chef de l’exécutif de Hongkong « transcen
dait l’exécutif, le législatif et la justice ».
Mais après huit mois de manifestations
antigouvernementales, la gestion du dé
but de la crise du Covid19 s’est révélée tout
aussi désastreuse : hésitations sur la fer
meture des frontières, grève des person
nels hospitaliers, ordres et contrordres sur
le port du masque, failles dans la mise en
œuvre tardive d’une quarantaine pour les
visiteurs arrivant de Chine...
Hommes de confiance
Le président chinois semble donc miser
sur une nouvelle équipe d’hommes de
confiance pour remettre de l’ordre dans la
région administrative spéciale. D’autant
que depuis la cuisante défaite du camp
proPékin aux élections de district de no
vembre, Pékin s’inquiète de perdre la ma
jorité au Parlement local aux prochaines
élections prévues en septembre, et ce
malgré un mode électoral extrêmement
favorable à l’establishment.
Le nouveau patron de Hongkong à Pékin,
Xia Baolong, 67 ans, est non seulement un
fidèle du président Xi Jinping, ayant tra
vaillé pour lui au début des années 2000
dans la province du Zhejiang (Est), mais c’est
aussi un dur. Il fit notamment parler de lui
pour son rôle radical de « tombeur de
croix », dans la lutte contre les églises
chrétiennes, notamment à Wenzhou, ce qui
n’aura pas échappé à la chef de l’exécutif,
Carrie Lam, fervente catholique.
Cette nomination s’inscrit dans la logique
du limogeage, début janvier, du directeur
du bureau de liaison à Hongkong, Wang
Zhimin, 62 ans, qui avait été remplacé par
un proche de M. Xi, Luo Huining, 65 ans.
« Désormais, les deux hommes chargés de
Hongkong [Luo à Hongkong et Xia à Pékin]
sont des proches de Xi, membres du comité
central et exsecrétaires de provinces chinoi
ses, observe le professeur JeanPierre
Cabestan, de l’Université baptiste de Hong
kong. Le plus important pour le moment
pour Xi est d’avoir des hommes de confiance
à tous les postes importants du pays. »
florence de changy
(hongkong, correspondance)
Un fidèle du président placé à la tête des affaires de Hongkong
aux Chinois, sur « la direction col
lective » et sur le rôle du premier
ministre, Li Keqiang. Celuici s’est
d’ailleurs rendu à Wuhan, le
26 janvier, quand le président s’est
contenté d’une visite aux équipes
sanitaires de Pékin, le 10 février.
Incurie voire corruption des res
ponsables locaux, mise en danger
de milliers de médecins et sauve
teurs dépêchés de tout le pays au
Hubei, épicentre de la crise, aug
mentation du chômage liée à la pa
ralysie du pays pendant plusieurs
semaines... les sources de mécon
tentement potentiel ne manquent
pas. Mais force est de constater
que, pour le moment, « la guerre
du peuple » décrétée par Xi Jinping
rencontre un réel succès.
« Patriotisme sanitaire »
Chacun multiplie les mesures
pour inciter voire forcer « ses »
compatriotes à rester chez eux, à
se rendre à l’hôpital au moindre
signe de fièvre et à rendre public
tout contact récent avec un habi
tant du Hubei. Indéniablement, le
« patriotisme sanitaire » fonc
tionne. Nombre de Chinois ont
même tendance à en « faire trop »,
au risque de paralyser l’écono
mie... et d’inquiéter Pékin.
Guerre commerciale avec les
EtatsUnis, soulèvement à Hon
gkong, victoire du parti proindé
pendantiste à Taïwan... les revers
s’accumulent pour Xi Jinping.
Pourtant, les nominations à la tête
de Wuhan décidées, mercredi
12 février, par le comité permanent
du bureau politique, les sept hom
mes les plus puissants du pays,
« mettent une fois encore en évi
dence que Xi Jinping contrôle et
met même davantage en jeu sa
propre crédibilité, en dépit de tou
tes les rumeurs de ces dernières se
maines », note, vendredi 14 février,
Bill Bishop, responsable de la lettre
d’information Sinocism. Comme
le résume François Godement,
conseiller pour l’Asie à l’Institut
Montaigne, si « le triomphalisme
de l’ère Xi Jinping est ébranlé, le mo
nopole du pouvoir reste intact ».
frédéric lemaître