Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1
0123
SAMEDI 15 FÉVRIER 2020 international| 3

Les Vingt­Sept tentent de mieux


se coordonner face à l’épidémie


A Wuhan, la détresse des patients en quarantaine


Les habitants de la ville qui présentent des symptômes de Covid­19 doivent se battre pour être pris en charge


shanghaï ­ correspondance

L


e 2 février, Xie Hanhua,
58 ans, a été envoyée en
quarantaine dans un hôtel
de Wuhan. « Aucun proche n’a pu
l’accompagner, il n’y avait aucun
médecin, aucune infirmière pour
s’occuper d’elle, et la nourriture
était infecte », raconte sa grande
sœur. Xie Hanhua est tombée
malade à la veille du Nouvel An
lunaire, le 24 janvier, le lende­
main de la mise en quarantaine
de la ville. Elle avait participé à
plusieurs repas de fin d’année
avec des collègues.
Son état a empiré les jours sui­
vants. Comme des milliers d’habi­
tants de la ville, elle s’est rendue
aux urgences : une radio des pou­

mons a révélé les symptômes du
nouveau coronavirus, Covid­19.
On ne lui a pourtant pas fait de
tests en laboratoire, faute de capa­
cités suffisantes. Son cas restera
« suspect ». Elle n’aura pas de lit à
l’hôpital, qu’une quarantaine sans
assistance médicale. « On a tous es­
sayé de mobiliser nos relations,
mais en ce moment ça ne marche
plus. Rapidement, ses symptômes
ont empiré », déplore sa sœur.
Face à l’explosion du nombre
de cas de coronavirus, le Hubei,
la province dont Wuhan est la ca­
pitale, a adopté une tactique ra­
dicale résumée par le slogan :
« Embarquez tous ceux qui doi­
vent être embarqués, ne laissez
personne derrière », d’après les
médias officiels. Lundi 10 février,

lors d’une sortie dans les rues de
Pékin pour inspecter les mesures
de confinement, le président chi­
nois, Xi Jinping, avait appelé à
prendre « des mesures plus fortes
et décisives pour enrayer résolu­
ment la contagion ».
Sur le terrain, cet élan s’est tra­
duit par une politique de mise en
quarantaine systématique de
toute personne présentant les
symptômes de la maladie, par­
fois par la force, quand des mala­
des refusent d’être séparés de
leur famille.
En parallèle à la construction
éclair de deux hôpitaux d’une ca­
pacité de 2 600 lits, la ville de Wu­
han a multiplié les lieux d’isole­
ment, plus ou moins médicalisés.
Gymnases, centres d’exposition,
hôtels ou écoles ont été transfor­
més en centres d’accueil. En tout,
plus de 10 000 lits en centres de
soins ont été créés, et 12 500 places
supplémentaires pour des isole­
ments sans besoins médicaux.
Dans le même temps, plus de
10 000 professionnels de santé
sont venus prêter main­forte aux
soignants de Wuhan. Mais ces
renforts ne suffisent pas : ven­
dredi 14 février, le Hubei comptait
51 986 cas, sur les 63 851 cas dans
tout le pays. D’après la commis­

sion nationale de la santé,
1 716 professionnels de santé ont
été infectés depuis le début de la
crise, et 6 sont morts.
Sous cette politique d’isole­
ment systématique, des témoi­
gnages glaçants apparaissent sur
les réseaux sociaux. Un homme
raconte qu’il a trouvé son père,
déjà raide et froid. Il avait arrêté
de répondre au téléphone plu­
sieurs heures plus tôt, depuis la
chambre d’hôtel où il se trouvait
isolé. Autre risque, certains cen­
tres de quarantaine sont de
grands halls sans séparation en­
tre les lits. Ils accueillent des cas
suspectés : des patients souffrant
de simples grippes risquent donc
d’y attraper le coronavirus. In­
quiets, les patients se plaignent
du manque de soins médicaux.
Les conditions varient d’un cen­
tre de quarantaine à l’autre. Wang

Weili, 71 ans, est soulagée d’être en
quarantaine. Ses symptômes sont
assez faibles, mais elle est particu­
lièrement inquiète du fait de son
âge. Pour avoir un diagnostic, elle a
dû marcher des kilomètres jusqu’à
un hôpital, début février. « Nous
sommes pauvres, nous n’avons pas
de voiture. En arrivant, j’étais épui­
sée. L’hôpital était bondé. »

« Bureaucrates »
Deux jours après un diagnostic
positif, basé sur une radio des
poumons, elle est mise en qua­
rantaine dans un hôtel. « C’est
confortable, nous avons trois re­
pas par jour, la nourriture est
bonne, et une infirmière passe
prendre ma température deux fois
par jour. Je remercie le gouverne­
ment de m’avoir isolée de ma fa­
mille avant que je risque de les con­
taminer », dit­elle.
Dans tous les cas, le manque
d’information et la bureaucratie
ajoutent à l’anxiété des patients.
Wang Weili explique qu’elle n’a
aucune idée de la suite des événe­
ments : « J’aimerais voir un doc­
teur pour savoir si mon état s’amé­
liore, mais il n’y en a pas, je peux
juste attendre ».
La sœur de Xie Hanhua, qui
préfère ne pas donner son nom,

abonde. « Au niveau local, il y a
des gens très bien. Une nuit, ma
sœur n’était pas bien, j’ai appelé
de l’aide au chef du comité de
quartier, et il a arrangé une voi­
ture et un chauffeur volontaire
tout de suite pour Hanhua. Mais
plus haut, ce sont des bureaucra­
tes : ils vous renvoient d’un dépar­
tement à l’autre. Et ma sœur ne
pouvait plus attendre. »
Le problème de la confirmation
des cas pose aussi problème : les
premières semaines, seuls les cas
validés en laboratoire étaient pris
en compte, mais le taux d’erreur
était important. Pour bien faire, il
faudrait prélever du mucus dans
les poumons des patients, une
procédure bien trop lourde vu l’ur­
gence de la situation. « Ma sœur a
été testée trois fois, et trois fois,
c’était négatif. Dans ces conditions,
elle n’avait pas le droit à un lit. »
Les critères ont finalement été
modifiés ces derniers jours : les
médecins peuvent diagnostiquer
des cas à partir d’une simple radio
des poumons. Grâce à ce change­
ment de règle, et aux appels à
l’aide passés par la sœur de
Mme Xie sur les réseaux sociaux, sa
sœur a enfin obtenu un lit à l’hôpi­
tal de la Croix­Rouge de Wuhan.
simon leplâtre

Chaque pays a jusqu’ici adopté ses propres mesures, en matière de
quarantaine, de contrôle des passagers ou de conseils aux voyageurs

bruxelles ­ bureau européen

S


i pour l’heure, l’Europe reste
relativement épargnée par
le coronavirus, qui affecte
quelque 35 personnes, vendredi
14 février au matin, et ne recense
pour le moment aucun mort, rien
ne permet d’« exclure que cette épi­
démie limitée régionalement ne
devienne une pandémie mon­
diale », a prévenu le ministre alle­
mand de la santé, Jens Spahn,
avant de rencontrer ses homolo­
gues à Bruxelles, jeudi 13 février.
Lors de cette réunion, les Vingt­
Sept ont donc décidé de mieux se
coordonner face à la menace que
constitue le coronavirus venu de
Chine, afin « d’améliorer l’effica­
cité » des mesures nationales
d’ores et déjà prises. Et ce, tout en
garantissant le principe de libre
circulation, au cœur de la cons­
truction communautaire et que
certains Etats membres pour­
raient être tentés d’oublier.
« Ce que nous souhaitions éviter,
c’était que les Vingt­Sept se protè­
gent de manière désordonnée par
rapport au coronavirus et qu’ici ou
là en Europe naissent des mouve­
ments de panique », explique un
diplomate. Face à l’épidémie, cha­
que pays de l’Union européenne a
jusqu’ici adopté ses propres mesu­
res, que ce soit en matière de qua­
rantaine, de contrôle des passa­
gers ou de conseils aux voyageurs.
Et certains de ces choix n’ont pas
été des plus audacieux. Comme
celui des gouvernements italien,
sous la pression de Matteo Salvini,
et tchèque, plus récemment, d’in­
terdire les liaisons aériennes di­
rectes entre la Chine et leur pays.
« C’est contre­productif », explique
un spécialiste du sujet, « au lieu
d’aller d’un point A à un point B di­

rectement, les voyageurs passent
désormais par un point C... ».
Ailleurs, certaines compagnies,
comme British Airways ou Air
France, ont décidé de suspendre
leurs vols vers la Chine. « Les virus
ne connaissent pas de frontières, et
il est temps pour l’UE de répondre à
ce défi d’une façon coordonnée et
unie », a exhorté la commissaire
européenne chargée de la santé,
Stella Kyriakides.
Dans ce contexte, les Euro­
péens, à commencer par la
France et l’Allemagne, ont jugé
qu’il était urgent de tenter de rap­
procher les points de vue. Les
Etats membres doivent ainsi tous
être en mesure, aux points d’en­
trée en Europe, à commencer par
les aéroports, de repérer les cas
inquiétants et de les prendre en
charge par des moyens « propor­
tionnés et appropriés », comme le
précisent les conclusions du con­
seil des ministres de la santé de
jeudi. Il faut également que les
personnes qui seraient passées
par des zones touchées par le vi­
rus, comme la Chine, puissent
être identifiées et localisées.
L’Allemagne a tenu à ce que fi­
gure, dans le texte du conseil des

ministres, la possibilité de de­
mander à ces mêmes individus
« s’ils ont eu des contacts dans ces
zones ». « Prendre la température »
des passagers ne suffit pas, a justi­
fié Jens Spahn.

« Compromis satisfaisant »
Vili Beros, le ministre croate de la
santé, dont le pays assure la pré­
sidence de l’Union européenne, a
estimé que le « compromis »
trouvé était « satisfaisant ». Mais,
a­t­il ajouté, « si l’épidémie s’ag­
grave, on entreprendra de nouvel­
les actions », y compris une éven­
tuelle fermeture des frontières.
Quant à la République tchèque,
elle n’exclut pas de restreindre, si
la situation sanitaire empire, la
liberté de circulation dans l’es­
pace Schengen.
Les ministres ont par ailleurs
demandé à la Commission de
veiller à ce que le matériel de pro­
tection – les masques, les gants,
ou les combinaisons – ne vienne
pas à manquer. En temps normal,
les stocks ne sont pas énormes
puisqu’ils sont calibrés pour ap­
provisionner les hôpitaux et le
personnel soignant, et non pas
des populations entières. Qui
plus est, la moitié de la produc­
tion vient de Chine.
La Commission évalue le ni­
veau actuel des stocks et assure
avoir « déjà été en contact avec
des entreprises dans l’UE pour
voir si elles peuvent fournir da­
vantage » d’équipements, a expli­
qué Stella Kyriakides. La commis­
saire à la santé a aussi assuré qu’il
n’y avait « pas jusqu’à présent de
pénurie de médicaments » cons­
tatée, alors que la Chine est un
important acteur de l’industrie
pharmaceutique.
virginie malingre

« LES VIRUS


NE CONNAISSENT PAS


DE FRONTIÈRES, ET IL EST 


TEMPS POUR L’UE


DE RÉPONDRE À CE DÉFI 


D’UNE FAÇON 


COORDONNÉE ET UNIE »
STELLA KYRIAKIDES
commissaire européenne

« J’AIMERAIS VOIR 


UN DOCTEUR POUR SAVOIR


SI MON ÉTAT S’AMÉLIORE, 


MAIS IL N’Y EN A PAS »
WANG WEILI
patiente en quarantaine

63 
cas de contamination par le coronavirus en Chine continentale
La Chine a annoncé, vendredi 14 février, avoir révisé à la baisse son
bilan de l’épidémie de coronavirus, désormais de 1 380 morts. Elle
justifie cette révision par des « doublons dans les statistiques » cons-
tatés après une « vérification ». Sans cette rectification, le bilan na-
tional approcherait vendredi les 1 500 décès. Le nombre de person-
nes infectées en Chine continentale s’établit vendredi à 63 851 cas.

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